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François TRAORE, (UNPCB) : “L’Etat doit avoir non seulement un plan de production, mais surtout un plan d’écoulement”

Publié le vendredi 29 juin 2007 à 07h56min

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François Traoré

Il a été lancé officiellement le 15 juin 2007 à N’Dorola dans le Kénédougou, la campagne agricole 2007-2008 par Salif DIALLO, ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques. Cette rentrée agricole semble être confrontée à un début des pluies timide.

Ce qui pourrait inquiéter les vaillants producteurs qui d’ailleurs ont été confrontés à la campagne précédente à une baisse du prix du coton et à des difficultés de commercialisation de leurs productions de rente. C’est pour prendre le pouls de la situation que nous avons rencontré François TRAORE, ex-président de la Confédération paysanne du Faso (CPF) et président de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB). Il reconnaît que le monde paysan traverse des moments difficiles mais l’heure n’est pas à la démission. Lisez plutôt.

Le ministre de l’Agriculture, Salif DIALLO a lancé la campagne agricole 2007-2008 la 15 juin à N’Dorola, comment se porte-t-elle à votre niveau ?

François TRAORE (FT) : Nous, nous sommes toujours prêts pour la campagne parce que la terre est notre source de revenus. Mais nous démarrons la présente campagne dans des conditions difficiles dues au fait qu’une bonne quantité de nos productions à la campagne précédente n’ont pu être écoulées. Les paysans n’entendent pas toutefois baisser les bras.

Il y a aussi le ciel qui ne semble pas généreux cette année pour la pluie.
F.T : On pourrait s’inquiét
er effectivement si l’on compare la présente campagne à d’autres où déjà dans le mois de mai la saison pluvieuse s’était installée. Mais mon expérience d’agriculteur me permet de dire qu’il y a eu souvent ce genre de débuts de saison difficiles mais qui se sont bien terminées. Rien n’est encore catastrophique. L’essentiel pour moi est que la saison puisse continuer jusqu’en octobre.

Il n’y a donc pas de difficultés majeures pour entamer la campagne de cette année ?

F.T : J’ai d’abord relevé que les produits agricoles ne se sont pas bien achetés cette année, que ce soit le coton, les céréales, la tomate. Cela a évidemment un impact négatif sur les conditions de vie des ménages qui tirent leurs revenus de l’agriculture. Ce sont des situations auxquelles nous sommes plus ou moins habitués ; nous apprenons à nous y adapter. Mais notre souhait serait qu’on fasse tout pour qu’après les difficultés de la campagne, les paysans ne soient pas confrontés à des problèmes de commercialisation.

Vous qui êtes un des grands acteurs du monde rural, qu’est-ce qui explique ce problème de commercialisation ?

F.T : Je situe le problème à trois niveaux : l’Etat, les producteurs et les consommateurs. Je me dis qu’un Etat doit avoir non seulement un plan de production mais surtout un plan d’écoulement sinon de transformation. Il se pose même un problème de vision qui est la souveraineté alimentaire. Dans un pays comme le Burkina où le monde rural occupe 80% des populations, je crois qu’il faut songer à se nourrir soi-même. Ce n’est pas une accusation mais sa vision n’est pas complète.

A ce niveau, les paysans sont aujourd’hui confrontés à un problème de désenclavement. Nous sommes en train d’entamer une nouvelle campagne alors qu’il y a des producteurs qui ont toujours des céréales qui ne peuvent plus sortir. Comme, on le sait, un producteur ne peut pas fabriquer la route. Les producteurs, quant à eux, ont un problème d’organisation. Nous avons la loi 14 qui réglemente l’organisation des paysans par filière de production. Mais demander à l’Etat la transformation de nos produits suppose que nous devons être capables de produire suffisamment pour les unités de transformation. Ce qui n’est pas évident compte tenu du faible niveau d’organisation de certaines filières.

Par exemple, une filière de production peut dire qu’elle est en mesure de fournir un million de tonnes de céréales mais si son niveau d’organisation ne lui permet pas de situer exactement là où trouver ces quantités, il lui sera difficile de négocier avec l’Etat ou avec toute autre structure de transformation. Alors que beaucoup de filières ont ce type de problème. Mais il faut dire qu’en ce qui concerne la commercialisation tout est une question de confiance. Il y a eu des tentatives de commercialisation qui ne se sont pas bien terminées. Ce qui fait que les producteurs, en majorité non instruits, sont maintenant réticents à des structures de commercialisation ou d’organisation. Il y a aussi un autre facteur que nous devons travailler à corriger. Il s’agit de l’assistanat.

On constate que quand un bailleur se retire d’une organisation, elle se meurt parce que les acteurs ou les bénéficiaires ne sont pas prêts à s’investir pour la faire fonctionner. Il y a enfin les consommateurs qui ont également leur part de responsabilité dans la mévente des produits agricoles. Il va falloir que la société civile renforce la sensibilisation afin d’inculquer une culture de consommation des produits locaux. Il faut bien qu’on réfléchisse pour opérer des choix. Ce n’est pas parce qu’on a faim qu’on doit tout accepter mais il faut avoir plutôt une vision ou une politique de consommation de nos produits. Si un consommateur a faim et s’il doit toujours se tourner vers des produits venant d’ailleurs, cela pose un problème. Un consommateur doit avoir un esprit patriotique.

D’ailleurs, le Burkinabè est habitué à ses céréales, c’est à défaut qu’il mange autre chose. On doit réfléchir sur cet aspect. J’interpelle dans ce sens tout le monde, les médias, la société civile, les politiques, les producteurs. Imaginez un chef de famille qui a une dizaine de bouches à nourrir et qui doit attendre qu’un bateau soit là avec des provisions alors que dans son propre pays il devrait être en mesure de consommer les produits locaux. Il se pose là une question de souveraineté alimentaire. Certes, on ne peut pas prendre un décret pour dire qu’à partir d’aujourd’hui on doit manger uniquement les produits burkinabé. Mais il faut avoir un esprit patriotisme face à nos produits, une vision de non dépendance des produits d’ailleurs.

Concernant la campagne de cette année, est-ce que les moyens de production sont suffisants pour la réussir ?

F.T : Je reconnais qu’on a pas encore atteint le top en ce qui concerne les moyens de production. Avec les moyens dont nous disposons, nos productions ont eu du mal à être vendues. Ce qui veut dire que si c’est la production, il n’y a pas de problème. On pourra produire convenablement. Ce qui est très important, c’est la volonté du Burkinabè au travail. Ce n’est pas à comparer à certains pays où les gens ont peur du travail pénible. Avec donc un peu plus de moyens, on produira beaucoup plus. Nous sommes des producteurs et nous sommes toujours prêts pour produire.

Comment appréciez-vous les rencontres annuelles du chef de l’Etat depuis un certain temps avec le monde paysan ?

F.T : Je pense que ce cadre de rencontre porte des fruits. Je cite en exemple le problème du foncier dont nous avons discuté lors d’une de ces rencontres. Vous savez, le foncier est un domaine où l’Etat ne peut pas prendre des décrets tout seul. Nous avons fait savoir cela au chef de l’Etat et nous avons proposé que la réflexion soit menée conjointement entre la population, les coutumiers, l’administration, etc. Cela a pris le temps qu’il fallait.

Alors je crois que ce à quoi on a abouti aujourd’hui est un acquis qu’il faut mettre sur le compte de la journée du paysan. Les rencontres nous ont également permis de négocier les matériels agricoles. Nous devons bénéficier très prochainement d’environ 700 tracteurs. Même les questions de la commercialisation y ont été déjà évoquées. Aujourd’hui les fosses fumières qui avaient été encouragées lors d’une de ces rencontres prennent de l’ampleur de même que la petite irrigation.

En tout cas, il y a des débats de solution à beaucoup de nos difficultés grâce à ces rencontres périodiques avec le président du Faso. On constate de plus en plus que les paysans à travers ces rencontres, sont déterminés pour une autosuffisance alimentaire. Dans ce sens, nous devons procéder par étape. Nous avons toujours évoqué au cours des journées du paysan l’insuffisance des pistes rurales qui constitue un handicap à la production. Il faut que nous arrivons à ravitailler tout le territoire en produits agricoles, les céréales ou les fruits.

L’Etat exhorte les paysans à s’intéresser à la production d’autres types de variétés comme le souchet, le manioc. Doit-on craindre aussi des problèmes de commercialisation pour ces variétés ?

F.T : Il y a des étapes d’initiatives de diversification. Il y a l’étape de maîtrise et il y a l’étape commerciale. L’étape d’adaptabilité, c’est celle où on ne peut pas tout de suite se dire que ça va réussir. Du moment où tu te rends compte que ça peut réussir c’est en ce moment que l’étape organisationnelle des acteurs et la commercialisation doit être gérée. Depuis deux ans aujourd’hui on parle de plus en plus de commercialisation parce que la surproduction devient de plus en plus une réalité. Et si un jour on arrive à la transformation, c’est à ce moment que nous allons conquérir les marchés avec le désenclavement qui reste un début de solution.
Si chaque année on a une surproduction d’un million de tonne de céréales on peut par exemple signer un contrat de 5 ans avec le Nigeria. Dans ce cas précis, nous aurions maîtrisé notre capacité organisationnelle, la commercialisation, et l’Etat pourrait constituer de falicitateur pour ces échanges là afin de réaliser la souveraineté alimentaire dont nous prônons.

Le coton burkinabè traverse une crise sans précédent. Quelle est la cause profonde ?

F.T : On se contredirait si on disait que c’est la filière coton seulement qui traverse une crise. On vient de faire le diagnostic de toute l’agriculture, de tous les produits qui sont mal vendus.

La filière coton n’est qu’un exemple. Et ce n’est pas un fait nouveau puisque notre coton se vend ailleurs où on se fout de notre avis. Nous avons lutté nous acteurs en interpellant les différents Etats. Le commerce international a toujours traversé des crises dans différents secteurs. Cependant, le problème particulier du coton est que nous sommes dans la limite de nos moyens en Afrique. Voyons les pays comme les Etats-Unis qui peuvent transformer leur production ou bien soutenir les producteurs dans la commercialisation. Ces moyens nous ne l’avons pas.

Alors n’est-il pas plus opportun de transformer le coton burkinabè sur place ?

F.T : Ça c’est une vieille histoire qui participait d’une philosophie de consommons burkinabè. Ce qui sous-entendait de transformer et d’exporter le tissu burkinabè. Des voix ont crié à l’imposition. Alors où est le patriotisme ? Il va falloir interroger la population sur ses choix de développement. Quoiqu’on dise tant qu’on ne consomme pas ce que nous produisons, il sera difficile qu’on s’en sorte. Il y a le problème de la consommation nationale. On me dira par exemple où trouver de l’énergie pour soutenir cette transformation. Je vous dis qu’il faut que la matière soit pour que le problème soit. En cela il y a la réflexion qui s’engage. Il y a l’interpellation de tous les acteurs. Car c’est le processus normal de tout pays pour atteindre le développement.

Cette mévente du coton a entamé le moral des producteurs avec à la clé le prix du kg fixé à 145F pour cette saison. Cela ne va-t-il pas se ressentir sur l’objectif 2007-2008 ?
F.T : Le découragement est toujours présent. Cela aura pour conséquence la répercussion sur tous les produits et par ricochet sur les consommateurs burkinabè. C’est pour cela que ce n’est pas le fait du seul producteur. Mais le producteur lui-même démissionne de la tâche c’est pour dire qu’il sera dans les rues et faire le mendiant et certains seront enclins au banditisme ou tenter l’immigration. C’est vrai que quand on produit à perte, il y a mécontentement mais ce n’est pas pour autant qu’il faut baisser les bras.

L’Etat a subventionné les intrants. Qu’est-ce que cela vous a donné comme satisfaction ?

F.T : C’est une fois de plus la hauteur de vision de l’Etat et son premier responsable, Blaise COMPAORE qui a été réceptif aux doléances de nos braves paysans. C’est un sujet dont on a suffisamment échangé lors de la journée du paysan à Dori.

Vous savez que nos Etats sont aussi liés à des institutions qui ne les laissent pas la liberté d’agir. Il faut qu’on puisse accompagner et valoriser l’économie du Burkina en soutenant les 82% de la population à majorité paysanne.

Lorsqu’on a rencontré le ministre des Finances, nous l’avons signifié que nous sommes la machine qui produit des devises pour ce pays. Et si on est soutenu c’est là que nous allons prétendre au développement. C’est ainsi que nous avons accueilli avec satisfaction l’intervention du gouvernement à hauteur de 3 milliards afin d’infléchir le coût des intrants qui n’était pas à la portée de tout le monde.

Est-ce que la solution OGM pourra résoudre ce problème de production ou, sera-t-il la source d’un autre problème ?
F.T : On peut engager la culture pour résoudre un problème. Les trois années d’essai démontrent que ça peut résoudre un problème de parasitisme. Pour l’instant aucun producteur n’est aux OGM. Cependant, nous produisons avec l’utilisation des pesticides qui sont très nuisibles à la santé, aux sols, etc. Les détracteurs soutiennent que les OGM sont dangereux. Et les pesticides ? On parle aussi de dépendance. Les mêmes pesticides ne sont pas fabriqués ici et depuis 40 ans nous les utilisons. N’est-ce pas de la dépendance ? S’il arrivait que nous adoptions cette nouvelle technologie, il n’est nul doute que nous économiserons beaucoup sur les intrants et les pesticides. De même que nous préserverons notre santé.

Parlons maintenant des APE (Accords de partenariat économique) qui seront probablement signés en décembre prochain. Que reprochez-vous à cet accord ?

F.T : Les APE c’est des accords commerciaux. Je pense que dans un marché les prix se discutent pour un consensus. Si ce n’est pas le cas, vous revenez une autre fois. Mais quand on vous impose une date. Il ne s’agit pas de négociations mais d’un rapport de forces. Nous ne sommes plus à l’ère de l’imposition. Si on n’est pas pour ce principe, alors on n’est pas prêt.

Vous serez prêts quand ?

F.T : Mais le commerce est volontaire. On est libre de nos choix. Cela se fait à gré et que chacun puisse trouver son compte. C’est ça le commerce. Autrement c’est la force et nous ne sommes pas d’accord.

Est-ce que vous êtes écoutés par vos Etats ?

F.T : Bien sûr vous avez entendu le Premier ministre Tertius ZONGO qui a soutenu que ce n’était pas le moment.

Est-ce que la politique nationale sur la question agricole vous arrange ?

F.T : Il n’y a rien de standard. Il y a des politiques en cours qui sont en train de s’installer et se perfectionneront par la suite à son application. Je pense que, avoir la volonté d’avoir une vision pour l’agriculture nationale est déjà importante.

Le mot de la fin. Faut-il croire aujourd’hui à la terre ?

F.T : Je m’insulterais, si je venais à dire que je ne crois pas à la terre. C’est toute ma vie. Mais je dis que ça se travaille, ça s’organise et on réussit bien sa vie pour peu qu’on ait la volonté.o

Interview réalisée par Drissa TRAORE
Issoufou MAÏGA

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