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Les contes d’Issaka Sondé : Le peuple du Sofa Kiburna et la traversée du fleuve sacré

Publié le mardi 15 décembre 2015 à 01h50min

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Les contes d’Issaka Sondé : Le peuple du Sofa Kiburna et la traversée du fleuve sacré

Dans le conte précédent intitulé "Le naufrage", nous avions déploré et condamné la survenue tragique du naufrage alors que la rive était déjà à portée de vue, alors qu’onze mois de navigation avaient déjà été réalisés, et qu’il ne restait qu’à peine un mois pour la traversée totale du fleuve sacré.

En conclusion, nous nous demandions si la messe était vraiment dite pour le peuple souverain et patriotique du Sofa Kiburna. Nous nous demandions si, face à la forfaiture et à l’ignominie en cours, ce peuple qui sait souvent fermer les yeux sans pour autant dormir, allait accepter impuissant et résigné, ou s’il enclencherait une réaction triomphale vers l’horizon du bonheur à la reconquête de sa liberté confisquée et une fois de plus vaincre ou périr au nom de la patrie.

Eh bien ! Les réponses ne tardèrent guère. A peine le tambour sacré eut tonné sous les doigts rugueux du colonel médecin Babam, annonçant la fin de la traversée du fleuve sacré et les mesures immédiates prises par le Conseil National de la Dictature (CND), le sang du peuple héroïque et fier du Sofa Kiburna fit un tour rapide dans les vaisseaux, monta en ébullition, rougit les yeux, réveilla et réanima les fibres patriotiques de l’ensembles des dignes filles et fils du royaume.

Le CND ne tarda point à se rendre compte qu’il s’était trompé de peuple et surtout d’époque. La loi de la kalache et de la baïonnette étaient à jamais révolue. Le CND, ne l’ayant pas compris assez tôt, l’apprit à ses dépens. La mobilisation fut immédiate et générale aux quatre coins du royaume. Les dignes filles et fils, à l’unisson, condamnèrent et rejetèrent la forfaiture. Partout, la résistance s’organisa spontanément à la hauteur du forfait. Pas un seul service fonctionnel dans le public et dans le privé ; pas une seule boutique et marché ouverts ; le reste de la grande muette ne fit pas le ralliement escompté ; la branche politique du CND ne put suffisamment mobiliser pour applaudir et soutenir la bêtise. Sentant l’échec se profiler, certains complices "achillèrent" rapidement hors du royaume. Voilà le CND tout seul, devant compter uniquement sur le PSR craint mais vomi du peuple. Voilà le CND tout embêté, avec des morts dans les rues, des blessés dans les hôpitaux, le putsch dans la gorge, ne pouvant ni avaler, ni cracher sa forfaiture. Cependant, il lui fallait coute que coute une voie de sortie, une issue pour sauver la face. Heureusement pour le peuple héroïque, les issues étaient devenues peu nombreuses, voire inexistantes pour le CND. L’une des rares issues qui se présentaient, c’était la main tendue de la Communauté des Etats Domptés, Exploités, Appauvris et Opprimés (CEDEAO), le fameux syndicat des chefs d’États. L’Union Africaine quant à elle, avait annoncé les couleurs à la première heure du putsch par la voix de sa présidente, en traitant de terroristes les acteurs du putsch ignoble. Or, en ces temps qui courent, il vaut mieux être traité de tous les noms d’oiseaux que d’être affublé de cet adjectif abject. Tous les espoirs du CND étaient donc tournés sur la médiation de la CEDEAO. Pour une fois, celle-ci ne pouvait être accusée d’avoir manqué d’anticipation. Le médiateur en chef, Yayi Boni, n’avait-il pas été désigné par ses pairs avant même que la crise n’éclate au Sofa Kiburna ? Pour lui, la crise tombait donc à point nommé en précipitant son entrée sur scène. Ironie du sort, c’est le royaume de l’ex médiateur hors catégorie Naaba Laibse qui était concerné.

En réalité, dès l’annonce de la forfaiture du PSR le 16 septembre 2015, se déclenchent concomitamment trois tentatives de médiations. D’abord, la médiation externe de la CEDEAO représentée par les présidents Macky Sall et Yayi Boni ; puis, deux médiations internes : celle du Mogho Naaba, et celle des sages du Sofa Kiburna, menée par Mgr Philippe Ouedraogo et l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo. De l’autre côté, il y avait la pression intense et continue du peuple fier et souverain du Sofa Kiburna fortement soutenue par l’Union Africaine, l’ONU, les USA tandis que certains institutions et pays, par calculs machiavéliques restaient prudents en attendant de voir de quel côté le vent tournerait avant de véritablement prendre position.

Arrivés à Ouagadougou le 18 Septembre, Yayi Boni, flanqué de son homologue Macky Sall, étaient à côté de la plaque et rapidement mis hors-jeu par méprise de la détermination du peuple souverain du Sofa Kiburna et de la délicatesse de la situation. Loin d’avoir été une panacée, la fameuse médiation de la CDEAO, avec ses 13 points de sortie de crise, s’est révélée explosive malgré l’annonce de la "bonne nouvelle" prêchée par Yayi Boni le 19 Septembre. Deux points ont constitué les principaux éléments d’achoppement. L’inclusion stipulant au point 8 que "Les personnes dont les candidatures ont été invalidées sur la base des articles 135 et 166 de la loi électorale du 7 avril 2015 seront autorisées à participer aux prochaines élections. A cet égard, des dispositions nécessaires seront prises avant le 30 septembre 2015" et l’amnistie amnésie stipulant au point 12 que "L’acceptation de pardon et l’adoption d’une loi d’amnistie au plus tard le 30 septembre 2015 sur les évènements consécutifs au coup d’Etat du 17 septembre 2015".

Le peuple souverain du Sofa Kibourna eut l’impression que la CEDEAO tentait coûte que coûte de sacrifier sa volonté légitime pour ne satisfaire que les caprices du CND désavoué. La résistance repartit de plus belle, sa voix hautement et au loin portée par la fréquence108.0 FM dénommée radio de la résistance. Dès le 18 Septembre, le président du CNT s’autoproclamait président du Sofa Kiburna, en intérim du président intérimaire M’ba Chelmi.

A partir du 20 Septembre, commença la longue attente des discussions et la validation du pré-accord de médiation de la CEDEAO au cours de l’assemblée sous régionale des Chefs d’Etats ouest-africains qui se réunirait le 22 septembre à Abuja. En interne, dès le 21 septembre, sous la conduite du Mogho Naaba, le CND et l’armée loyaliste signent un pacte de non-agression. Ce pacte prévoit le retrait des forces militaires dans les casernes, la sortie des unités venues de l’intérieur à 50 km hors de Ouaga et le consensus sur la médiation de la CEDEAO.

Avant même que la délégation de la CEDEAO ne soit de retour à Ouaga avec son projet de pré-accord validé, au soir du lundi 21 Septembre, M’ba Chelmi qui était en résidence surveillée est exfiltré chez l’Ambassadeur de France. Avant l’aube, Couyaba Diza recouvrait également la liberté de même que les autres membres du gouvernement séquestrés. M’ba Chelmi sans attendre sa réinstallation officielle, reprit immédiatement du poil de la bête et affirma exercer les pleines fonctions étatiques. Le 22 septembre 2015, il annonça qu’il ne se sentait pas ténu par les propositions de la CEDEAO, mais par celles du peuple souverain.

Les choses commencèrent à se brouiller pour le CND. Le rapport de forces devint très défavorable. Le CNT, l’UA, l’ONU, la France, les Etats-Unis, ne veulent plus entendre parler de l’avant-projet d’accord de sortie de crise de la CEDEAO. Le 23 septembre à Ouagadougou, le séjour des représentants de la CEDEAO est réduit à un seul point d’ordre du jour qui est la réinstallation de la transition. Yayi Boni range ses brouillons et assure le service minimal. Le gouvernement de la transition est réinstallé dans sa totalité avec en perspective, le retour à la normalité. La périlleuse traversée du fleuve sacré reprit son cours pour le peuple héroïque, combattant et fier du Sofa Kiburna. Le premier conseil des notables se tînt le vendredi 25 Septembre entérinant la dissolution du PSR décrétée le 22 Septembre par le président du CNT. Deux autres importantes mesures sont prises : la création d’une commission d’enquête sur les infractions commises lors du putsch et l’annonce par le parquet du gel provisoire des avoirs de quatorze personnalités et de quatre partis politiques suspectés d’avoir soutenu le putsch. L’étau se resserrait dangereusement sur le CND. L’armée loyaliste, tout en peaufinant sa stratégie d’attaque, commençait à hausser le ton menaçant pour dissuader, dompter et vaincre le PSR sans combattre.

La désillusion et la confusion régnaient désormais au camp Naaba Koom II. Les éléments du PSR exigeaient de leur chef, beaucoup de feuilles avant d’occuper les positions stratégiques pour le combat sans gloire. Mais dès que les feuilles tombaient, les éléments les pillaient et "acchillaient" rapidement à moto pour aller s’inscrire au camp Général Sangoulé Lamizana et se mettre à la disposition de l’armée loyaliste. Le 28 septembre, seuls quelques irréductibles drogués restaient au camp Naaba Koom II pour défendre le CND moribond. Dans la soirée, le déploiement impressionnant de l’armée loyaliste sur les grandes avenues de Ouaga, laissait présager que quelque chose se tramait. Très tôt dans la matinée du 29 septembre, un communiqué du chef d’état-major général des armées (CEMGA) invitait les populations de Ouaga à éviter tout mouvement dans la zone de Ouaga 2000 et environs. Les résidents du quartier Ouaga 2000 et environs sont invités à rester chez eux. La psychose était générale dans les esprits. A 16h47, une grande détonation se fit entendre. La panique s’installa à Ouaga surtout dans les quartiers Gounghin et Ouaga 2000. Le temps de s’informer et de réaliser ce qui se passait, à 16h52 une autre puissante détonation intervint. A 17h16, quatre détonations successives paralysent Ouaga. C’est l’artillerie lourde de l’armée loyaliste qui, depuis le camp du Général Sangoulé Lamizana, avec une très grande précision, s’adressait aux occupants du camp Naaba Koom II. Les sous-officiers formés en Allemagne se mettaient en valeur par la pratique de leur théorie. Les occupants du camp Naaba Koom II "achillèrent" sans demander leurs restes. A 18h00, Radio Oméga diffusait l’interview du chef du CND enregistrée au environ de 17h45. Quelques instants après, il intervint sur BBC Afrique pour appeler les soldats de l’ex-PSR à déposer les armes.

Ayant échoué dans sa tentative de trouver refuge à l’ambassade des USA, il finit par choir à la nonciature pendant que l’armée loyaliste menait les opérations de ratissage du camp Naaba Koom II conformément à sa devise : "Souvent construire, parfois détruire, toujours servir". Une page importante venait d’être tournée au Sofa Kiburna. Au prix de 15 pertes en vies humaines, le peuple héroïque et patriotique en lutte pour ses droits et son honneur venait de remporter une bataille historique et pouvait continuer à marcher la tête haute vers son glorieux destin au nom de l’espérance, de l’espoir, de la liberté et de la vraie démocratie. L’épopée radieuse de la traversée du fleuve sacré reprit son cours de plus belle en dépit des sorts maléfiques, des intrigues de toutes sortes et autres sorcelleries des forces du mal.

Comme initialement prévue, mais retardée par "le putsch le plus bête de l’histoire", la traversée du fleuve sacré devrait prendre fin par l’intronisation d’un nouveau roi. Les gardiens des coutumes et l’ensemble de sages du royaume après diverses consultations divinatoires, proposèrent unanimement la date du 29 Novembre comme étant la plus propice pour la désignation du nouveau roi par le peuple souverain. Par la même occasion 127 féticheurs et sages seront désignés pour voter les règles coutumières, contrôler les actions du roi et de sa cour, et consentir l’impôt.

Le processus de désignation eu lieu effectivement le 29 Novembre 2015 entre 14 prétendants qualifiés par les gardiens des us et coutumes, dans le calme et la sérénité. Dès le lendemain, la fumée blanche, s’échappa de la CENI de Maître Bartho proclamant Monsieur Piiga le Roc comme l’heureux élu, sans contestation aucune. Pouvait-il en être autrement ? N’était-il pas le plus dur à casser ? N’était-il pas constitué à la fois du Marbre, du Roc et du Cristal ?

Par cette élection "démocratique exemplaire, transparente, internationalement certifiée, et absolument irréprochable", le peuple souverain et héroïque du Sofa Kiburna venait d’administrer à l’Afrique et l’ensemble du monde, la preuve d’une grande maturité politique, l’esprit du patriotisme et la leçon du "oser lutter, savoir vaincre". Il a su courageusement faire face, trouver les solutions en interne, relever tous les défis et prendre inéluctablement son destin en main.
Vive le nouveau roi dans un Sofa Kiburna de paix, de joie, de prospérité et de vraie démocratie. Vive le "changement dans la continuité" !

De l’épopée de la traversée du fleuve sacré, il ne nous reste qu’un seul conte au sujet du débarquement serein au soir de l’installation du nouveau roi sur le trône.
A bientôt pour la suite !

La Pharmacie Citoyenne
Dr Issaka SONDE
Pharmacien
Email : issaksonde@hotmail.com

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