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« Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso ! (9)

Publié le mardi 15 décembre 2015 à 15h46min

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« Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso ! (9)

Le mandat 2010-2015 de Blaise Compaoré aura été le mandat de trop. Cela était évident avant même que « l’insurrection populaire » ne l’écourte d’une année. Consécutivement à « l’affaire Norbert Zongo », le début du XXIè siècle aura été pour le Burkina Faso la décennie de toutes les dérives ; mais au sein de l’équipe au pouvoir, bien peu voudront le reconnaître. Il faut accorder à Roch Marc Christian Kaboré, et plus encore à Salif Diallo, d’avoir su anticiper la crise et d’avoir entrepris de se sauver d’un désastre annoncé.

Bien sûr, cela ressemble plus à du pragmatisme (pour ne pas dire l’opportunisme « des rats qui quittent le navire avant qu’il ne coule ») qu’au résultat d’une analyse rigoureuse de la situation ; mais, au soir des événements des 30-31 octobre 2015, il était plus valorisant d’être dans le camp de ceux qui avaient foutu… le camp dix mois auparavant que dans celui des jusqu’au-boutistes prêts à s’engager dans un rapport de force avec les Burkinabè pour faire passer la révision de l’article 37.

Les « mutineries » de 2011, y compris au sein du RSP, auraient pourtant dû agir comme un avertissement (plus encore l’année des « printemps arabes »). Elles se sont déroulées au lendemain de la présidentielle 2010 et ont été déclenchées par « l’affaire Justin Zongo », cet élève de Koudougou assassiné par la police. Tertius Zongo, qui venait d’être reconduit à la tête du gouvernement et de renouveler celui-ci (avec le retour sur le devant de la scène du docteur Bongnessan Arsène Yé, figure emblématique de la « Rectification ») perdra son poste de premier ministre au profit de Beyon Luc Adolphe Tiao. Tout le monde avait le regard fixé sur l’horizon 2015 sans se soucier du présent. Alors que le président du Faso ne s’exprimait qu’avec parcimonie sur la question, les partis ne cesseront de dénoncer les manœuvres du pouvoir pour remettre en question l’article 37 et formaliser un Sénat jugé inutile.

Les populations urbaines, motivées par d’autres revendications (notamment la « lutte contre la vie chère », les connexions affairo-politiques des gens au pouvoir et les dysfonctionnements de l’administration) vont s’agréger aux « marches » organisées par les leaders de l’opposition. Nous sommes en 2013 et son chef de file est alors Zéphirin Diabré, encore en phase de rodage politique. Tout le monde parie, alors, sur un duel Compaoré/Diabré en 2015, version burkinabè de la dernière présidentielle sénégalaise : Wade/Sall. Jusqu’à ce dimanche 5 janvier 2014 où le trio Kaboré/Diallo/Compaoré (il s’agit, bien sûr, de Simon Compaoré, ancien maire de Ouagadougou) va décider de faire imploser le CDP. Assimi Kouanda, qui dirigeait le parti présidentiel et s’occupait de tout un tas d’autres choses, va être déchargé de ses fonctions de directeur de cabinet du président du Faso pour s’occuper à temps plein du CDP. Alain Yoda, président du groupe parlementaire CDP à l’Assemblée nationale, qui confondra, pour l’occasion, légalité et légitimité, va fanfaronner tout en continuant à s’illusionner : « Nous avons 70 députés, plus de 12.000 conseillers municipaux, 12 conseils régionaux sur 13. Je ne sais pas ce que vous voulez maintenant comme légitimité ».

Six ans auparavant, le 27 janvier 2008, à la veille de son départ du gouvernement (23 mars 2008) et de son « exil » diplomatique en Autriche, dix-huit mois avant d’être suspendu de ses fonctions au sein du CDP dont il était vice-président chargé de l’orientation et des questions politiques (16 juillet 2009), Salif Diallo avait la même assurance : celle des hommes au pouvoir.
Ce 27 janvier 2008, Diallo, dans un entretien accordé à la RTB, avait affirmé : « Nous avons affaire à des adversaires politiques qui cherchent à conquérir le pouvoir et nous œuvrons aussi à le conserver. Si donc nous pouvons accélérer leur décomposition interne, nous faisons des coups politiques, mais pas en-dessous de la ceinture. Je ne suis pas blanc comme neige dans cette situation. En tant que parti au pouvoir, nous avons l’appareil d’Etat, ce qui est une longueur d’avance sur l’opposition dans nos pays africains ».

L’année 2008, après celle de 2007, sera celle des manifestations de grande ampleur contre « la vie chère ». « La réaction d’un gouvernement face à un mouvement social est révélatrice de la nature du régime politique qui a sécrété ce gouvernement. Dans le cas d’espère, le gouvernement burkinabè a laissé libre cours à ses réflexes autoritaires, à sa méfiance à l’égard de mouvements de revendication qu’il assimile le plus souvent à une ruse de ses opposants. La spontanéité et la violence des contestations ont éveillé la suspicion des autorités, qui y ont vu une manipulation d’opposants destinés à ébranler le gouvernement du nouveau premier ministre, voire le régime lui-même ». L’homme qui s’exprime ainsi s’appelle Augustin Loada. C’est dans la newsletter du CETRI, le Centre Tricontinental dont le siège est en Belgique, que son article intitulé : « Burkina Faso : petites manœuvres et grandes résolutions face aux mobilisations » a été publié (il a été extrait de l’ouvrage « Etat des résistances dans le Sud – 2009. Face à la crise alimentaire », publié en novembre 2008 par le CETRI). Loada, professeur de droit et de science politique, est actuellement ministre de la Fonction publique dans le gouvernement de la « transition ». Il a été un des deux ministres (l’autre étant René Bagoro, en charge de l’Habitat) séquestrés pendant trois jours, à Kosyam, par le RSP lors de la tentative de coup d’Etat de Diendéré.

Diallo le promettra, le week-end du 5-6 avril 2014, à l’occasion du premier congrès du MPP : « En novembre 2015, nous serons à Kosyam ». Ce sera décembre 2015. Mais pour y parvenir, il aura fallu des circonvolutions qui, alors, étaient improbables : à commencer par une « insurrection populaire » qui allait contraindre Compaoré à la démission. Et des circonvolutions dans les circonvolutions plus improbables encore comme la décision illico presto de Djibrill Y. Bassolé, un des piliers du régime, à fonder un parti et à être candidat à la présidentielle, mais également comme la tentative de coup d’Etat de Gilbert Diendéré. Tout cela alors que, voici peu d’années encore, c’était Zéphirin Diabré qui semblait le mieux placé pour être le challenger.

Diabré, Diallo, Kaboré, Bassolé, Diendéré. Ce sont les ex-« compaoristes », et non des moindres, qui, au cours de l’année passée, ont joué les premiers rôles politiques. C’est dire que c’est un « changement dans la continuité ». Et que la « transition » n’aura été qu’un interlude ; ce qui était, finalement, sa vocation*. Plus digne et plus efficace qu’on ne pouvait s’y attendre grâce essentiellement à la façon d’être et de faire de son président, président du Faso et président du Conseil des ministres, Michel Kafando, et cela malgré l’obligation dans laquelle il s’est trouvé d’appeler au poste de premier ministre, l’ex-RSP, ex-chef de l’Etat, lieutenant-colonel aujourd’hui général de division, Yacouba Isaac Zida, ce qui n’a pas manqué de troubler la nature politique et sociale de la « transition ».

Il y a, aujourd’hui, une certitude : le nouveau pouvoir qui va s’installer officiellement dans les jours qui viennent ne pourra pas faire l’impasse sur ce qui s’est passé non seulement les 30-31 octobre 2014 mais également au cours de l’année écoulée. Il faudra, à ce nouveau pouvoir, être plus exemplaire encore que ne l’a été la « transition » (qui avait plus de légitimité que de légalité) s’il veut être, réellement, en rupture par rapport aux années Compaoré dont les nouveaux élus auront été les enfants chéris.

* Il faudra, cependant, écrire l’histoire de cette « transition » qui, bien que débouchant sur le retour au pouvoir d’un homme qui, par certains aspects, est un « homme du passé » (ainsi que Valéry Giscard d’Estaing avait qualifié François Mitterrand lors du débat pour la présidentielle 1974), a permis à la société civile de prendre conscience de son pouvoir de contestation. Bien sûr, celui-ci n’est rien sans la force qui lui permettrait de s’imposer ; c’est que la société civile, complexe, hétérogène, contradictoire, ne saurait être un parti politique et que les partis politiques, y compris le MPP, peuvent ramasser le pouvoir mais pas le conquérir en vue de le conserver. Cependant, il restera de cette année 2014-2015 le refus d’une partie de la population de penser que ce n’était qu’un rêve ; refus d’autant plus affirmé que la « transition » n’aura pas manqué d’acquis dans certains domaines.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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