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Sénégal : Les prémices d’une nouvelle ère

Publié le mardi 9 mars 2021 à 14h27min

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Sénégal : Les prémices d’une nouvelle ère

J’emprunte à Albert Camus ces mots : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Cet impératif est plus que jamais d’actualité. C’est surtout une alerte qui sied parfaitement à la situation prévalant, ces derniers jours, au Sénégal.

Au moment où tout le pays était suspendu à la décision du doyen des juges concernant le sort du leader du parti Pastef - Les Patriotes, Ousmane Sonko, des milliers de jeunes militants, étudiants ou chômeurs étaient dans les rues, prêts à aller à l’assaut des pandores.

Au delà des péripéties qui ont abouti au retour à son domicile du désormais chef de file d’une opposition ragaillardie par la reculade forcée du pouvoir, il faudra décrypter les nombreux messages qui suintent des événements en cours. Il ne faut pas s’y tromper : il s’agit véritablement d’une rupture systémique dans le mode de gouvernance politique instauré par le président Macky Sall depuis son arrivée au pouvoir. Pour la première fois, en effet, le chef de l’État sénégalais n’a semblé aussi peu isolé dans un domaine où il a toujours excellé par le passé. Une communication auparavant juste et à propos, conduite par des experts en la matière, mais dépassée, depuis le déclenchement de l’affaire « Adji Sarr – Ousmane Sonko », par la sentence populaire décrétant, « preuves à l’appui », qu’un complot avait été ourdi pour neutraliser un opposant ambitieux.

Le mois de mars est toujours un cauchemar pour l’opposition au Sénégal. C’est le 15 mars 2013 que Karim Wade, accusé de détournements de deniers publics, de corruption et d’enrichissement illicite, fut mis en demeure, avant de passer sous les fourches caudines d’une justice implacable (la Crei). Le 23 mars 2015, il sera condamné à six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende pour enrichissement illicite.

Le 30 mars 2018, au terme d’un procès qui aura duré près de deux mois et demi, Khalifa Ababacar Sall, député et maire de Dakar, a été condamné à 5 ans de prison ferme dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de la capitale sénégalaise. L’ancien dissident du Parti socialiste et leader de Taxawu Senegaal était placé en détention, depuis le 7 mars 2017, avec cinq de ses collaborateurs pour détournement de fonds publics.

Ce 8 mars 2021 n’a pas été seulement la journée internationale des droits des femmes. Elle marque aussi le début d’une nouvelle ère dans les rapports entre le pouvoir et l’opposition au Sénégal. Elle marque surtout le retour au premier plan d’un peuple longtemps mis à l’écart des joutes politiques et de nouveau mis en selle par la tournure dramatique d’un feuilleton inutile et inopportun en ces temps de Covid-19, de sécheresse financière et de disette économique. Inculpé et placé sous contrôle judiciaire, Ousmane Sonko, contrairement à Karim Wade et Khalifa Sall, est retourné dans sa famille, se payant même le luxe d’imposer, dans une allocution qui a fait sauter l’audimat, un agenda sur mesure au président de la République. Un affront de plus face à un adversaire apparemment désemparé et surpris par l’ampleur de la mobilisation populaire !

Encore une fois, l’exception sénégalaise garde ses lettres de noblesse. Les régulateurs et facilitateurs de tous ordres, notamment les émissaires des familles maraboutiques, se sont activés. Avec des fortunes diverses. Il suffit d’interroger l’histoire récente de pays limitrophes pour se rendre compte que le Sénégal a frôlé le pire ! Les événements que le pays a traversés ces derniers jours auraient pu le précipiter dans le chaos ou abréger le règne d’un pouvoir très éloigné des préoccupations essentielles d’une population désabusée.

En octobre 2014, il a suffi de trois jours seulement pour que Blaise Compaoré soit démis par le peuple burkinabè. Le 22 octobre, plusieurs organisations de la société civile, dont le Balai citoyen, mouvement porté par une jeunesse qui n’a connu que Compaoré au pouvoir, avaient appelé à la désobéissance civile. Le 29 octobre, son projet de modification de la constitution (pour briguer un autre mandat) avorte. Deux jours plus tard, le 31 octobre, aux environs de 12h, Blaise Compaoré prend la route d’un exil forcé avec quelques proches.

Plus récemment, en août 2020, au Mali voisin, le pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keita a été emporté par un soulèvement populaire conduit par le mouvement du 5 juin. Il aura juste fallu trois mois pour faire vaciller puis tomber le régime, mais la victoire finale sera récupérée par la junte militaire sur un plateau d’argent.

Le message à la nation du président Macky Sall était attendu. Fiévreusement. Certains supputant même qu’il en profiterait pour sonner le glas d’une éventuelle candidature à un 3e mandat. Que nenni ! Le discours est resté très aérien, survolant les grandes questions de l’heure, et privilégiant les acquis engrangés, selon lui, par le dialogue politique. Aucune allusion toutefois aux forces occultes et d’éventuels actes de terrorisme évoqués quelques jours auparavant par le ministre de l’Intérieur et d’autres relais du régime. Il faut se rendre à l’évidence ; si le président Macky Sall a, reconnaissons-le, initié un certain nombre d’initiatives qui ont permis au Sénégal de s’ouvrir davantage au monde, il est cependant passé à côté de l’essentiel : assurer aux Sénégalais de meilleures conditions d’existence, dans un contexte économique certes difficile, mais aussi accentué par la crise sanitaire avec la pandémie de coronavirus.

Dès lors, les récents évènements ne doivent pas remettre en cause l’impérieuse nécessité de voir tous les acteurs politiques, les forces vives et la société civile, œuvrer ensemble pour préserver le seul bien commun et cher à tous : le Sénégal, une nation qui doit rester debout, fière et digne d’assumer pleinement les responsabilités que lui confère sa souveraineté. Il appartient toutefois au président de la République, le seul maître du jeu politique, de donner des gages du respect scrupuleux de la Constitution et des engagements souscrits.

Il faut se réjouir du retour à un climat apaisé et au fléchissement des différentes positions. Les victimes, une dizaine, sont des morts de trop, des martyrs partis pour la plupart à la fleur de l’âge. Paix à leur âme ! Il faut veiller à ce que le combat, qui a entrainé leur perte cruelle, ne soit vain. Mieux, les uns et les autres doivent tirer toutes les leçons de cette séquence désormais inscrite au Panthéon de notre conscience nationale. « Rien ne sera plus comme avant ! » aimait dire le président Abdou Diouf.

Plus de vingt ans après son départ du pouvoir, ce slogan doit être réhabilité et revisité. Le Sénégal, ou plutôt la jeunesse sénégalaise, a beaucoup évolué. À l’ère des réseaux sociaux et d’un monde ouvert à toutes les influences, certaines pratiques n’ont plus droit de cité. Les jeunes ont pris leur destin en main et entendent exprimer leurs attentes. Ignorer cela serait suicidaire.

Bonne semaine à tous !

Karim DIAKHATÉ
Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN
Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE

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Vos commentaires

  • Le 9 mars 2021 à 14:58, par Lom-Lom En réponse à : Sénégal : Les prémices d’une nouvelle ère

    Je revois encore comme si c’était hier, la tête de ce Mr Macky Sall, au lendemain du coup d’Etat foireux du fameux général Diendéré qui a fait tant de victimes au Burkina, tenter de donner des leçon aux Burkinabè ! Quelle insulte à l’intelligence des Burkinabè ! Depuis lors malgré tout le respect que je dois à tout dirigeant, je n’ai plus jamais eu un peu considération pour lui. Ce qui se passe chez lui aujourd’hui n’est pas un coup d’Etat mais un simple mouvement de la rue et il doit remercier le ciel pour cette accalmie ! S’il ne prend garde, ce n’est l’Armée sénégalaise avec ses officiers dignes qui va le chasser mais c’est la rue qui va l’humilier comme "son ami et frère Blaise Compaoré" et la France ne pourra rien !

  • Le 9 mars 2021 à 15:02, par Baoyam En réponse à : Sénégal : Les prémices d’une nouvelle ère

    Quand le peuple est debout la francafrique et ses valets locaux tremblent. Seule la lutte paie.

  • Le 9 mars 2021 à 16:02, par TANGA En réponse à : Sénégal : Les prémices d’une nouvelle ère

    Hey Macky Sall, ça là c’est le vrai peuple qui te parle.
    Ce peuple que toi regarde avec mépris ne sait vendre poissons et venir te flatter. Il te dit la vérité.
    Même le vendeur de poissons ne pourra pas t’aider.

  • Le 9 mars 2021 à 16:48, par La Sagesse Africaine En réponse à : Sénégal : Les prémices d’une nouvelle ère

    ...Les dirigeants du monde, plus particulièrement ceux africains doivent comprendre définitivement que les choses ont beaucoup changé dans nos pays. Avec l’avènement des NTIC, le monde - ce village planétaire -
    vie à la vitesse "V" (grand V) à tel point que les jeunes aspirent à ce qui se passe de mieux à l’autre bout du monde. Nos dirigeants africains doivent sortir définitivement des sentiers battus faits de calculs politiciens de toutes natures, parfois même à la solde de puissances étrangères. ils veulent la démocratie et son contraire sinon à quoi servent toutes ces manœuvrent qui précèdent les scrutins électoraux sinon que de chercher à rester éternellement aux affaires au nom d’une certaine "stabilité". Notre jeunesse à soif de changements qui montrent qu’ils comptent et qu’ils peuvent espérer des lendemains meilleurs. Le Président Macky Sall oublie qu’il est aux affaires depuis avril 2012 (presque 10 ans déjà !), ce qui veut dire que les mineurs de l’époque sont devenus majeurs aujourd’hui, voire même responsable de famille. Ils ont la capacité d’analyse nécessaire pour évaluer ce que leur Président a fait pour eux (ou n’a pas fait pour eux). Un régime qui ne se remet pas en cause commettra à coup sûr l’erreur fatal de sa chute brutale. Maintenant, notre jeunesse doit aussi savoir que les institutions de la république sont faites pour être fortes et respectées et les 2 doivent aller de paire. Si elles ne sont pas fortes, il faut œuvrer pour qu’elles le soient, si elles ne sont pas respectées, c’est aussi de la responsabilité de tous. La rue devra être le dernier recours..., et ce qui se passe actuellement au Sénégal est un signal fort qui montre que ça ne va pas. La classe politique sénégalaise est interpellée dans sa globalité - la communauté internationale aussi ... car il vaut mieux éviter l’incendie au lieu de jouer au sapeur pompier.

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