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Interview de Yannick Noah (suite et fin) : « Les médias aiment parler de ce qui ne va pas »

Publié le lundi 31 juillet 2006 à 07h01min

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Elevé au Cameroun entre deux passions - le sport et la musique - Yannick Noah a connu le succès dans les deux domaines. Vainqueur, entre autres, du tournois de tennis de Roland-Garros en 1983, le Franco-Camerounais est devenu, depuis, l’un des chanteurs les plus populaires de l’Hexagone.

En deux mi-temps (la première partie de cette interview est à lire dans le JJ n°774), il échange quelques balles avec le Dromadaire.

JJ : Ces derniers mois ont été marqués par une résurgence du racisme dans les stades européens ? Cela vous a-t-il surpris ?

Yannick Noah : Non. Ce qui me surprend plus, c’est qu’il y ait 20, 25% de gens qui votent pour le Front National en France. Ça fait quand même beaucoup de monde. Et pourtant, dans la vie de tous les jours, on les croise rarement. On a l’impression que subitement ils se révèlent dans l’isoloir.

Pourtant, ils existent et dans les stades, tant qu’on les autorise à s’exprimer, ils sont là. La Lazio, ce n’est pas hier qu’ils ont commencé à se manifester de cette façon-là. D’être des fascistes, quoi... Simplement, on se remet à en parler maintenant parce que les médias aiment parler de ce qui ne va pas. Quand un Noir touche le ballon, ils poussent des cris de singe. Il faut être au-dessus de ça.

Mon père m’a raconté qu’à son époque, c’était déjà la même chose. Il entendait des choses pas possibles. Personnellement, je ne réagis pas à cela. Il suffit de garder sa dignité et son calme. Se comporter et agir en exemple. Marquer des buts, jouer bien, c’est ce qu’on peut faire de mieux pour la cause. Etre au mieux avec ses coéquipiers.

Regardez le Real, Arsenal, les grandes équipes de nos jours, ce sont des équipes multinationales, multiculturelles. Pour moi, c’est le plus important, c’est ce qui me rassure par rapport à 5% d’abrutis.

C’est peut-être une illusion, mais on a l’impression que vous n’avez jamais été victime du racisme.

Je n’ai jamais donné prise à ça. Ils n’ont jamais réussi à me choper. Ce que je sais, c’est que j’ai reçu beaucoup, beaucoup de soutien des gens autour de moi. Je sais aussi qu’il y a des endroits où je me balade et où les gens m’apportent leur soutien, les jeunes de banlieue notamment. Ça m’a marqué parce que ça démontre la valeur de l’exemple. C’est ce que m’ont appris mon père, et avant lui mon grand-père.

Puisqu’on parle d’exemple, que pensez-vous de la discrimination positive ? D’avoir un présentateur noir au journal de 20 heures (Harry Rozelmack, nommé présentateur du JT de la chaîne française TF1), vous pensez que ça peut avoir valeur d’exemple ?

D’abord, je suis très heureux pour lui. Mais personnellement je vois ça comme une grosse blague. Le jour où un jeune qui s’est battu, qui sera là parce qu’il a gravi les échelons, parce qu’il le mérite... Mais qu’on nomme quelqu’un parce qu’il faut un Noir, un Arabe ou un Chinois, je trouve ça à la limite insultant. Je préfèrerai qu’on fasse la même chose quand il s’agit d’attribuer un logement, un appartement.

Vous parliez de votre popularité dans les banlieues, est-ce que la flambée de violence dans ces quartiers vous a surpris ?

Ce qui m’a surpris, c’est que ce ne soit pas arrivé plus tôt. Je ne dis pas ça pour souffler sur les braises. Mais j’ai toujours eu un sentiment de malaise. Je me suis toujours demandé comment faisaient ces gens délaissés, laissés sur le côté, ces gens abandonnés. Je me suis toujours demandé comment ils tenaient. Quand ça a commencé à s’embraser, je n’ai pas été surpris, non.

Voilà dix ans que vous intervenez dans les banlieues par le biais de votre association « Faites le mur ». Quel bilan tirez-vous de cette initiative ?

J’en tire le bilan d’une envie incroyable de la part des jeunes, d’un engagement total et formidable de la part de l’encadrement local. D’un autre côté, et j’en parle parce que je suis la personnalité qui fait le relais avec eux, d’un intérêt très relatif de la part de certains annonceurs. Et du désintérêt quasi total du monde politique.

Sans tomber dans le cliché de la France d’en haut et de la France d’en bas, vous ressentez cette dichotomie entre le monde politique et « la vraie vie » ?

Oui. Totalement. On vous endort avec des discours bien enrobants mais rien ne se fait. C’est mon rôle d’utiliser ma notoriété pour faire avancer les choses. Mais parfois, c’est désespérant. Bien sûr il ne faut pas lâcher, il faut continuer à aller de l’avant.

Sur un plan plus personnel, votre image semble avoir changé. On ne vous considère plus seulement comme le dernier vainqueur français de Roland-Garros, mais comme un chanteur, un artiste à part entière.

Il faut dix ans pour être accepté dans un nouveau rôle. Voilà plus de dix ans que je fais de la musique. Au départ on venait voir l’ancien joueur de tennis. Maintenant on vient voir le chanteur. En dix ans, j’ai beaucoup appris, mais j’ai toujours eu la passion de la musique. Etant donné mon passé, je ne me voyais pas faire autre chose qu’un métier qui me passionne.

C’est vrai qu’à présent beaucoup de jeunes qui viennent me voir en concert n’étaient pas nés quand j’ai gagné Roland-Garros, ils ne m’ont jamais vu jouer. Je crois que les gens ressentent devant ma musique une vraie sincérité. Mais cela ne m’a jamais gêné d’être vu comme le dernier vainqueur français de Roland-Garros. Ça prouve que ma carrière dans le tennis a marqué les gens.

Lorsque vous gagnez la Coupe Davis et que tout le stade entonne Saga Africa (NDLR : son premier disque en 1991) spontanément parce que l’équipe de France a gagné, c’est quand même un sacré symbole, un sacré pied de nez. Vous y avez pensé ?

J’y ai pensé tout le temps. Mais voilà un symbole dont on a beaucoup moins parlé que des cris de singes dans les stades. C’est aussi ça, la France. C’est aussi ça, le sport, celui que j’aime et qui me donne la foi. De notre part, comme de la part du public, c’était totalement spontané. Cela dit, avant de chanter Saga Africa il faut gagner...

Un petit mot sur Amélie Mauresmo, qui vient de redevenir numéro un mondial après avoir gagné l’Open d’Australie ?

Quand tu commences à gagner, ce n’est que du bonheur. Là, ça y est, elle est sur sa voie. Elle est la meilleure joueuse du monde et je pense que ça ne va pas s’arrêter là. Elle le mérite. Elle le mérite d’autant plus que le public ne l’a jamais aidée. Quand je me suis occupé d’elle, je l’ai trouvée dans une terrible solitude comme je n’en avais jamais connue dans ma carrière. Pour ça aussi, elle le mérite. Mais comme en plus elle est généreuse, elle saura rendre le bonheur qu’on ne lui a pas forcément donné.

Et le tennis ne vous manque pas ?

Pas du tout. Je ne joue plus du tout. Je suis allé au bout de ce que j’avais à faire comme joueur en gagnant Roland-Garros. Et puis, quand on a gagné notre deuxième Coupe Davis, je me suis dit que j’avais fait ce que j’avais à faire comme entraîneur. La dernière chose qui me lie encore au tennis, c’est mon travail dans les cités.

Et développer le tennis en Afrique ?

Honnêtement, c’est un problème économique. C’est beaucoup plus facile de jouer au foot. Il suffit d’un ballon et de 22 joueurs. Le tennis, il faut un terrain, un filet, des raquettes, des balles. Pour le prix d’un demi-cours de tennis, tu te paies cent ballons de foot. Peut-être que si un milliardaire investissait des milliards pour former des joueurs sur place, en dix ans il y aurait d’excellents joueurs, parce qu’ils sont costauds, par leur éducation, leur mode de vie. Mais franchement, est-ce que cet argent ne serait pas mieux investi ailleurs ?

propos recueillis par François Bocoum

Journal du jeudi

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