Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Le 8 août 2019, le Conseil constitutionnel burkinabè a rendu une décision suite aux recours de quatre citoyens burkinabè sur la constitutionnalité du code pénal (Décision n°2019-17/CC du 8 août 2019). Il a déclaré la requête irrecevable au motif que la loi n’a pas encore été promulguée. Il dit par ailleurs dans son argumentaire que le citoyen ne peut saisir le Conseil constitutionnel que lorsqu’il est devant une juridiction dans une affaire qui le concerne et qu’il souhaite contester la constitutionnalité d’une loi que l’on veut lui appliquer. Cette décision appelle deux commentaires.
Premièrement, le Conseil constitutionnel dit que les citoyens ne peuvent pas saisir le conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois non encore promulguées. En réalité, il n’y a que le Conseil constitutionnel qui le dit puisqu’aucune disposition de la Constitution ne le dit. L’article 155 alinéa 2 dispose que les lois ordinaires peuvent être déférées au conseil constitutionnel avant leur promulgation. L’article 157 alinéas 1 et 2 énumère les personnes qui peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il contrôle la constitutionnalité des lois.
Dans cette liste, on trouve les citoyens à l’alinéa 2 dudit article qui dispose que « …tout citoyen peut saisir le conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure d’exception d’inconstitutionnalité… ». En disant qu’il ressort de la lecture combinée des articles 155 et 157 que « seules les personnalités citées à l’article 157 alinéa 1, peuvent déférer au conseil constitutionnel une loi non encore promulguée pour le contrôle de sa conformité à la Constitution », le juge constitutionnel dit quelque chose que le texte de la Constitution ne dit pas.
Si l’on peut estimer que le juge constitutionnel a fait une précision du texte, il aurait fallu dans ce cas, faire un argumentaire solide et une pédagogie pour montrer pourquoi il dit qu’il n’y a que les personnalités de l’alinéa 1 c’est-à-dire le Président du Faso, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale et 1/10e des députés qui peuvent saisir le juge constitutionnel et pas les citoyens. Affirmer de manière expéditive que la lecture de la constitution permet de le dire n’est pas convenable et ne permet pas de construire l’Etat de droit que le Burkina Faso souhaite être.
Mais en réalité, on peut comprendre pourquoi le Conseil constitutionnel exclut le citoyen de la possibilité de le saisir aux fins de contrôle de constitutionnalité d’une loi non encore promulguée : il fait une interprétation erronée de l’alinéa 2 de l’article 157 de la Constitution.
Deuxièmement, dans son argumentaire dans le cadre de cette décision, le Conseil constitutionnel affirme que « le citoyen, conformément à l’article 157 alinéa 2, ne peut saisir le conseil constitutionnel de la constitutionnalité d’une loi que par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée devant une juridiction dans une affaire le concernant soit directement par lui-même, soit par les diligences de cette juridiction ». Or que dit l’article 157 alinéa 2 ? Il dispose : « En outre, tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction ».
La simple lecture de la disposition constitutionnelle et l’affirmation du Conseil constitutionnel, permet de voir que le juge constitutionnel a interprété la disposition de manière complètement erronée. En effet, par un jeu de domino dont il a le secret, le Conseil constitutionnel a supprimé la possibilité offerte au citoyen de le saisir directement. Il considère que c’est dans une procédure qui le concerne donc dans une procédure d’exception d’inconstitutionnalité que le citoyen peut saisir directement le Conseil constitutionnel, or la Constitution dit que le citoyen peut saisir le juge constitutionnel soit DIRECTEMENT soit par la PROCEDURE D’EXCEPTION D’INCONSTITUTIONNALITE.
C’est donc contre toute logique que le juge constitutionnel a entendu que la saisine directe se fait seulement à l’occasion d’une exception d’inconstitutionnalité. C’est bien si l’on peut saisir le juge constitutionnel directement dans une procédure d’exception d’inconstitutionnalité, mais la Constitution dispose que le citoyen peut saisir le conseil constitutionnel en l’absence d’un procès le concernant. En rappel, la procédure d’exception d’inconstitutionnalité existait depuis 2000 dans la loi organique du Conseil constitutionnel et depuis 2012 dans notre Constitution.
La révision constitutionnelle de novembre 2015 a ouvert la possibilité pour tout citoyen de saisir le juge constitutionnel lorsqu’il estime qu’une loi n’est pas conforme à la Constitution (ce qui est une grande avancée dans le constitutionnalisme burkinabè). Avec cette décision, les juges constitutionnels ont carrément retiré ce droit aux citoyens qui ne peuvent le saisir désormais que quand ils sont confrontés à une loi qu’ils jugent inconstitutionnelle à l’occasion d’un procès.
Demain, vous voudrez saisir le Conseil constitutionnel parce qu’une loi n’est pas conforme à la Constitution, il vous rappellera qu’il avait déjà dit dans une décision passée que le citoyen ne peut pas le saisir directement sauf s’il est dans une affaire qui le concerne en justice. Le Conseil constitutionnel nous prive d’un droit que la Constitution nous donne pourtant ! Quel paradoxe, quand le défenseur des droits et libertés en devient le fossoyeur !
Guetwendé Gilles SAWADOGO
Vos commentaires
1. Le 9 août 2019 à 20:37, par Erasmus En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
À la lecture de votre billet, il y a un parfum de suffisance et condescendance qui me gène, monsieur Gilles SAWADOGO. En somme, les membres de ce conseil se trompe lourdement, ont interprété les textes de façon erronée...etc. Dans le meilleur des cas, c’est juste des incompétents, et dans le pire...des fossoyeurs de nos libertés. En attendant d’en savoir plus sur votre bagage intellectuel, je porte en haute estime certains des membres de ce conseil qui ont été pour beaucoup dans le succès de mon cursus universitaire, qui sont des érudits dans le domaine du droit.
Le 9 août 2019 à 21:53, par Étonnant En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
À Erasmus.
L’argumentaire de M. Gilles Sawadogo semble bien vous être resté en travers de la gorge. Soit !
Mais, hormis le fait d’y voir de la "suffisance" et de la "condescendance" ou encore de vous interroger sur le "bagage intellectuel" de M. Sawadogo, pourriez-vous, à votre tour, argumenter et nous dire en quoi son intervention se fourvoie ?
Le 9 août 2019 à 22:16, par Rek En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Monsieur Erasmus,
Vous n’apportez que des jugements de valeur à l’analyse de Monsieur Sawadogo. Si ceux que vous défendez farouchement vous ont réellement bien formé comme vous l’affirmez, vous devez avoir les arguments contre ce que Monsieur Sawadogo dit et non pas vous contenter de le traiter de suffisant.
Il a donné des arguments scientifiques. Si vous en avez aussi, exposez-les pour nous aider à comprendre.
On veut comprendre les décisions du Conseil constitutionnel, garant de nos libertés ; c’est tout.
Rek
Le 9 août 2019 à 23:08, par Papou En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Ne cherchez pas loin, acceptez qu’il a un bon bagage intellectuel. C’est un doctorant en droit constitutionnel. Ça suffira.
Le 9 août 2019 à 23:11, par Zida Modibo Relwendé En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Le mieux serait de mon point de vue, d’apporter la contradiction à sa production hautement intellectuelle basée sur des articles de la constitution Burkinabè plutôt que des jugements de valeur. Quel est votre avis sur la décision du conseil constitutionnel ? C’est tout ce qu’on vous demande !
Le 10 août 2019 à 00:04, par Koala En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Voilà un. Quelqu’un écrit un document avec argumentaire simple et citation vérifiable toi tu viens ko il est suffisant ! Étonnant d’une réponse venant d’un homme qui a fait le droit. Argumente comme il l’a fait et nous aviserons
Le 10 août 2019 à 12:03, par Koudougou Moussa En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Peut être les membres se trompeNT lourdement !
2. Le 9 août 2019 à 22:49, par gohoga En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Mr connait le droit plus que les membres du Conseil Constitutionnel. Il faut qu’on le nomme à la place de ces incompétents. Hee ! Le burkinabè vous êtes trop fort.
3. Le 10 août 2019 à 07:25, par Éric Daniel En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Clair et limpide monsieur Sawadogo. Vois avez expliqué de façon simple pour que les profanes comme nous puissions comprendre facilement.
4. Le 10 août 2019 à 08:24, par Karim En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
La constitution dit très clairement que le citoyen peut saisir le CC sur des lois et pas autre chose. La loi n’est en vigueur qu’après promulgation pas avant. Donc attendez la promulgation avant de dénoncer.
5. Le 10 août 2019 à 09:57, par Sidzabda En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Merci à M. Sawadogo pour cet article qui est aussi limpide que l’eau de roche. C’est un argumentaire qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Preuve qu’il n’est suffit pas de se couvrir d’une longue toge pour se dire érudit de droit. Il faut être foncièrement de bonne foi pour exercer noblement cette fonction.
J’ai l’impression que nos juges constitutionnels, parce qu’il n’y a aucun autre recours possible après leur délibéré, se complaisent à l’analyse superficielle des dossiers qui leurs sont soumis et la plupart du temps on a l’impression qu’ils ne cherchent pas à suffisamment motiver leur décision d’arguments irréfutables. Un autre danger pour notre République et jeune démocratie.
6. Le 10 août 2019 à 11:54, par Le Vigilent En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Mr Sawadogo ne nous dit pas si le citoyen peut saisir le Conseil Constitutionnel sur une loi non encore promulguée. Les auteurs de la saisine ne pouvaient-ils pas attendre que la loi soit promulguée avant cette saisine ? L’intention des auteurs de la saisine était-
elle d’empêcher la promulgation de la loi ? Si oui, la Constitution a-t-elle prévue cette possibilité pour tout citoyen ? Je crains fort que ce soit plutôt Mr Sawadogo qui aie fait une lecture partielle ou erronée des différentes dispositions de la Constitution relatives à la saisine du Conseil Constitutionnel.
Le 10 août 2019 à 18:47, par Gilles Sawadogo En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Monsieur, la réponse à votre question se trouve dans le texte. La Constitution a cité ceux qui peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour un contrôle de constitutionnalité des lois. Il s’agit du PF, du PM, du PAN, de 1/10eme des députés et tout citoyen. Encore selon la constitution, le contrôle de constitutionnalité des lois peut se faire avant où après promulgation. En tout cas, aucune disposition de la constitution ne dit que le citoyen peut saisir le conseil constitutionnel seulement après promulgation. Dans le texte, j’ai précisé qu’on peut estimer que le juge constitutionnel a précisé une disposition de la constitution. Mais il aurait fallu qu’il dise que ce n’est pas la constitution qui le dit mais lui et surtout pourquoi lui, conseil constitutionnel, le dit. En réalité cet aspect n’est pas la principale de mon billet (le titre peut vous le dire).
Le plus choquant dans la décision du CC est l’interprétation qu’il fait de l’alinéa 2 de l’article 157 que j’ai développé dans la deuxième partie. Il s’agit d’une interprétation contre la constitution par lequel le juge retire un droit au citoyen alors que la constitution le lui donne.
P. S : le CC a rejeté le recours parce que la loi n’était pas encore promulguée, or au jour où il rend la décision (8 août) la loi avait déjà été promulguée (31 juillet).
Le 11 août 2019 à 10:33, par Elkabore En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
M.Sawadogo s’appesantit sur oui ou non le citoyen a le droit de saisir le conseil constitutionnel. La réponse estoui selon les dispositions de la constitution(article 157). Mais la vraie question est c
elle relative au moment de la saisine. La saisine du CC par le citoyen est-elle possible pour une loi non pomulguee ?Non selon le conseil et c’est ce qui a valu le rejet du recours.Peut-on pour cela traiter les membres du conseil de fossoyeurs de la démocratie ?Pourquoi les recourants n’ont pas attendu la promulgation de la loi ? Quelle était l’urgence ?
Le 11 août 2019 à 11:39, par Gilles Sawadogo En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Pourquoi pour la réponse à la question relative au moment de la saisine vous répondez "non" selon le conseil et pas selon la constitution ? Le conseil doit dire ce que la constitution dit et si la constitution n’a pas fixé de moment de saisine, vous ne pouvez pas ve ie nous dire que c’est seulement après la promulgation. Si le conseil le dit, il doit dire pourquoi il a écarté la possibilité de le saisir d’une loi non encore promulguée au lieu de dire qu’il tient cela de la constitution, ce qui n’est pas vrai !
Le 11 août 2019 à 23:34, par Mityimsom En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
Dire qu’il faut que la loi soit promulguée avant que le citoyen ne puisse saisir le conseil constitutionnel est contraire à la constitution car vous ne verrez aucune disposition qui dit cela. Par ailleurs, cette position du conseil constitutionnel défie toute logique et même le simple bon sens (commun). Quel est l’objectif de la saisine du conseil constitutionnel en cas de recours pour inconstitutionnalité ? Empêcher qu’une loi contraire à la constitution, à tout le moins supposé telle par le recourant entre en vigueur ou si la loi est déjà entrée en vigueur, qu’elle ne puisse plus produire ses effets. Or une loi n’entre en vigueur et donc ne produit ses effets que si elle est promulguée. Donc la logique voudrait que l’on puisse l’attaquer avant même sa promulgation pour qu’en cas d’inconstitutionnalité confirmée par le conseil constitutionnel, elle ne puisse pas être promulguée. En fait l’argumentaire du conseil constitutionnel s’inscrit dans une logique qui est à elle, bien sûr erronée puisque pour lui le citoyen ne dispose que de l’exception d’inconstitutionnalité. Ne disposant que cette voie et celle-ci n’étant offerte que lors du contentieux de l’application de la loi, donc une fois en vigueur, le conseil ne pouvait que conclure l’impossibilité de recourir contre une loi que lorsqu’elle est promulguée.
7. Le 10 août 2019 à 20:45, par passakziri En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
C’est eux là le vrai problème de l’afrique. Les juges au pas des gouvernants. Qui ne savent interpreter la loi que dans un sens, celui qui arrange les gouvernants du jour. J’attends encore ce magistrature suprême en afrique qui saura faire preuve de son indépendance vis à vis de l’exécutif.
Passakziri
8. Le 11 août 2019 à 07:44, par Léger En réponse à : Rejet du recours de citoyens contre le Code pénal : « Quand le Conseil constitutionnel retire un droit accordé aux citoyens par la Constitution ! »
M. Gohoga,
Vous savez bien que nul n’a le monopole de la connaissance. D’abord, ce n’est pas parce qu’on est au conseil constitutionnel qu’on sait tout. Ensuite, au Conseil, il y a des considérations de divers ordres qui peuvent induire les juges en "erreur". Enfin, je pense que M. Sawadogo a fait une bonne analyse et a donc joué un rôle citoyen.
Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme Le Vigilent, si la constitution ne précise pas que la saisine directe des citoyens doit porter sur une loi promulguée, c’est qu’elle n’a pas entendu restreindre cette possibilité. Aussi, même s’il faut considérer que l’imprécision de la constitution sur cet élément oblige le Conseil à choisir, il aurait dû choisir ce qui garantit mieux les droits des citoyens et non pas autre chose.