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Médias : La liberté de la presse n’est pas une liberté à géométrie variable

Publié le jeudi 2 février 2023 à 16h59min

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Médias : La liberté de la presse n’est pas une liberté à géométrie variable

Les organisations professionnelles des médias du Burkina Faso lancent un cri d’alarme. Qui est aussi un cri de désespoir. Elles dénoncent « les graves menaces qui pèsent sur la presse au Burkina Faso et sur la nécessité de ne pas briser ce rempart si cher à la démocratie et à l’Etat de droit ».

Ce qui n’était jusqu’alors que vociférations d’individus et de groupuscules qui se veulent populaires, révolutionnaires et patriotes tend, effectivement, à devenir une composante du discours politique, si tant est qu’un régime militaire dont l’ambition est de limiter l’action des partis puissent être considéré comme un régime politique.

Je sais. Je ne serai pas considéré comme le plus légitime pour évoquer la situation qui prévaut actuellement au Burkina Faso. Je suis Français et journaliste. Et, compte tenu de mon âge (j’ai 76 ans) et de ma zone d’activité (les pays africains), j’ai eu l’opportunité de beaucoup écrire et m’exprimer sur la Haute-Volta de Lamizana, le Burkina Faso de Sankara puis celui de Compaoré, de Zongo, de Lingani, enfin, de Compaoré et des Premiers ministres qui ont occupé le pouvoir, de Ouédraogo à Tiao. Sans oublier la « transition » de Kafando/Zida.

Ne pas faire injure à l’univers médiatique burkinabè

J’appartiens donc, si j’en crois nombre de « transitionnaires », à ces « intellectuels apatrides et chiens de la France ». Un chien qui s’est même permis de venir aboyer à Ouaga, à Kaya, à Bobo et partout ailleurs, parfois même sur les plateaux télé, aux micros des radios (j’ai commencé, et j’en suis fier, avec Moustapha, sur Horizon FM !). J’ai dit, à l’occasion, ce que j’avais à dire lors des UACO et dans le cadre de l’ISTIC.

Appolinaire Kyélem, Premier ministre de la « transition », affirmerait donc qu’il faut rétablir la « discipline » dans l’univers médiatique burkinabè (pour ce qui est des médias français, c’est déjà fait : RFI a été virée… !) et les « recadrer ». Et il dénoncerait ceux qui, « sur un plateau de télévision ou dans un studio avec un micro », se croient « tout permis ». A l’appui de son argumentation, il ferait référence au pire : la Radio Mille Collines. Qui n’était pas un média mais un instrument de propagande des génocidaires rwandais. C’est faire injure à l’univers médiatique burkinabè mais aussi confondre la liberté de la presse avec l’engagement militaire.

L’armée d’une part, les médias d’autre part. Une nation libre d’abord !

« La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants ». La règle du jeu est connue. Elle concerne l’armée ; pas les médias. Et si les régimes militaires se sont succédé les uns et autres pendant des décennies en Haute-Volta comme au Burkina Faso, il faut reconnaître que la presse libre (et qui dit libre dit combattant pour sa liberté) a globalement pu exister dans le pays, bien plus que dans des régimes « civils », ailleurs en Afrique francophone (si tant est que ce terme ait encore un sens) sans parler du reste du monde.

Le problème avec les régimes militaires c’est qu’ils ont souvent honte de ce qu’ils sont. Et pour paraphraser le Premier ministre burkinabè je dirai que « ce n’est pas parce qu’on porte un battle-dress, des armes et un masque que l’on doit se croire tout permis ». Y compris de prendre le pouvoir et de s’efforcer de le faire assumer par des « civils ». Zida, officier supérieur, était Premier ministre (après avoir ambitionné d’être chef de l’Etat) quand Kafando, diplomate, était président de la « transition ». Kyélem, avocat, est Premier ministre de Traoré, officier subalterne, président de la « transition ». Ce qui ne facilite pas toujours le dialogue et la même perception de ce que doit être le « nouvel ordre ».

J’en ai fait l’expérience à la fin de l’année 1989 quand Lingani et Zongo, les numéros 1 et 2 du gouvernement dirigé par Compaoré ont été brutalement liquidés pour des questions de positionnement « idéologique ». Je connaissais bien Compaoré et j’étais en proximité avec Zongo. De Paris, sitôt la nouvelle connue, j’ai appelé le cabinet de Compaoré avant de me déplacer à Ouaga. L’explication donnée par le « civil » le plus haut placé au sein du cabinet a été sans détours : « les militaires règlent les problèmes politiques à coups de revolver ». Compaoré et Zongo avaient le grade de capitaine ; Lingani celui de commandant !

Ne pas faire des médias le bouc émissaire des tensions au sein de la transition

Tout est dit. Quand on n’a pas de revolver mais des problèmes politiques et que les tensions deviennent fortes, pour les calmer rien de mieux de que mettre en cause « l’étranger » et, dans la foulée, les « médias ». Les organisations professionnelles des médias du Burkina Faso le disent clairement : « Il faut éviter de faire des médias les boucs émissaires dans cette tragédie que vit le pays. Nous croyons plutôt que nous sommes une partie de la solution, et nous voyons notre responsabilité et notre engagement comme tels ».

Le Burkina Faso a organisé depuis des années les Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO). J’ai eu l’honneur d’être invité à y participer. Il serait bon que tous ceux qui ont été, au Burkina Faso, en France, au Canada, dans les pays africains... invités à participer à cette formidable manifestation en faveur de la liberté de la presse expriment aujourd’hui leur préoccupation et leur soutien aux médias burkinabè. Contre le « recadrage » et la mise au pas. Contre l’amalgame odieux. La liberté de la presse, comme les autres libertés, n’est pas à géométrie variable au service des uns et des autres mais au service des hommes et des femmes qui composent a nation. C’est ce qui fait que c’est une liberté fondamentale.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)

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Vos commentaires

  • Le 2 février 2023 à 18:59, par Ed En réponse à : Médias : La liberté de la presse n’est pas une liberté à géométrie variable

    L’inquiétude des médias est légitime car les orientations du Premier Ministre correspondent au rapprochement avec la Russie de Poutine et Wagner dont personne ne peut ignorer que les pratiques vont à l’encontre du droit de s’exprimer.
    Certes, trop de commentaires ni professionnels manquent de discernement mais les articles des journalistes sont irréprochables.
    Courage au Burkina.

  • Le 2 février 2023 à 21:36, par TANGA En réponse à : Médias : La liberté de la presse n’est pas une liberté à géométrie variable

    Si il y a bien des hommes dont le language est à géométrie variable, c’est bien les hommes de presse.
    Ils n’hésitent même pas à dire : vous n’avez pas compris, ne prenez pas ça de ce côté, le français est élastique etc et etc. Bref
    Laissez le pays se libérer ; vous en profiterez pour le parcourir se long en large.
    Ceux là qui vous ont appris la liberté de presse etc n’enfoncent pas leurs pays.

    • Le 3 février 2023 à 11:28, par kwiliga En réponse à : Médias : La liberté de la presse n’est pas une liberté à géométrie variable

      Bonjour TANGA,
      "Laissez le pays se libérer", parfaitement d’accord, mais pas en acceptant que s’instaure une durable dictature, dont le symptôme premier sont les menaces voilées ou pas, faites à nos médias.
      Un grand merci à Jean-Pierre Béjot, pour son soutien, depuis cette impérialiste contrée.

  • Le 9 février 2023 à 07:43, par sidpassata Veritas En réponse à : Médias : La liberté de la presse n’est pas une liberté à géométrie variable

    Aucun régime, aucun groupe médiatique n’aurait intérêt, pour sa propre survie, à oublier les aspirations du peuple et c’est pour cela que le vieux sage Michel KAFANDO avait dit que plus rien ne sera comme avant. Que tous les leaders d’opinion, y compris les médias et que tous les leaders politiques, y compris les régimes militaires et civils s’en convainquent : les populations du Burkina Faso joueront toujours le rôles de l’arbitre final contreceuxqui ne vont pas dans les sens de leurs aspirations et pour remettre un nouvel ordre en place.
    Alors, vous pouvez vous maudire ou vous encenser mutuellement ; les populations vous observent, vous jugent et vous classent en fonction uniquement de leurs aspirations. Il est donc important pour vous acteurs politiques et médiatiques de savoir à chaque fois vous vous accorder à la priorité du moment selon les aspirations du peuple qui vous tient tous à l’oeil. Un média ou un régime ne devient impopulaire que par le jugement du peuple et non d’un tribunal. Comprenne qui pourra !

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