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Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »

Publié le samedi 10 août 2019 à 00h29min

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Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »

Le 8 août 2019, le Conseil constitutionnel burkinabè a rendu une décision suite aux recours de quatre citoyens burkinabè sur la constitutionnalité du code pénal (Décision n°2019-17/CC du 8 août 2019). Il a déclaré la requête irrecevable au motif que la loi n’a pas encore été promulguée. Il dit par ailleurs dans son argumentaire que le citoyen ne peut saisir le Conseil constitutionnel que lorsqu’il est devant une juridiction dans une affaire qui le concerne et qu’il souhaite contester la constitutionnalité d’une loi que l’on veut lui appliquer. Cette décision appelle deux commentaires.

Premièrement, le Conseil constitutionnel dit que les citoyens ne peuvent pas saisir le conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois non encore promulguées. En réalité, il n’y a que le Conseil constitutionnel qui le dit puisqu’aucune disposition de la Constitution ne le dit. L’article 155 alinéa 2 dispose que les lois ordinaires peuvent être déférées au conseil constitutionnel avant leur promulgation. L’article 157 alinéas 1 et 2 énumère les personnes qui peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il contrôle la constitutionnalité des lois.

Dans cette liste, on trouve les citoyens à l’alinéa 2 dudit article qui dispose que « …tout citoyen peut saisir le conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité… ». En disant qu’il ressort de la lecture combinée des articles 155 et 157 que « seules les personnalités citées à l’article 157 alinéa 1, peuvent déférer au conseil constitutionnel une loi non encore promulguée pour le contrôle de sa conformité à la Constitution », le juge constitutionnel dit quelque chose que le texte de la Constitution ne dit pas.

Si l’on peut estimer que le juge constitutionnel a fait une précision du texte, il aurait fallu dans ce cas, faire un argumentaire solide et une pédagogie pour montrer pourquoi il dit qu’il n’y a que les personnalités de l’alinéa 1 c’est-à-dire le Président du Faso, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale et 1/10e des députés qui peuvent saisir le juge constitutionnel et pas les citoyens. Affirmer de manière expéditive que la lecture de la constitution permet de le dire n’est pas convenable et ne permet pas de construire l’Etat de droit que le Burkina Faso souhaite être.

Mais en réalité, on peut comprendre pourquoi le Conseil constitutionnel exclut le citoyen de la possibilité de le saisir aux fins de contrôle de constitutionnalité d’une loi non encore promulguée : il fait une interprétation erronée de l’alinéa 2 de l’article 157 de la Constitution.

Deuxièmement, dans son argumentaire dans le cadre de cette décision, le Conseil constitutionnel affirme que « le citoyen, conformément à l’article 157 alinéa 2, ne peut saisir le conseil constitutionnel de la constitutionnalité d’une loi que par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant une juridiction dans une affaire le concernant soit directement par lui-même, soit par les diligences de cette juridiction ». Or que dit l’article 157 alinéa 2 ? Il dispose : « En outre, tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction ».

La simple lecture de la disposition constitutionnelle et l’affirmation du Conseil constitutionnel, permet de voir que le juge constitutionnel a interprété la disposition de manière complètement erronée. En effet, par un jeu de domino dont il a le secret, le Conseil constitutionnel a supprimé la possibilité offerte au citoyen de le saisir directement. Il considère que c’est dans une procédure qui le concerne donc dans une procédure d’exception d’inconstitutionnalité que le citoyen peut saisir directement le Conseil constitutionnel, or la Constitution dit que le citoyen peut saisir le juge constitutionnel soit DIRECTEMENT soit par la PROCEDURE D’EXCEPTION D’INCONSTITUTIONNALITE.

C’est donc contre toute logique que le juge constitutionnel a entendu que la saisine directe se fait seulement à l’occasion d’une exception d’inconstitutionnalité. C’est bien si l’on peut saisir le juge constitutionnel directement dans une procédure d’exception d’inconstitutionnalité, mais la Constitution dispose que le citoyen peut saisir le conseil constitutionnel en l’absence d’un procès le concernant. En rappel, la procédure d’exception d’inconstitutionnalité existait depuis 2000 dans la loi organique du Conseil constitutionnel et depuis 2012 dans notre Constitution.

La révision constitutionnelle de novembre 2015 a ouvert la possibilité pour tout citoyen de saisir le juge constitutionnel lorsqu’il estime qu’une loi n’est pas conforme à la Constitution (ce qui est une grande avancée dans le constitutionnalisme burkinabè). Avec cette décision, les juges constitutionnels ont carrément retiré ce droit aux citoyens qui ne peuvent le saisir désormais que quand ils sont confrontés à une loi qu’ils jugent inconstitutionnelle à l’occasion d’un procès.

Demain, vous voudrez saisir le Conseil constitutionnel parce qu’une loi n’est pas conforme à la Constitution, il vous rappellera qu’il avait déjà dit dans une décision passée que le citoyen ne peut pas le saisir directement sauf s’il est dans une affaire qui le concerne en justice. Le Conseil constitutionnel nous prive d’un droit que la Constitution nous donne pourtant ! Quel paradoxe, quand le défenseur des droits et libertés en devient le fossoyeur !

Guetwendé Gilles SAWADOGO

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