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Les produits dépigmentants : Genèse d’un cynisme

Publié le jeudi 3 août 2006 à 07h16min

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La dépigmentation est, selon certaines personnes, la manifestation d’un complexe d’infériorité. Pour l’auteur de ces lignes, ce complexe "n’est pas tombé ex nihilo". C’est, dit-il, le fruit d’un cynisme orchestré et entretenu par les Occidentaux.

C’est après avoir lu "les mercredis de Zoodnoma Kafando" du 19 juillet 2006 portant sur les dépigmentants que nous avons décidé de nous servir de notre plume pour donner notre point de vue sur la question.

Zoodnoma écrit : "A bien y regarder, l’usage des produits dépigmentants par les femmes et les hommes révèle un complexe d’infériorité face au Blanc, dont la couleur de la peau est devenue la coloration de référence". Juste. Pour corroborer l’assertion du journaliste, nous disons que ce complexe d’infériorité n’est pas tombé ex nihilo et ne date pas d’aujourd’hui. Cela est la résultante d’un long cynisme orchestré et entretenu par les Blancs.

Tout est parti avec la conception brumeuse à la limite assassine qu’est "la mission civilisatrice de l’homme blanc", échafaudée par l’Occident pour mettre l’Afrique et les noirs sous coupe réglée.

Pour bien mener leur sale besogne, les partisans de la conquête coloniale ont travaillé en étroite collaboration avec les missionnaires.

Il faut noter que l’intérieur des églises laissait voir des images déroutantes, et pour causes : les démons, diables, tout ce qui est négatif était de coloration noire tandis que Jésus et ses Apôtres éteints peints en blanc. Nous ignorons les raisons du choix de cette couleur noire mais une chose est sûre nous avons là le point de départ d’un processus de dénigrement d’une race. Ces images gravées à l’intérieur des églises seront le cheval de Troie d’une politique de déshumanisation des noirs.

Ces derniers verront de toutes les couleurs. Ils seront traités de "gens sans âme" de "fourbes et couards", de "sous-hommes", qu’il fallait "civiliser". Les noirs étaient aussi affublés d’"Ourang-outangs", de "macaques" et de "simples d’esprit".

La couleur noire était à leurs yeux le symbole du deuil, de la barbarie, de l’imperfection, de la damnation... Cette attitude du blanc avait choqué bon nombre de noirs à tel point que certains étaient arrivés à ériger leur église pour donner la réplique. Le plus célèbre de ces révoltés fut le congolais Simon Kibangou qui créa le "Kibanguisme". A l’intérieur de ses temples, Jésus était noir et les démons peints en blanc.

Il eut beaucoup d’adeptes et avait commencé à ratisser large au sein des populations noires. Pour les blancs, ce révolutionnaire méritait une correction grandeur nature. En deux temps, trois mouvements, Simon Kibangou et ses partisans furent traités avec la dernière cruauté.

Le malheureux messie passera une trentaine d’années dans l’enfer du violon. Il y mourut piteusement. Sous la colonisation, les blancs avaient habilement inculqué aux noirs leur infériorité. Leurs cultures étaient royalement ridiculisées et reléguées à de "simples produits de sous-hommes".

La contre-attaque

En un moment donné, le travail de dénigrement enclenché par les Européens avaient eu ou presque l’effet escompté. Bon nombre de noirs avaient commencé à avoir honte de leur couleur et de leurs cultures.

Voyant que la colonisation était sur le point de réussir un "génocide culturel" les premières élites noires vont sonner le Cor de la résistance.

Aimé Césaire dans son "discours sur le colonialisme" lança le cri d’alarme : "Je parle à des millions d’hommes à qui on a inculqué savamment le complexe d’infériorité, la peur, l’agenouillement, le désespoir...".

Pour montrer aux blancs que tout peuple a une culture, Aimé Césaire, Gontra Damas, Senghor, vont créer la négritude qui, selon le poète sénégalais était nécessaire : "Nous étions alors plongés, avec quelques autres étudiants noirs, dans une sorte de désespoir panique. L’horizon était bouché...

Nous n’avions, estimaient-ils, rien inventé, rien créé, ni sculpté, ni peint, ni chanté... La négritude était donc une réponse à une situation d’oppression, de violence culturelle, économique et politique". Pour le philosophe français, Jean Paul Sartre, la négritude "est la négation de la négation du noir".

Pour parer au plus pressé, les chantres de la négritude et les poètes américains de la Negro-Renaissance vont se liguer pour faire comprendre à leurs congenèses d’être fiers de leur couleur qui, selon eux est synonyme de "vie". La couleur noire sera donc chanté, magnifiée...

Le découragement

Les poètes avaient joué leur partition. Au fil du temps leurs conseils sont restés lettre morte. Le travail de dénigrement avait déjà porté ses fruits. A force de les rabaisser, de les harceler, nombre de noirs ont fini par craquer. Ils ont honte d’eux-mêmes, perturbés, écartelés. Ils sont à la croisée des chemins. Le complexe d’infériorité s’est installé.

Il en découle une aliénation : "Etant mal dans sa tête, il en vient à être mal dans sa peau. Du coup s’éclaircir la peau pour ressembler au maître d’hier, devenu un supérieur aujourd’hui".

Les noirs singeront blancs dans l’espoir de leur ressembler. Ainsi vint la dépigmentation. Cette nouvelle tournure des événements sera décriée par le psychiatre martiniquais, Frans Fanon, dans son best-celler "Peaux noires masques blancs". Mais a-t-il été coûté ? Non, le résultat n’a pas été à la hauteur des attentes.

Aujourd’hui, la situation va de mal en pis. Les jeunes filles partent à l’assaut des crèmes éclaircissantes pour plaire aux hommes et les "phagocyter". Ces derniers se complaisent dans ça. J’en veux pour preuve cette phrase devenue proverbiale : "Même si la femme teint clair n’est pas belle, ses cuisses ressemblent à des tomates" lancée par les hommes pour justifier leur ruée vers les femmes teint clair.

Ainsi donc tout est consommé. Les héritiers de Martin Luther King de Frans Fanon, de Rosa Park ont passé outre les conseils de leurs aînés et ont choisi une voie dangereuse.

La dépigmentation est de nos jours un phénomène irréversible. Ce n’est point ni la censure du CSC ni les cris d’alarme des gardiens du temple des traitions qui changeront quelque chose, surtout avec l’explosion extraordinaire des NTIC.

Issa Semdé Secteur n° 19

Observateur Paalga

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Vos commentaires

  • Le 3 août 2006 à 14:10, par Kader Konaté En réponse à : > Les produits dépigmentants : Genèse d’un cynisme

    Très bonne analyse retrospective Mr Semdé.
    Hélas comme vous dites,les gens ont tendance de plus en plus à céder à cette colonisation et cette aliénation mentale du Noir, organisées depuis des siècles par l’Occident.
    Vivement un éveil de conscience du peuple Noir, continuons de sensibiliser nos frères et soeurs dans ce sens.

  • Le 3 août 2006 à 14:34, par Abraham En réponse à : > Les produits dépigmentants : Genèse d’un cynisme

    Très belle analyse qui s’achève cependant sur une note de pessimisme. Sur ce point, je ne suis pas vraiment d’accord avec vous.

    En effet, il semble que vous sous-estimez la capacité culturelle de l’Homme Noir.
    Par exemple : L’histoire de l’humanité nous enseigne qu’hormis la Race Noire, aucune autre au monde n’a jusqu’à présent prouvé sa capacité de résistance face à la souffrance et à la privation de toutes sortes. C’est peut-être une note d’espoir, un point d’ancrage assuré.

    Je ne voudrais pas être prétentieux, mais il semble qu’une « black en dépigmentation artificielle » et/ou avec des mèches sur la tête à la place des cheveux, du curieux « rouge ou rose à lèvres » sur les lèvres, d’effrayant vernis à ongles sur les ongles, en train de singer la femme blanche quand elle parle,... donne plus la nausée qu’autre chose.

    Ce sont les hommes qui font et qui défont les Civilisations. C’est à Nous, Noirs du monde de réagir, d’abord à l’échelle individuelle. La suite est une question de choix de société.

  • Le 3 août 2006 à 16:55 En réponse à : > Les produits dépigmentants : Genèse d’un cynisme

    Ouais, je suis un peu sceptique. Même si cette argumentation a sans doute du vrai (les diables en noir, Jésus en blanc, ...) elle est quand même largement insuffisante.

    Aujourd’hui, nos prêtres sont noirs et ne cherchent pas à se "dépigmenter". Et nos bonnes soeurs ? Ce serait un sacrilège, non ? Une religieuse qui s’éclaissirait serait sans doute regardée bizarrement ... Si vous voyez ce que je veux dire.

    Aujourd’hui, ceux qui s’éclaircissent la peau sont quand même essentiellement des femmes, et ce problème renvoit plus aux rapports hommes/femmes qu’à un problème de décolonisation. A ce que je sache, les peulhs existaient avant l’arrivée du colonisateur, et les belles poulottes au teint clair ont toujours fait l’admiration de tous ...

    J’ai personnellement interdit à ma femme (si tant est que je puisse lui interdire quelquechose ...) d’utiliser ces produits indignes et c’est à nous les hommes de savoir apprécier la beauté noire ...

  • Le 4 août 2006 à 14:25, par poullo En réponse à : > Les produits dépigmentants : Genèse d’un cynisme

    Mr Semdé nous relate certes des faits majeures dans son argumentaire, mais il ne faudra pas oublier l’aspect économique. C’est très important car il s’agit d’une affaire de gros sous et ces entreprises là ne sont pas prêtes à laisser tomber leur butin : ils sont à l’affût !

  • Le 4 août 2006 à 22:39, par Roland En réponse à : > Les produits dépigmentants : Genèse d’un cynisme

    C’est une vue parcellaire d’un problème beaucoup plus complexe.
    Les européens ( femmes et hommes confondus), passent des heures dans les solarium ( maison de bronzage artificiel) afin d’avoir une peau plus foncée ou moins claire ; c’est selon. il existe en occident des produits pour avoir des cheveux crépus, c’est à dire moins lisses ; des cheveux de black....quoi !
    Les Européens dépensent des sommes énormes pour aller bronzer en Thaïlande... mais dans ce pays, une femme belle, est une femme qui a la peau claire, blanche....
    C’est ça l’HOMME, jamais satisfait !!!!!
    je conviens avec vous, la santé prend un coup avec ces pratiques....
    Mais, ne versons pas dans la simplification....
    salut à tous !!!
    PS : je suis Africain, de peau noire.

  • Le 6 août 2006 à 15:11 En réponse à : > Les produits dépigmentants : Genèse d’un cynisme

    je voudrais dépasser ce clivage peau noire peau claire pour vous parler d’ ignorance à propos de tous ces produits interdits en occident. Ce sont donc des produits qui contiennent des subtances chimiques qui peuvent provoquer des lésions graves de la peau à long terme. ces produits sont souvent incompatibles avec le soleil. Mais , il se trouve que les utulisatrices se préocupent très peu de ce problème.

    La santé est une denrée rare qui ne se trouve pas sur la place du marché ou encore dans les boutiques. Attention à l’age de 35 ans ou avant à la regénération lente des cellules et aux premières apparitions des problèmes cutanés. Attention aux peaux léopard tachetées , Il n ’y aura plus rien à faire que de subir . Avant toute utilisation d’ un produit il faut demander l’avis d’un medecin.

  • Le 8 août 2006 à 22:51, par Jamal En réponse à : > Les produits dépigmentants : Genèse d’un cynisme

    Je voudrais appuyer l’intervention de Roland de manière mesuré car je pense qu’il y a un malaise dès lors qu’on parle de "blanchiment". c’est vrai que l’idée du noir est globalement négative. Diable, sale, bête, on nous a donné tout plein de mauvais qualificatifs. Mais il y a des "blancs" qui cherchent à bronzer. Par contre, je voudrais ajouter que les blanches ne cherchent pas à etre totalement noir car un bronzage excessif est considéré comme "vulgaire". Je voudrais aussi ajouter qu’il y a une certaine admiration pour la peau noire en Europe malgré tous les excès dont les "noirs" sont victimes. C’est une contradiction à souligner.
    Femme noire, femme africaine, reste belle.

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