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Paul Perré Bayili (projet AGEC) : « Faire de Koudougou, Ouahigouya et Fada N’Gourma des pôles régionaux de développement »

Publié le samedi 16 décembre 2006 à 09h01min

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C’est un historien passionné des questions environnementales que Sidwaya plus vous propose cette fois-ci de découvrir dans « Rencontre ». Paul Perré Bayili, nous a entretenu sur les objectifs du projet Appui à la gestion communale (AGEC) dont il est le coordonnateur, des enjeux de la décentralisation intégrale.

Sans ambages, M. Bayili soutient que l’AGEC vise à ériger Koudougou, Ouahigouya et Fada N’Gourma en pôles de développement en vue de contrecarrer l’attraction sur les deux principales villes du pays : Bobo-Dioulasso et Ouagadougou.

Sidwaya Plus (S. P.) : En quoi consiste le programme d’appui à la gestion communale ?

Paul Pérré Bayili (P.P.B.) : C’est une initiative de la coopération suisse qui soutient le Programme de développement des villes moyennes. Celui-ci émanant de la volonté de l’Etat burkinabé, vise à créer des pôles régionaux de développement dans les villes moyennes en vue de contrebalancer la polarisation et l’attraction sur Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. La coopération suisse accompagne le Burkina Faso dans ce processus depuis 1992. De cette date à 2003, le programme a connu six phases. Entre 2003 et 2004, est intervenue la phase de repositionnement.

Aujourd’hui, nous sommes à la VIIe phase dénommée « Appui à la gestion communale ». Il s’agit d’aider trois villes à savoir Koudougou, Fada N’Gourma et Ouahigouya à créer les conditions institutionnelles, techniques et financières pour pouvoir prendre en charge leur développement.

S.P. : Pourquoi le choix de ces trois villes ?

P.P.B. : Ce choix repose sur plusieurs critères. Ouahigouya par exemple a été éligible au programme à cause du fait qu’elle concentre l’intervention de la coopération suisse et d’autres acteurs comme les groupements « Naam » ou des projets. En fait, l’intervention s’est bâtie autour d’un tissu relationnel existant. Quant à Fada N’Gourma, l’intervention se justifiait par le constat que la localité était délaissée par les partenaires quoique la tendance se soit inversée aujourd’hui. Koudougou enfin, à cause de sa situation de troisième ville du pays. On a estimé que s’appuyer sur une telle ville pourrait offrir des opportunités d’émergence de pôles régionaux de développement.

S.P. : Quels sont vos axes d’intervention ?

P.P.B. : Il y a le développement des infrastructures à l’image des marchés à bétail ou yaars, des abattoirs, des gares routières, afin de permettre aux communes de créer des emplois et de générer par elles-mêmes des ressources propres. Ensuite, vient l’assainissement car la santé des populations y est intimement liée. Nous travaillons à cet effet dans la collecte et la gestion des ordures ménagères sans oublier les campagnes de sensibilisation. L’un des défis majeurs, c’est la valorisation des déchets en tant que filière économique. Enfin, il y a le développement des capacités c’est-à-dire le volet formation-équipement, construction de bâtiments pour permettre aux communes d’être opérationnelles.

Le programme appuie également l’élaboration d’outils d’orientation et de planification des actions de développement. Nous soutenons la communication communale permettant aux communes et aux médias de nouer des partenariats en vue de rendre visibles les actions de celles-ci. Enfin, nous apportons également à l’établissement public communal un appui pour son développement et son fonctionnement.

S.P. : Au regard de la réalité du terrain, estimez-vous que les objectifs sont atteints ?

P.P.B. : Nous sommes sur la bonne voie. La finalité du programme est de permettre aux communes de pouvoir générer des ressources financières propres pour financer leur plan de développement. Le marché de Ouahigouya par exemple a rapporté de 1994 à 2005, 233 millions de F CFA qui ont été investis dans plusieurs projets de développement dont le lycée municipal pour un coût de 135 millions de F CFA.

S.P. : Quel dispositif prévoyez-vous pour assurer une bonne gestion des fonds générés par ces investissements ?

P.P.B. : La gestion des fonds se fait de façon participative impliquant suffisamment les bénéficiaires. Ceux-ci sont représentés au sein des comités de pilotage ; lesquels discutent des prix, des modes de gestion des infrastructures. Cette démarche a abouti à la mise en place d’une structure de gestion comprenant tous les acteurs.

S.P. : A votre avis, quels sont les enjeux de la décentralisation ?

P.P.B. : La décentralisation est une bonne chose. C’est une politique qui permet de responsabiliser les populations à prendre en charge leurs destinées. Sur le terrain, le premier défi est la gouvernance municipale quand on sait que les élus ne sont pas pour la plupart outillés pour prendre en charge leur fonction de manager municipal. Certains conseils sont de 70 à 80% non alphabétisés ni en français, ni en langue nationale ; d’où la priorité accordée au niveau de l’AGEC au renforcement des capacités à travers l’axe appui institutionnel. Il y a également la question des ressources financières.

Comment financer le processus de décentralisation ? C’est tout un chantier que l’Etat en collaboration avec ses partenaires travaille à défricher. Les communes dans lesquelles nous travaillons étaient déjà confrontées à ces difficultés avant la communalisation intégrale en 2006. Le constat montre qu’elles ont des ressources réduites. Une commune peut s’étendre souvent à plus de trente villages, on se retrouve alors avec un espace très grand tandis que les ressources ne suivent pas. Cela pose un enjeu d’articulation entre les centres urbains et les espaces ruraux pour les zones où nous nous intervenons. C’est aussi un enjeu pour les autorités que d’accompagner ces communes à disposer d’outils pour une gestion équilibrée de l’espace communal.

La décentralisation est un catalyseur et non une finalité pour le développement. Les acteurs politiques locaux ne devraient pas perdre de vue cet aspect. Par conséquent, il faut une dynamique inclusive pour que l’on puisse associer tous les acteurs dans la transparence de la gestion de la cité.

C’est de cette façon qu’on pourra faire de ces communes de véritables pôles de développement.

S.P. : Qu’est-ce qui est fait pour pérenniser les acquis du projet ?

P.P.B. : Nous sommes dans un processus d’appui et d’accompagnement aux acteurs locaux. La maîtrise d’ouvrage que nous prônons au niveau local va doter les acteurs de rudiments nécessaires pour pérenniser les actions. C’est pourquoi d’ailleurs, les réalisations marchandes sont gérées par la commune. Si nous arrivons au bout de notre dynamique, à savoir réaliser tous les projets en cours, les communes auront des ressources pour la mise en oeuvre de leurs actions de développement. L’un des défis qui se pose à nous aujourd’hui, c’est comment promouvoir la gouvernance locale de sorte que les ressources générées soient gérées de façon parcimonieuse et efficiente.

Actuellement, nous travaillons à mettre en place un contrôle citoyen, à impliquer les acteurs pour que les fonds soient bien gérés, pour qu’on ne les prenne pas pour financer le fonctionnement et les équipements de la mairie. La démarche du projet est participative, aussi travaillons-nous à mettre en place des dispositifs de contrôle et de responsabilisation des différents acteurs.

S.P. : Quelles sont vos nouvelles orientations, en termes de perspectives ?

P.P.B. : La cellule d’appui à la gestion communale est là jusqu’en 2008 ; ce qui nous permettra d’appuyer les autorités locales à réaliser les infrastructures génératrices de revenus au profit des communes.

S.P. : Combien vont coûter ces investissements ?

P.P.B. : Nous sommes en train de finaliser le marché de Ouahigouya d’un coût global d’environ 500 millions de francs CFA. La gare routière de Koudougou est en chantier. Enfin, il est prévu la construction de deux abattoirs à Fada N’Gourma et à Koudougou en cofinancement avec les municipalités concernées. Dans le cadre du programme, nous espérons mobiliser 150 millions à travers le FADEC par an et par commune. C’est aussi un processus d’apprentissage pour amener les communes à apprendre à mobiliser les ressources propres pour réaliser leurs différentes actions de développement.

S.P. : Quel est le montant global de l’enveloppe allouée au projet ?

P.P.B. : Le coût s’élève à 5 milliards 174 millions de francs CFA. Le montant alloué à chaque ville s’élève à près de 1 milliard 200 millions de francs CFA.

Le volet dialogue politique avec l’Etat et d’autres affaires courantes sont gérés dans le cadre du projet.

S.P. : Pensez-vous avoir contribué à faire reculer la pauvreté dans les trois villes ?

P.P.B. : En termes d’impact visuel, il y a des motifs de satisfaction. Dix (10) ans auparavant, Fada N’Gourma était une ville où l’activité économique n’était pas très développée. Je pense que grâce à la réalisation du grand marché, il y a un regain de l’activité économique. Toute chose qui m’amène à dire que sans vaincre la pauvreté, nous avons contribué à améliorer le niveau de revenu des populations dans les trois villes.

Le programme a amélioré le tissu des PME locales. La démarche a permis de former les acteurs locaux aux techniques (finition, construction, peinture, etc.) de réalisation des différentes infrastructures. Au niveau des secteurs sociaux de base (la santé, l’éducation) qui influent beaucoup sur les indicateurs de pauvreté, nous avons réalisé quelques actions en faveur des populations. A Ouahigouya, un lycée a été construit grâce aux fonds générés par le marché.

Certains budgets communaux ont été multipliés par deux, comme celui de Fada qui est actuellement de 200 millions de F CFA. Donc, nous pensons que le projet a eu un impact réel sur le développement et partant l’amélioration des conditions de vie des populations.

S.P. : Est-il possible que le projet étende son champ d’action à d’autres villes ?

P.P.B. : Je ne peux pas me prononcer sur cette question pour le moment mais je donnerai des orientations. En fin 2008, ce sera la fin des réalisations de grandes infrastructures.

D’autres enjeux tels la gouvernance, le management communal vont se poser à coup sûr. Il faudra travailler à augmenter la capacité de management des autorités locales. La coopération suisse est en train de réfléchir à sa stratégie pour les années à venir. A partir de ce travail, les orientations et les domaines d’intervention vont se préciser.

S.P. : Comment avez-vous vécu les élections municipales et la mise en place de plus de 351 communes urbaines et rurales ?

P.P.B. : C’est un processus qui nous a intéressé au plus haut point. La communalisation intégrale malgré les difficultés a été un moment intense en termes d’échanges pour la gestion des affaires locales. Cela a été pour notre part un moment, pour savoir ce que les acteurs politiques ont à proposer pour le développement de leur commune. Nous jouons un rôle de neutralité dans ce processus, mais nous avons appuyé les élections à travers le volet de la communication.

La coopération suisse a soutenu un programme de formations des femmes pour les encourager à entrer en politique ; ce qui a permis l’élection de plusieurs conseillères municipales. Nous allons suivre et accompagner ces conseillères parce que la femme, nous en sommes convaincu, à un rôle important à jouer dans le processus de la décentralisation en cours.

S.P. : Quel commentaire faites-vous des crises qui surviennent déjà au sein de certaines communes ?

P.P.B. : En tant que coordonnateur d’un projet qui intervient comme partenaire de l’Etat, il nous est difficile, de prendre une position par rapport à ses questions. Mais je puis vous dire que c’est un processus normal.

L’apprentissage de la décentralisation ne va pas se faire sans difficultés. Mais au fur et à mesure que l’on avancera, les enjeux de la démocratie locale trouveront des solutions idoines.

S.P. : Qu’en dites-vous des conseils municipaux siégeant sous les hangars ?

P.P.B : On ne devrait pas être choqué de voir des conseils siéger sous des hangars. Les acteurs locaux doivent le comprendre. La responsabilisation doit commencer par la prise de conscience de nos propres capacités. Le développement ne viendra que de nous-mêmes. S’asseoir sous un hangar pour évoquer, répertorier, analyser les problèmes de la cité pour y apporter des remèdes, c’est déjà un début de responsabilisation des acteurs locaux. Il n’y a pas de honte en cela, j’insiste.

S.P. : M. Paul Pérré Bayili, qui êtes-vous ? Quel est votre parcours pofessionnel ?

P.P.B. : Je suis de profil historien. J’ai eu la chance de me spécialiser en question d’environnement. J’ai travaillé à l’office national des services d’entretien, de nettoyage et d’embellissement de 1990 à 1996. Nous avons travaillé à lancer les initiatives de collecte des ordures dans la ville de Ouaga. Ensuite, j’ai travaillé au programme de recherche financé par la coopération suisse sur les questions de déchets et d’assainissement.

De 1996 à 2001, nous avons aidé la commune de Ouagadougou à élaborer un schéma directeur de gestion des déchets. De 2001 à 2004, j’ai bossé comme consultant sur les questions de partenariat et de renforcement dans mon bureau d’étude. En septembre 2004, la coopération suisse nous a sollicité en partenariat avec un bureau d’étude suisse pour gérer le programme AGEC et nous avons mis en place cette cellule. En marge de cela, je m’intéresse aux questions environnementales. J’ai eu la chance de siéger à la chambre des représentants au titre des associations de protection de l’environnement.

S.P : Quel enseignement tirez-vous de votre passage à la Chambre des représentants ?

C’est une structure qui a fait sa part de boulot. Elle était utile de notre point de vue. Elle avait donné des points de vue assez critiques et diversement appréciés. On avait la liberté d’expression et chaque fois qu’il y avait des avis à donner sur les questions d’environnement, on les analysait comme il se devait. L’aspect politique a fini par prendre le dessus. Ce qui a beaucoup joué sur les avis que donnait la Chambre de mon point de vue.

Interview réalisée par S. Nadoun COULIBALY

Sidwaya

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