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Mahamoudou Ouédraogo : "La presse burkinabè doit être plurielle en dehors de sa pluralité"

Publié le jeudi 29 janvier 2009 à 01h59min

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Le 9 janvier 2009, Mahamoudou Ouédraogo soutenait avec brio à l’université Bordeaux III une thèse de doctorat en journalisme sur le thème de l’économie des médias. Mardi dernier, pour en savoir sur ce que recouvre un tel thème, nous avons rencontré ce grand professionnel de l’information et de la communication aujourd’hui conseiller à la Présidence du Faso après avoir été, une dizaine d’années durant, membre du gouvernement.

Naturellement, compte tenu de l’actualité, nous avons profité de cette idoine occasion pour recueillir sa version sur les folles rumeurs de mauvaises gestion qui courent ces temps-ci sur la commission de l’informatique et des libertés, celle dont il est vice-président.

Comment se porte présentement Mahamoudou Ouédraogo ?

• Je me sens bien. C’est vrai que j’ai été très malade. Mais grâce à la foi que j’aie en Dieu et au soutien des hommes et des femmes de bonne volonté, j’ai réussi à remonter la pente. Je suis de ceux qui pensent que, seul, on ne guérit pas et qu’il faut une onde invisible forte avec le créateur pour obtenir la guérison. Lorsqu’on a ces actions d’un côté et un soutien fort de l’autre, rien n’est impossible et la maladie disparaît.

Venons-en donc à votre thèse. Comment l’avez–vous préparée ?

• Ah ça c’est une longue histoire ! Comme vous le savez, j’ai commencé comme journaliste à la Télévision nationale après avoir fait mes études au CESTI de l’université de Dakar. A la fin de ma formation, j’ai commencé comme journaliste-reporter et présentateur de télévision en 1981. Je faisais ce travail et j’ai initié de grandes émissions de débat qui étaient animées par des journalistes du public et du privé.

Au bout de trois années, j’ai voulu renouer avec les études car il me manquait les sciences de l’information qui est le substrat qui permet de comprendre l’environnement de la société par le biais des médias. Il s’agit de l’histoire de l’information, de la sociologie de l’information, l’économie de l’information. C’est pour cela qu’il était nécessaire pour moi de renouer avec les bancs, donc de demander à l’époque une mise en position de stage et une bourse.

J’ai pu avoir la mise en position de stage, mais pas de bourse. En dépit de cela, je suis allé goûter au froid glacial de la France et j’ai pu donc faire mes études de troisième cycle en 1987. Après, j’ai demandé la prolongation de ma mise en position de stage pour faire à l’époque le doctorat de troisième cycle qui a disparu de nos jours. Cela m’a été refusé par le ministre de l’époque et j’ai dû rentrer au Burkina non sans m’être inscrit en doctorat.

De retour au pays natal, j’ai été propulsé à des postes de responsabilité. J’ai préféré ne pas m’occuper d’autres choses que des fonctions qui m’étaient dévolues sauf l’enseignement. J’ai donc enseigné au Centre de formation professionnel de l’information et au département Art et Communication de l’Université de Ouagadougou.

Cela a continué jusqu’en 2005 quand je suis tombé malade et comme on le dit, à quelque chose malheur est bon, je n’étais plus à même de travailler sur le plan physique ; mais je pouvais faire autre chose sur le plan intellectuel. Et je me suis donc dit pourquoi ne pas faire la thèse car mon cerveau, lui, n’était pas malade.

Vous avez soutenu donc une thèse sur l’économie des médias. Que recouvre ce thème ?

• L’économie des médias, c’est l’environnement qui permet aux médias d’être viables. Par exemple, si nous prenons un journal tel l’Observateur Paalga, il est deux en un, c’est-à-dire qu’on vend chaque numéro à un lectorat potentiel, mais L’Observateur le vend une seconde fois, aux annonceurs.

Cela signifie que lorsqu’on prend un numéro de votre journal, il y a les pages rédactionnelles qui font la crédibilité de ce journal et qui élargissent son bassin d’audience. C’est grâce à cela que L’Observateur peut bien vendre ses pages publicitaires à beaucoup d’annonceurs. Donc tout journal est un produit économique qu’on vend deux fois et cela dénote de l’importance de l’économie pour l’information.

...L’économie de l’information est une science assez nouvelle et même en France, les spécialistes de ce secteur ne courent pas les rues. Je voulais défricher le terrain pour qu’on puisse avoir de l’espace dégagé pour approfondir les recherches. Il fallait se poser la question de savoir ce qu’il faut pour que la presse burkinabè, en dehors de sa pluralité, soit plurielle car il y a la pluralité et le pluralisme.

Le nombre de journaux est une chose, mais leur différenciation en est une autre. Est-ce qu’à l’heure actuelle, on peut avoir 4 quotidiens à Ouaga ? Comment aider la presse, qu’elle soit d’Etat ou du privé, à accomplir ses missions ? C’est l’économie des médias qui donne une réponse à ces questions.

Dans l’économie des médias, vous parlez de deux en un, c’est-à-dire les annonces et le rédactionnel. Alors qu’en est–il d’un journal comme le Canard enchaîné qui refuse toute publicité, qui est donc un, en un ?

• Le Canard enchaîné est un cas atypique. C’est le seul journal en France qui le fait et c’est toute une histoire. Ce journal refuse toute publicité et ne vit que sur ses recettes de vente. Mais cela aussi a un handicap car ça veut dire que c’est un défi permanent pour le Canard pour vivre ainsi et élargir son lectorat.

Situez-nous un peu sur l’ambiance qui a prévalu lors de votre soutenance

• J’avoue que j’étais angoissé. Cela m’arrive rarement mais se comprend aisément dans la mesure où j’ai arrêté de donner depuis belle lurette des cours à l’université ; mais cela fait aussi bien longtemps que je n’ai pas mis les pieds dans un amphi. Du coup, je me trouvais devant des sommités parce que dans ce jury de cinq membres, il y avait deux professeurs émérites dont André Jean Tudesque et Pierre Guillaume.

Il y avait aussi et surtout Michel Martien, président du jury et qui, à l’heure actuelle, est considéré comme le plus grand spécialiste de l’économie des médias en France et en Europe. Il y avait bien sûr ma directrice de thèse, Annie Lenoble-Bart et ils m’ont donné la possibilité d’avoir un professeur africain et ce dernier, c’était Jean Pierre Guingané de l’université de Ouagadougou.

Ce fut plus de trois heures de débat entrecoupés d’une pause de 10 minutes et nous avons passé en revue tous les fondamentaux de l’économie de la presse et aussi le cas spécifique de l’Afrique et du Burkina. Nous savons que l’Afrique a inventé un secteur qui ne se retrouve pas au niveau de l’économie de la presse en France, c’est-à-dire les dons. Je veux parler des subventions que nous connaissons au Burkina mais qui ne sont pas pratiquées en France.

Certes, il y a des aides qui peuvent être différenciées ou indifférenciées, mais il n’y a pas de dons. Ces aides peuvent porter sur l’aspect fiscal, mais on ne donne pas de l’argent. Il fallait donc parler de cela et montrer en quoi cette subvention est nécessaire pour notre presse car nous sommes de ceux qui ont lutté pour que cette subvention voie le jour.

Et justement en raison de la spécificité de la presse en Afrique, comprendre que l’on puisse avoir une subvention parce que c’est une presse qui est confrontée à bien de défis tels l’analphabétisme et le pouvoir d’achat qui est bas et le manque de la culture de lecture. Moi, je suis pour la subvention même si j’estime qu’il faut tendre vers des centrales d’achats, aider à la formation

Un tout autre sujet ; vous êtes vice-président de la Commission de l’informatique et des libertés (CIL). Que se passe-t-il au juste au sein de cette jeune institution où des rumeurs les plus folles font état de surfacturation, de gabegie, etc., au point que les inspecteurs d’Etat y ont été dépéchés pour y voir clair ?

• Je suis de ceux qui pensent que lorsque vous dirigez une structure publique, vous avez le devoir de rendre compte. Vous n’êtes pas au-dessus de l’accusation. D’ailleurs, personne n’est au-dessus de l’accusation.

Et cette accusation peut être officielle et c’est tant mieux ; mais quand c’est la rumeur, vous n’y pouvez rien. Seulement, ceux qui ont jeté le pavé dans la mare n’ont pas été assez courageux pour s’afficher publiquement ; mais cela a donné l’occasion aux structures du ministère de l’Economie et des Finances et surtout du Premier ministère de venir voir de quoi ça retourne.

C’est cela qui est très important. Moi j’ai été toujours frappé par l’histoire des Juifs. A un moment donné de leur vie, les opposants aux juifs ont inventé une histoire et l’un des plus grands rabbins de l’époque s’est exprimé dans une phrase qui est restée célèbre. Il a dit ceci : "c’est facile d’accuser parce que quand il s’agit d’accuser, vous accusez ; mais est–ce que quand il s’agit de prouver, vous prouvez ?"

De toute cette histoire de mauvaise gestion à la CIL, de ce que j’en sais, c’est qu’il s’agirait de procédures qui ne soient pas conformes à la légalité professionnelle ; c’est-à-dire qu’au niveau des services financiers, ils ont manqué de compétence. C’était à mon avis de la malveillance parce que l’ex-DAF aurait malheureusement mal digéré le fait que la Commission se soit séparée de lui. Sinon, comment comprendre que pendant huit mois, il ait été là et il ait trouvé que tout était absolument normal et une fois parti, il trouve subitement des irrégularités.

Malheureusement, toutes les informations à notre possession tendent à dire qu’un membre de la Commission s’est aussi acoquiné avec l’ex-DAF pour distiller ces fausses informations, parce qu’il s’attendait sans doute à ce que la CIL résolve beaucoup de ses problèmes et ça n’a pas été le cas. Encore une fois et comme le disait Montaigne, "partout où il y a des hommes, il y a de "l’hommerie"". Cela signifie que partout où il y a des hommes, il faut s’attendre à ce qu’il y ait des bassesses humaines.

Et puis après tout, moi je suis pour que chaque fois que l’on pense que quelque chose ne va pas, ne suit pas le chemin de la droiture, qu’on pose véritablement le problème. Par contre, il faut pousser la réflexion pour que chaque fois aussi, on puisse sanctionner ceux qui propagent les mauvaises rumeurs et les accusations qu’ils ne sont pas en mesure de prouver. Propager des rumeurs qui sont sans aucun fondement peut ternir l’image des gens, attenter à leur bonne réputation.

Malheureusement, nous sommes en Afrique où ce que l’on appelle l’éducation aux médias est faible. Cela signifie que les gens prennent pour parole d’évangile tout ce qu’ils lisent dans les médias ; alors que non... Tout compte fait, je pense que la présidente de la CIL mérite d’être soutenue.

Cette affaire vous gêne-t-elle ?

• Non, aucunement. Ce n’est pas la première fois que je suis victime d’accusations infondées. Mais la suite a toujours prouvé qu’il n’en est rien, surtout que moi, à la CIL, hormis les frais de missions, je défie quiconque de sortir un document prouvant que j’ai touché le moindre kopeck.

Par contre, ce qui s’est passé, c’est que le DAF de l’époque m’avait remis la somme de un million de FCFA sans me demander en retour la moindre décharge pour que je trouve du matériel spécialisé pour la direction de la Communication. Ce que j’ai réalisé sans problème. Vraiment, je suis serein car, en dehors de cela, pas un seul sou ne m’a été remis. Pour mon expérience et mon âge, ce n’est vraiment pas pour un million que je vais ternir mon image

Cette affaire ne portera-t-elle pas un coup dur à l’image de cette jeune structure ?

• Est–ce qu’il ne vaut pas mieux que cette dénonciation se soit passée maintenant qu’après ? Cela pourrait être pire pour l’image dont vous parlez si la structure avait pris son envol. Il vaut mieux, à mon avis, que ce soit tôt pour qu’on puisse circonscrire le mal s’il y a lieu, surtout que c’est une structure qui a non seulement suscité beaucoup d’attentes au Burkina, mais aussi en Afrique car c’est la première structure du genre à l’échelle de notre continent.

Entretien réalisé par Boureima Diallo

L’Oservateur Paalga

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