Elections au Burkina : Les blessés de l’insurrection populaire attirent l’attention des candidats sur leur cas
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A quelques jours de la commémoration du sixième anniversaire de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, et à l’approche des élections couplées de novembre 2020, l’Association des blessés de l’insurrection populaire (ABIP) tire la sonnette d’alarme sur la situation au Pays des hommes intègres. Manipulation de l’opinion, promesses non-tenues, situation sanitaire de plus en plus critique. C’est un ensemble de points sur lesquels, l’ABIP attire l’attention de l’opinion publique contre ceux qui s’aventurent dans la conquête du pouvoir politique. C’était au cours d’une conférence de presse animée le mardi 22 septembre 2020, par le président de l’ABIP, Dramane Ouédraogo, et ses camarades.
Des malades toujours en attente de soins ou d’évacuation, des blessés qui découvrent chaque jour de nouvelles séquelles liées aux blessures lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre et du 2 novembre 2014. La liste des problèmes est longue. Ils sont plus de 250 personnes qui sont membres de l’Association des blessés de l’insurrection populaire au Burkina Faso. Les conférenciers du jour étaient accompagnés de leurs camarades blessés qui trainent toujours leurs souffrances. Jusqu’à quel niveau les impacts des blessures les affectent ? A quand des soins médicaux appropriés ? Personnes pour donner satisfaction à ces interrogations auxquelles ces blessés sont confrontés au quotidien.
Constant Bassolé, secrétaire général adjoint de l’Association, est co-animateur de cette conférence. Il a complétement perdu l’usage de son bras gauche. « Mon ventre a été touché par des balles. Et aujourd’hui, je ne peux plus me tenir debout pendant longtemps. J’ai un bras que je ne peux plus utiliser », raconte-t-il. Comment se débrouiller avec une famille à prendre en charge ? Ce qui suscite une interpellation à l’endroit du gouvernement, pour qu’il pense souvent à des soutiens en nature tels que des vivres, etc. Comme lui, Issouf Nacanabo, secrétaire à l’organisation, a aussi perdu l’usage de son bras gauche et vit les mêmes difficultés. Sauf que, contrairement à Constant Bassolé, Issouf Nacanabo a bénéficié d’une évacuation pour des soins à l’étranger.
Dans le rang des victimes qui ont bénéficié d’une évacuation sanitaire, il y a Innocent Ganou, un jeune qui a perdu un œil lors de l’insurrection, et qui a bénéficié d’une évacuation en France. Dramane Ouédraogo a témoigné sur l’état piteux de ce jeune homme qui vit en France comme un sans-domicile ou un sans-papiers, alors que c’est son pays qui l’y a envoyé. Selon lui, le jeune a bénéficié de douze interventions pour son œil. Des opérations non-achevées et infructueuses parce qu’elles n’ont pas bénéficié de suivi. « Nous taisons notre colère souvent parce que nous pensons que les populations ne savent pas souvent ce qu’il en est au fond », murmure-t-il. Son propre cas est tout aussi alarmant. En effet, raconte le président de l’association, « j’ai perdu complétement l’odorat. Mes propres excréments, on me les nettoyait sans que moi-même je sois capable de les sentir ou de m’en débarrasser. »
Des blessés déçus de l’attitude des politiques burkinabè
« Le gouvernement a fait des efforts certes, mais ils restent tout de même très insuffisants », reconnaît le président de l’ABIP-BF. Selon lui, à la veille de chaque commémoration, le gouvernement envoie une délégation de plusieurs ministres pour rencontrer les victimes de l’insurrection populaire et du putsch manqué. « Vous recueillez nos doléances mais une fois la commémoration passée, il nous est carrément impossible de vous revoir pour le suivi de ces doléances », regrette Dramane Ouédraogo.
Il a tenu à clarifier la position de l’ensemble des blessés. « Mais soyez-en sûrs, vous vous trompez sur toute la ligne. Nous n’avons pas risqué nos vies à cause de vous. Comme tous les Burkinabè qui étaient dans la rue durant ces jours de combat patriotique, nous luttons pour nous-mêmes et pour les futures générations », s’exclame-t-il, certain que rien ne pourra leur enlever le mérite de ces nobles luttes.
Les conférenciers se disent surpris et même déçus que certains leaders politiques plaident pour que la justice permette à un des accusés du putsch manqué de pouvoir aller se soigner convenablement, alors que ces mêmes politiciens n’ont jamais levé le petit doigt pour plaider pour une prise en charge convenable de victimes des 30 et 31 octobre et du 2 novembre 2014.
Au-delà des cas ci-dessus énumérés, les exemples de séquelles sont de plus en plus cuisants. C’est le cas d’Abaas Ilboudo, le plus jeune des blessés présents à la conférence de presse. Il raconte que tout son corps a subi des interventions chirurgicales. Evacués deux fois au Maroc, Abaas Ilboudo devait bénéficier d’une troisième et dernière évacuation pour finaliser son cycle de soins. « J’ai les papiers de l’évacuation, mais aucun moyen de pouvoir y aller pour suivre les soins », confie-t-il. Des plaies en putréfaction, des boiteux ou unijambistes, les malades étaient là pour réaffirmer leur ras-le-bol face au « traitement inhumain » auxquels ils ont été exposés.
Ainsi, les blessés ont adressé un message au ministre de la Santé, pour lui rappeler que leur dossier de prise en charge en cas de rechute liée aux blessures de l’insurrection ou du putsch manqué, traine dans ses bureaux. « Qu’en avez-vous fait ? Où en êtes-vous avec ce dossier ? », se demandent-ils. Ils réclament que le dossier soit opérationnel avant la commémoration prochaine, pour l’honneur de tous.
Des séquelles oui, mais l’ABIP-BF circonscrit les motifs de sa sortie médiatique
Les conférenciers se sont voulus on ne peut plus précis sur les motivations de leur sortie médiatique. Pour eux, ce sont les élections du 22 novembre 2020 et la commémoration du sixième anniversaire de l’insurrection, qui motivent cette sortie.
« En tant que blessés de la lutte des Burkinabè contre le tripatouillage de notre Constitution et le besoin d’alternance au sommet de l’Etat, nous venons souhaiter bonne chance aux candidats. Nous voulons aussi appeler les Burkinabè à exprimer leur choix durant le scrutin du 22 novembre prochain et à accepter les résultats qui en sortiront », ont-ils précisé.
Pour eux, ce sont des élections apaisées qui constituent la priorité. Mais contre ceux qui parlent de réconciliation nationale, de retour des exilés politiques ou de justice traditionnelle, les membres de l’ABIP-BF affirment qu’il s’agit de manipulation. « D’abord, il n’y a pas d’exilés politiques au Burkina, si ce n’est des bourreaux qui, par peur de la guillotine, ont décidé de quitter leur terre pour errer comme de vulgaires SDF à travers le monde », affirment les conférenciers.
Ensuite, ils pensent que la réconciliation requiert des préalables. Qui a fait quoi, qui se réconcilie avec qui, pourquoi une telle personne doit-elle se réconcilier avec telle autre ? C’est à ces questions qu’il faut répondre car, pour eux, « la réconciliation ne se décrète pas. Elle est un processus qui doit aboutir à l’apaisement des cœurs et l’acceptation de repartir sur de nouvelles bases. »
Etienne Lankoandé
Lefaso.net