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Emigration sauvage : des burkinabè périssent au large de la Sicile

Publié le lundi 27 novembre 2006 à 06h10min

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Dramane Diabo

Si le Burkina Faso est un pays d’émigration comparable au Sénégal et au Mali, il faut se dire que c’est dans la catégorie continentale. En effet, pour aller en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Gabon, en poussant même des pointes au Soudan et du côté de l’Afrique du Sud, le pays des hommes intègres s’est construit une réputation au fil des décennies.

Mais il commence à vouloir jouer dans la cour des grands pays d’émigration africains. La presse nous relate, à intervalles réguliers, des drames au cours desquels on relève la présence de ressortissants burkinabé. Une région du pays est particulièrement touchée par le phénomène : le Centre Est dont les ressortissants émigrent souvent pour l’Italie.

Le dernier drame en date s’est produit en juillet 2006. C’est le village de Sampéma, département de Zabré, province du Boulgou, qui a été directement touché avec la mort de 11 de ses enfants en pleine mer, au large de la Sicile.

Nous avons voulu en savoir plus et le Rédacteur en chef du journal « Le Messager », Seydou DIABO, frère de Seyba DIABO, une des victimes, nous en a donné l’opportunité à travers l’entretien ci-dessous.

Présentez-vous à nos lecteurs

Je suis Seydou Diabo, Directeur de publication de l’hebdomadaire bobolais « Le Messager ». Je suis le frère aîné du défunt Seyba Diabo.

Que faisait votre frère dans la vie, quel âge avait-il, était-il marié, avait-il des enfants et où résidait-il ?

Il avait 36 ans, était marié et père de 4 enfants. Il résidait en Libye depuis deux ans et désirait rejoindre l’Italie. Il faisait du petit commerce et des travaux champêtres.

Pourquoi pensez-vous qu’il voulait-il partir : parce qu’il avait un ou des amis qui avaient déjà quitté le village pour l’Europe ou était-ce sa propre décision mûrement réfléchie au regard de la vie difficile qu’il menait ?

Il voulait partir car il avait des difficultés à joindre les deux bouts surtout qu’il a une famille forte de 4 personnes et aussi parce qu’il avait des amis qui ont quitté le village pour l’Europe.

Que comptait-il faire en Italie ?

Ace que je sache, il comptait travailler dans les champs de tomates en Italie.

Les 1 200 dollars, il les avait économisés ou bien sa famille l’avait aidé à collecter cette somme, sachant qu’il voulait émigrer en Italie ?

C’étaient ses économies faites en Libye.

Etait-il seul de l’aventure ou bien plusieurs du village sont partis avec lui ? Si oui, y a-t-il eu d’autres victimes ?

Ils étaient une douzaine à quitter le village, et malheureusement, il n’y eut qu’un rescapé.

Quel accueil ont-ils eu dans ce pays de transit ?

On ne peut pas parler d’accueil parce que ces jeunes vivaient dans les villages les plus reculées de la Libye. C’est après avoir pu économiser les 1200 dollars qu’ils sont rentrés en ville à la recherche de passeurs pour leur départ pour l’émigration.

La date de l’accident ?

Il semble que ce soit dans la première décade du mois de juillet 2006.

Comment avez-vous appris la nouvelle ?

Nous avons appris la nouvelle après le retour au bercail de l’unique rescapé du drame, qui se trouve être du même village que mon frère.

Expliquez-nous comment le drame s’est produit...

A la limite, ce qui s’est passé est inimaginable. Dans un premier temps, tous les candidats à l’immigration devaient débourser chacun 1200 dollars. Le passeur, qui se trouve être un Libyen, récupérait les sous avant de fabriquer la pirogue. Ils étaient 80 personnes à partir.

Avant d’embarquer, le passeur prenait le soin de payer quelques provisions pour la durée de la traversée (environ 7 jours). Avant d’embarquer, il remettait une boussole au plus éveillé du groupe qui devait guider la pirogue. La traversée devait durer une semaine mais les pauvres immigrés ont passé environ 20 jours en pleine mer. Conclusion : toutes les provisions étaient épuisées.

La pirogue ne pouvait plus avancer, il n’y avait plus ni à boire ni à manger. Les personnes se regardaient toutes mourir une à une. Le seul rescapé du groupe eut la vie sauve parce qu’il savait nager, et c’est ainsi qu’il sera repêché par les gardes-côtes au large de la Sicile. 79 Africains périrent donc en pleine mer. Voilà un peu ce que je sais de ce drame.

Des gens n’avaient-il pas essayé de le dissuader de partir ou il avait la bénédiction de sa famille ?

Personne n’a pu le dissuader parce qu’en quittant la famille, il a laissé entendre qu’il partait travailler en Libye, et c’est par la suite que l’idée lui est venue de prolonger son voyage vers l’Italie.

Comment ont réagi la femme de votre frère et ses enfants à l’annonce du drame de même que les jeunes du village ?

C’était la désolation. Sa femme était inconsolable. La tristesse se lisait sur la face des uns et des autres. Pour les jeunes du village, c’est le destin. Comme vous le savez en Afrique, tout se met sur le compte de Dieu.

Y a-t-il eu une démarche officielle de l’Etat pour une raison ou une autre, après le drame ?

Jusqu’à preuve du contraire, l’Etat burkinabé n’a pas réagi après ce drame.

Depuis le drame, des jeunes ont-ils quitté le village ?

Effectivement, après ce drame, des jeunes ont quitté le village pour l’Europe. Pour eux, ils n’ont qu’une devise : rentrer en Europe ou mourir. Comme quoi, l’émigration est un problème capital qu’il faut résoudre à tout prix.

Est-ce que dans d’autres villages du département ou de la région, vous avez eu vent que des jeunes sont intéressés par l’émigration ?

Dans presque toute la région du Centre Est, l’émigration est devenue une question de vie ou de mort.

Y a-t-il déjà eu des drames du genre dans la province ou la région ?

Ce n’est pas ce qui manque dans la région. C’est devenu le vécu quotidien des habitants de la région.

Quel message avez-vous à lancer à l’endroit des futurs candidats à l’immigration ?

Je suis tenté de plaider auprès des futurs immigrés pour qu’ils renoncent à leur aventure. Il est nécessaire et urgent de chercher à décourager ces jeunes immigrés. Mais quelles solutions palliatives avons-nous à leur proposer ? C’est là que réside le problème. Les dirigeants africains ont appauvri les sociétés africaines par leur mauvaise gestion, par la corruption. Alors, si les pays du Nord sont responsables, il faut dire aussi que la Libye, qui est un pays africain, se livre à des pratiques peu orthodoxes.

Mon souhait le plus légitime est que les gens du Nord et ceux du Sud puissent s’asseoir ensemble pour trouver les solutions justes et rapides à cette tragédie qui n’a que trop duré.

Seydou DIABO
Cel : 76 57 10 57
E-mail : messa_edi@yahoo.fr
01 BP 588 Bobo-Dioulasso 01

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