1932 – 1947 : De la suppression de la Haute Volta à sa reconstitution

La Haute Volta, actuel Burkina Faso, n’a pas toujours existé, du moins tel que nous le connaissons aujourd’hui. Constitué en 1919 comme une colonie au sein de l’A.O. F (l’Afrique occidentale française), elle fut déstructurée en 1932 au profit de ses voisins. Des luttes ont été entreprises depuis lors pour le rétablissement de la Volta dans ses limites territoriales d’alors. Un véritable sentiment national sous le leadership du Moogo a émergé à cette période, jusqu’à obliger le colon à entériner sa reconstitution en 1947 : c’est le début de la naissance d’un État-nation dont la question de l’ethnie et du régionalisme demeure sensible. Dans notre chronique, nous allons d’abord revenir sur l’origine de la création de la Haute Volta ; analyserons les évènements marquants de la période de sa suppression et nous évoquerons enfin les enjeux au tour de sa reconstitution.
La création de la Haute Volta
Les conquêtes coloniales en Afrique se sont accompagnées de stratégies d’organisation politique des nouvelles colonies conquises. A ce titre, la conquête du Moogo en 1897 a précipité les évènements et servi de base à la création de la colonie de la Haute Volta. En 1904, le cercle Moogho une fois conquis, l’administration coloniale a profité de ce grand espace qui avait une similitude d’organisation politique avec le système colonial, pour imposer sa domination sur toutes les entités ethniques comme les gurnsé, les lobi qui avaient eux, des systèmes d’organisation politique divers et variés réfractaires à la subordination et à l’autorité.
Le cercle de Moogo a basculé sous le contrôle de l’administration française depuis Bamako, une distance de 1000 km avec le territoire conquis. Cela s’est soldée in fine par la naissance de la colonie de la Haute Volta en 1919. Benoît Beucher l’exprime en ces termes : « Le projet de regrouper les populations voltaïques dans un même ensemble, autour de l’élément mooga jugé stable, se solde en 1919 par la création de la Haute-Volta ». La création de la colonie de la Haute Volta répondait au bon vouloir de l’administration coloniale française de mieux contrôler l’espace Haut-Sénégal-Niger.
Suppression de la Haute Volta
Les débats sur la suppression de la Haute Volta se sont déroulés âprement dans les années 1930 -1940. La Haute Volta, en tant que colonie, n’apportait pas grand-chose aux colons confrontés à une crise économique tant à l’intérieur de la colonie qu’au niveau de la métropole. Créé dans le but d’être mise en valeur, la Haute Volta s’est révélée finalement aux yeux de la métropole une colonie de trop. Il fallait la supprimer pour résoudre d’abord les problèmes de moyens alloués au fonctionnement administratif.
Empêtré dans la guerre, le colon avait besoin de ces moyens pour la guerre que pour l’entretien d’une colonie qui ne rapporte pas de gain économique et augmentait initialement le personnel administratif. Aussi, sa suppression se justifiait aussi par la présence de la main d’œuvre abondante dont pouvait se servir son voisin, la Côte d’Ivoire, pour accroître son économie.
En fait, la colonie de la Côte d’Ivoire manquait de capital humain pour travailler dans les plantations. La main d’œuvre de la Haute Volta était un atout pour la production du cacao, du café, du bois, … Enfin, l’une des raisons qui a justifié le démantèlement de la colonie vient du fait qu’elle devrait servir, pour les concepteurs du projet de cultures irriguées dit de l’« Office du Niger », de main d’œuvre abondante.
La monarchie ouagalaise s’était opposée farouchement à la suppression de la colonie, qui pour elle, était un drame pour la chefferie. Joseph Conombo, très jeune à l’époque (15 ans), témoigne qu’il était saisi d’un grand sentiment de tristesse quand il a appris la nouvelle du démantèlement de la colonie.
Malgré le désespoir d’une grande partie de ses habitants, la colonie de Haute Volta sera supprimée le 5 septembre 1932 et partagée entre le Soudan français, le Niger et la Côte d’Ivoire. En effet le décret du 5 septembre 1932 dispose : « Les cercles de Fada et de Dori (le canton d’Arbinda excepté) sont rattachés à la colonie du Niger ; le cercle de Ouahigouya, le canton d’Arbinda du cercle de Dori et la partie du cercle de Dédougou sont rattachés à la colonie du Soudan ; les cercles de Tenkodogo, Ouagadougou, Koudougou, Gaoua, Batié, Bobo-Dioulasso et la partie du cercle de Dédougou retirée sur la rive droite de la Volta Noire sont rattachés à la colonie de la Côte d’Ivoire ».
Rétablissement de la Haute Volta
La suppression de la Haute Volta a conduit une importante main d’œuvre en Côte d’Ivoire qui travaillait dans des conditions extrêmement difficiles. Une partie de cette main d’œuvre fuyait vers le Ghana pour échapper aux dures conditions d’existence. Sur le plan politique, la suppression est vécue comme une humiliation par la chefferie moaga qui bénéficiait du prestige et un peu d’autorité comparée aux autres cercles. Le Moogho Naaba meurtri dans son amour propre va engager des discussions pour le rétablissement de la colonie. Il créa en 1945 l’Union voltaïque et fait preuve d’un nationalisme prononcé pour unir tous les fils et filles du territoire afin que la colonie retrouve ses limites d’antan.
Mais il est soupçonné d’un impérialisme moaga par ses voisins de l’ouest voltaïque et du sud-ouest très proche du R.D.A (Rassemblement démocratique africain) qui sont sous l’influence du Parti communiste français. Les discussions pour le rétablissement vont beaucoup évoluer, le Moogho Naaba estime que la suppression de la Haute Volta en 1932 violait le traité de protectorat de 1897 et qu’il était normal de le rétablir dans ses droits.
L’administration coloniale, craignant l’influence du communisme à travers le RDA au sud du territoire, avait tout à gagner en rétablissant cette colonie, car ce rétablissement permettait de renforcer l’autorité de la chefferie qui était sous leur contrôle et contrer l’expansion de la RDA. Le 4 septembre 1947, la colonie de la Haute Volta fut rétablie, par un décret présenté par le président du gouvernement Auriol, dans ses frontières initiales comme territoire d’outre-mer au sein de l’Union française.
Réf :
– Cent ans D’histoire : 1895-1995, Tome 1, Bi Gnangoran Yao 788, Karthala, PUO
– Benoît Beucher, Dans Politique africaine 2010/2 (N° 118), pages 165 à 186
Wendkouni Bertrand Ouédraogo
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