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Les héros de l’insurrection populaire (n°10) : Aziz Sana

Publié le lundi 1er décembre 2014 à 01h36min

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Les héros de l’insurrection populaire (n°10) : Aziz Sana

Un peu loin de l’Assemblée nationale au moment celle-ci a été prise d’assaut par la foule, Aziz sana, coordonnateur national du « Mouvement ça suffit » a été l’un des témoins des tueries par balles précisément à côté du domicile de François Compaoré. Le sifflement des balles, il s’en remémore douloureusement chaque nuit, nous-t-il dit. Avant les évènements des 30 et 31, son mouvement a rencontré les acteurs (oppsoition et majorité) pour éviter ce qui est arrivé. La coordination avait même été reçue par le premier ministre de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro le 26 Août. Rencontre avec celui qui dont la place au conseil national de transition est contestée par certains membres de son mouvement.

Lefaso.net : Comment avez-vous vécu la journée du 30 octobre ?

Aziz Sana : J’ai vécu la journée du 30 avec beaucoup d’émotions. C’était la première fois que je me retrouvais face à face avec des militaires qui avaient des armes et tiraient à tout bout de champs en l’air. C’était ma première fois d’entendre le sifflement des balles de façon continue et proche. Même actuellement quand je dors souvent je cauchemarde sur les sifflements de balles. Nous étions sur l’avenue Charles De Gaulle, vous savez qu’il y a le conseil de l’entente et le domicile de François Compaoré à ce niveau. Notre intention première intention était de nous rendre à l’Assemblée nationale et voir nos députés se prononcer et en même temps leur faire comprendre notre mécontentement. Quand on a voulu traverser la voix qui se trouve entre l’université et le domicile de François Compaoré, on s’est confronté à un mur impénétrable des militaires de la garde présidentielle qui veillait sur le domicile du frère du président. Après plusieurs tentatives, on a échoué. A un moment, ces militaires chicotaient les manifestants avec des ceinturons. C’est après, qu’ils ont décidé de recourir aux armes en tirant en l’air. Aux alentours de 9h- 10, on a entendu sur une radio que les manifestants avaient pris d’assaut l’Assemblée nationale. Nous avons vu la fumée. A notre niveau, les manifestants se sont dit que les autres ont pu franchir, pourquoi pas eux. Ils ont voulu forcer, mais c’était mal connaitre les gardes. Des gendarmes qui ont vu que c’était dangereux, sont venus pour nous faire comprendre de ne pas franchir la ligne, parce que les militaires en présence allaient tirer.
Dans la chaleur de l’action, plus la foule augmente, plus elle devient difficilement contrôlable, on a voulu passer par tous les moyens sur cette voix pour rejoindre la radio nationale et l’Assemblée nationale plus loin. Et c’est en ce moment que les militaires voyant la foule s’approcher, n’ont pas hésité à tirer à bout portant. Sur place, il y a eu 5 manifestants qui sont tués. Les gens étaient vraiment tristes et ne s’attendaient surtout pas à cela.
Au lieu d’insister, autour de 10h, en petit nombre, nous avons décidé de traverser le canal, derrière le terrain d’entrainement de l’EFO, pour venir à l’Assemblée nationale et constater les faits. De là, on a refait le tour du CFOP pour retourner d’où on est venu. C’est quand nous sommes retournés, après 30 minutes qu’un jeune est tombé du côté de Boinsyaaré. A un moment la rumeur a couru que François a été arrêté. Les militaires qui étaient devant son domicile en cargo ont voulu quitter les lieux. Il fallait tirer en l’air pour se frayer un passage, mais il y a un qui tirait sur le goudron et une la balle a rejailli, et a touché un jeune. Nous avons eu plus de chance.

Au départ, l’objectif était d’assister au vote de la loi à l’Assemblée nationale, mais finalement, l’ex chef de l’Etat a démissionné. Est-ce qu’en vous levant le matin vous vous attendiez à un tel scénario ?

Notre premier objectif était que le chef de l’Etat retire le projet de loi. Mais nous avions dit auparavant, lorsque nous avons fait notre tournée pour tenter un dialogue pacifique entre les différents acteurs, que le dialogue n’est possible que lorsqu’aucun Burkinabè n’est pas tué. Nous l’avons même dit à l’époque au chef de file de l’opposition, notre tentative de dialogue n’est pas une position de faiblesse. Aussi avec le Bloc 21(mouvement de lutte qui est né le 21 octobre date de l’adoption du projet de loi de modification de l’article 37) nous avons convenu de cela, si jamais il y a mort d’hommes, nous irons au-delà de la demande de retrait du projet de loi.

D’aucuns n’hésitent pas à dire que c’est une révolution inachevée, sinon une victoire populaire volée par l’armée, comment vous appréhendez cela ?

Non moi je ne vois pas les choses ainsi. Vous savez lorsque le président Compaoré est parti, il était difficile pour un civile, d’aller s’asseoir à Kosyam. La seule institution qui restait viable c’était l’armée et l’opposition. Même si un civil partait à Kosyam, il aurait eu besoin de la protection de ceux qui ont les armes, c’est à dire l’armée. Dans ce genre de situation, c’est celui qui a la force qui s’impose. C’est dommage mais il faut reconnaitre que si l’armée n’était pas intervenu aussi rapidement, le pays serait dans un désordre total.
D’abord l’armée devait mettre les choses en équilibre et passer le pouvoir à une autre personne. Nous, dès le 30 quand les gens scandaient le nom du général Lougué, nous avons dit pourquoi pas une transition civile. L’idée est venue de réclamer une transition civile et on a commencé à travailler dans ce sens au moment où certains s’installaient déjà à Kosyam comme président nous on luttait pour ramener une transition civile. Ce qui a fait qu’à un certain moment, Il y a eu cette divergence entre ceux qui depuis le 30 voulaient les militaires et ceux qui voulaient une transition civile et entre-temps les gens disaient qu’il y avait une divergence entre les organisations de la société civile. Ce qui était le cas à partir du moment où certains acteurs de la société civile se sont retrouvés à la place de la révolution proclamant un militaire comme président et d’autres étaient au CFOP réclamant une transition civile, le hic est venu de là, la division est venue de là et heureusement qu’avec le temps certains se sont ramollis et ont accepté que la transition civile était la meilleure des choses. La majorité de ceux qui voulaient la transition militaire ont accepté même si certains n’ont pas reconnu leurs erreurs.

La transition militaire est finie, l’armée est partie mais pas totalement, comment appréciez vous ce tandem civile et militaire à la tête de l’Etat ?

De toutes les manières pour moi c’est une transition qui va durer une année et tant que les militaires font ce que le peuple veut, il n’y a pas de problème. Donc nous avons voulu une transition civile, nous l’avons eue. Cette transition civile va durer une année, c’est beaucoup mais c’est aussi peu. L’essentiel c’est de travailler à ce que cette période soit apaisée, pour qu’il y ait moins de revendications, moins de marches, moins de couacs et qu’en novembre 2015 on organise des élections. Nous n’avons pas à craindre que Zida ou une autre personne reste au pouvoir comme ce qui se passe dans les autres pays. Pour moi l’essentiel c’est qu’aujourd’hui la transition civile est acquise. Les militaires sont des enfants du pays, ce sont nos frères et on peut tracer ensemble cette voie radieuse et mettre ces bases solides pour la démocratie à venir. Je n’ai aucun problème avec eux tant qu’ils restent dans l’optique démocratique.

Les organes de la transition sont en train d’être installés, au niveau des Organisation de la société civile, il y a eu des bisbilles pour le choix des candidats, n’est-ce pas une face hideuse que vous montrez aux Burkinabè ?

Non en fait il faut aussi souligner une chose, tout ce qui se passe dans la société civile est dû au fait qu’il y a une société civile bien particulière qui s’est organisée que nous appelons le bloc 21, des mouvements spécifiques qui sont organisés depuis deux ans et qui ont travaillé à la chute du pouvoir Compaoré. Mais la victoire a 10 pères et la défaite est orpheline. Au lendemain de la victoire, pour l’écriture de la charte on avait besoin de toutes les compétences et c’est de là qu’est né le cafouillage. Avec une dizaine de structures au départ, on s’est retrouvé avec plus d’une centaine. Quand il s’est agi de désigner les représentants, la méthode a faussé parce qu’elle a été reprise trois fois. La première fois, il s’agissait de faire des sélections et il n’y a pas eu de problème chez nous les mouvements spécifiques qui étions organisés, nous avons fait une liste consensuelle en fonction des compétences, de la capacité à mieux gérer la situation. Mais au niveau des autres blocs c’est la première fois qu’ils se retrouvaient. Il fallait alors mettre des conditions avant d’aller aux élections, mais il n’y a pas eu de conditions pour les premières élections.
Les premières élections ont eu lieu et ceux qui ont perdu ont trouvé que ce n’était pas transparent et ils se sont plains. Le premier ministre a sorti une note pour donner des directives et c’est ainsi que la coordination des OSC a décidé de reprendre les élections mais dans notre bloc, nous n’avons pas eu de problèmes puisqu’on se connaissait. Quand les élections ont été reprises, un communiqué a été fait pour regrouper toutes les associations du Burkina Faso à venir se partager 25 postes. C’est la méthode qui a manqué lors de la désignation des représentants de la société civile, ceux qui avaient gagné les premières élections mais qui ont vu qu’ils étaient en train de perdre la deuxième, ont commencé à boycotter et ont commencé à arrêter le processus.
Pour la troisième fois ils ont décidé de faire un collège de désignation de neuf (09) membres qui va écouter uniquement ceux qui ont rédigé la charte, là encore c’était devenu restreint. Bien qu’on ait repris pour la troisième fois, certains ont trouvé encore des méthodes diffamatoires pour dire qu’il y a trop de politiques dans la désignation des membres. La charte dit que pour être candidat, il ne faut pas avoir été dans une organisation ou un regroupement ayant soutenu le régime déchu ou la modification de l’article 37, c’est tout.
Certains membres ont été élus pour siéger au Conseil national de transition, mais certains sont contestés au sein même de leur mouvement, c’est votre cas. Vous auriez été même déchu de votre poste de coordonnateur national. Qu’en-est-il ?
Non c’est de la fanfaronnade, il faut un minimum de discipline dans un mouvement lorsqu’on organise une assemblée générale ou une réunion. On ne peut pas le faire à l’insu du premier responsable. Il est dit dans l’essentiel des textes des partis politiques et des associations et même dans nos propres textes qu’il n’y a que le coordonnateur général qui peut convoquer une assemblée générale, une réunion du bureau exécutif national. Que ce soit extraordinaire ou pas, on ne peut pas convoquer une réunion à huis-clos, pondre un bout de papier, je trouve cela totalement indiscipliné et dégoutant. Pour nous c’est nul et cela n’a aucun effet. Ce sont quelques individus qui ne font pas partie du bureau exécutif, après son renouvellement et se sachant exclus, ils se sont retrouvés à quelque part pour pondre ce genre de sottise. Ceux qui ont signé ledit texte ne sont pas même pas conséquents. Le texte a été signé le 19 novembre, alors que les évènements datent des 30 et 31 Octobre, je ne comprends rien. Ceux qui ont écrit cela, ce sont des gens qui sont envieux de poste, qui ne pensent seulement qu’à leur personne parce qu’ils ont été aussi candidats. Il y a un qui s’est inscrit sur la liste des candidats au poste de membre du CNT au titre d’un autre mouvement, il a même été interviewé lors des dernières désignations avec le collège des sages, je parle de l’ancien secrétaire général , GUEBRE Adama. Il a été candidat, moi aussi. J’ai été désigné, pas lui, donc c’est une question de poste tout simplement.

A quel titre allez-vous siéger au CNT ?

Je vais siéger au CNT au titre des mouvements spécifiques et non au titre du « Mouvement ça suffit ». On a fait une liste consensuelle des mouvements spécifiques et j’ai été retenu dans la liste consensuelle émanent évidemment du « Mouvement ça suffit », mais on pouvait retenir d’autres personnes. Dans le M21, c’est le leader qui avait été retenu, mais il a désisté et on a cherché quelqu’un d’autre. Chez nous on a retenu les personnes en fonction de leurs compétences et c’est dans ce consensus que j’ai été retenu. Je reste coordonnateur général du « Mouvement ça suffit » parce que les textes me l’autorisent. En définitive, je pars au CNT au nom du peuple on était sur le terrain, on a l’esprit du peuple pour défendre le peuple.

Ne pensez-vous pas comme le recommandent certains que les OSC devraient rester en marge des organes dirigeants pour continuer à être des vigies de ce qui se passe en face ?

Cela dépend de la vision. les OSC à un moment donné peuvent être à coté pour critiquer et je pense que c’est lorsque le processus est normal c’est-à-dire qu’à partir de 2015, ceux qui veulent faire la politique la feront et ceux qui veulent rester dans la société civile y resteront. Mais aujourd’hui nous nous trouvons dans une étape où nous devons ensemble écrire l’histoire de notre pays. On peut être dans une organisation de la société civile et avoir une bonne vision démocratique pour son pays, mais après que nous ayons posé les bases démocratiques, on pourra retourner dans les OSC pour contribuer à notre manière à la démocratie. Mais pour l’instant nous devons nous unir. On peut faire une insurrection et rater la transition. Nous avons le devoir de rester vigilant pour que la bonne base démocratique soit un résultat palpable en Novembre.

On se rappelle que le 26 aout, la coordination nationale du « Mouvement ça suffit a été reçue par le président de l’assemblée nationale de côte d’ivoire, Guillaume Soro pour justement discuter autour de la situation nationale. Est-ce qu’avec la nouvelle donne, vous avez encore eu des contacts avec lui ?

Il n’y a pas eu de contact en tant que tel, sauf qu’il nous a facilité avec des contacts quand on voulait rencontrer le parti au pouvoir, parce que ce n’était pas facile. Avant de partir il nous a conseillé quelqu’un qui pouvait nous aider à rentrer en contact avec le parti au pouvoir. Et effectivement c’est par l’intermédiaire de cette personne que nous avons pu rencontrer le parti au pouvoir pour expliquer l’objectif de notre approche. Sinon à part la date du 26 nous n’avons pas eu de lien direct avec Guillaume Soro. Quand nous avons rencontré le parti au pouvoir, nous avons eu le message clair, nous voulons que l’ensemble des burkinabè s’asseyent pour discuter avant qu’il ne soit trop tard et que les meubles pouvaient être sauvés. Aujourd’hui on constate que si les gens nous avaient pris au sérieux, on aurait fait l’économie d’une trentaine de morts, avoir une transition apaisée et les familles n’allaient pas être aussi endeuillées. Malheureusement certains se sont crus tellement forts qu’ils n’ont pas compris le sens de notre démarche.

Vous avez certainement vu les réactions de Guillaume Soro après que Blaise Compaoré soit parti du pouvoir, il ne semble pas digérer la situation. Quelle a été réaction vous qui l’avez rencontré et discuté avec l’homme ?

C’est naturel parce que lorsque vous avez un ami qui part dans des conditions aussi humiliantes, cela ne peut vous faire plaisir, surtout quand il a été votre protecteur. Ce sont des humeurs naturelles, toute personne aurait réagi de la sorte, mais c’est le fait de le ressortir publiquement qui donne une autre connotation. Si vous vous rappelez dans la lettre de janvier 2014 que j’ai adressée à Guillaume Soro, je lui demandais de conseiller le président du Faso de ne pas s’accrocher au pouvoir et que je comptais sur son courage et sa clairvoyance habituelle pour tenir ce langage président Blaise Compaoré. S’il m’avait écouté, je crois qu’il ne serait pas aujourd’hui à se morfondre, il aurait joué sa partition pour que son mentor ne soit pas humilié.

Mais en tant qu’homme d’Etat est-ce qu’il ne devrait pas aller au-delà des considérations personnelles puisse que ce fut une insurrection populaire, une volonté populaire de barrer la route à Blaise Compaoré ?

Oui tout à fait. Surtout que Guillaume Soro est comme un frère pour nous, le Burkina Faso constitue sa seconde patrie donc normalement il devait considérer le peuple burkinabè et non pas l’homme, et c’est dommage, mais je crois qu’après les émotions, le langage va changer. Souvent ce sont des émotions subjectives mais en tant qu’homme d’Etat comme vous l’avez dit, il devait aller au-delà de cela et considérer le Burkina Faso qui l’a accueilli pendant de nombreuses années et non Blaise Compaoré comme citoyen qui l’a accueilli parce que quoi qu’on dise c’est le peuple burkinabé qui lui a été hospitalier et non le président Compaoré uniquement.

Quelle est votre vision pour le Burkina dans les mois et les années à venir ?

Pour moi la transition est importante pour acquérir des bases tangibles et démocratiques pour notre pays et c’est à partir de ces bases qu’on pourra projeter l’avenir démocratique. Il faut revoir tout ce qui est constitutionnel, tout ce qui est code électoral, tout ce qui est finances publiques. Il faut revoir même l’unification de l’armée. C’est à travers ces réformes dans la transition que nous allons avoir une base démocratique. Il ne faudrait pas rater cette transition, il faut que ce soit une transition calme. Moi j’ai décidé de rester dans cette arène pour apporter ma contribution, pour moi la chaise vide n’a jamais servi. Si on était dans la rue, je pense que c’est parce qu’on a une vision, nous devons la transcrire dans les textes et je me vois mal être à l’écart, laissant les autres écrire cette vision que j’ai de la démocratie, c’est pour cela que nous avons pris la responsabilité de d’aller au CNT. Avec d’autres camarades, nous comptons changer le nom du mouvement. On va faire une jonction, un mouvement démocratique des jeunes, le nom sera déterminé pour qu’on fasse des propositions très fiables. « Le Mouvement ça suffit » était juste pour un contexte et comme le contexte a changé, il faut se réadapter.

Pour l’intérêt suprême de la nation, nous nous sommes vus dans l’obligation de ne pas laisser les autres écrire l’histoire de notre pays pour nous, nous comptons assumer notre entière responsabilité quant à l’écriture de cette nouvelle page de l’histoire. Ceci pour que dans vingt , quarante ans, nos petits-enfants, nos enfants se rappelent que nous avons laissé de bonnes bases démocratiques et c’est ce qui est ma motivation première.

Réalisé par Tiga Cheick Sawadogo et Cyriaque Paré
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