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1959-1960 : Le souverainisme politique de la Haute Volta, nouvel Etat indépendant

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Publié le jeudi 20 juin 2024 à 22h00min

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1959-1960 : Le souverainisme politique de la Haute Volta, nouvel Etat indépendant

Après que le pays ait pris son indépendance le 5 août 1960, les termes de la coopération avec l’ancienne puissance coloniale se sont posés avec beaucoup d’acuité. La Haute Volta sous le leadership de Maurice Yaméogo a opté pour un souverainisme militaire dans sa nouvelle relation avec la France. En avril 1961, Maurice Yaméogo refusa de signer les accords de défense proposés par le général De Gaulle et contraint la France à rapatrier ses troupes du nouveau territoire indépendant le 31 décembre 1961. Quelles ont été les tractations qui ont prévalu dans ces nouvelles relations de coopération militaire entre la France et la Haut Volta ? Pourquoi la Haute Volta a refusé de signer les accords militaires proposés par la France ? Comment le nouvel Etat indépendant a pu vivre cette expérience de souveraineté ? Dans notre chronique, nous voulons revenir sur les évènements qui ont marqué cette période d’affirmation de la Haute Volta sur le plan militaire.

Les relations entre la Haute Volta et la France ont été de plus en plus tumultueuses dès l’accession du pays à l’indépendance. Le pays, de par sa position géographique, représentait un enjeu majeur stratégique pour la France dans un contexte de division du monde en deux blocs. En effet, la France comptait garder des liens étroits avec son ancienne colonie, surtout en matière de défense et de sécurité et propose un système de défense intégré dont l’intention inavouée est de contrer une éventuelle expansion du communisme dans les nouveaux Etats indépendants. Au-delà de la crainte du communisme, la France voulait maintenir ses intérêts économiques en Afrique occidentale française. Il y a également un enjeu culturel majeur compte tenu de sa longue tradition avec ces États nouvellement indépendants. Le général De Gaulle à Strasbourg en 1961 déclarait nécessaire pour la France de collaborer et surtout de maintenir son influence et les liens étroits qui existent entre ses anciennes colonies dans la tourmente d’un monde divisé principalement en deux camps : le camp occidental et libéral avec l’OTAN comme système de défense et le camp soviétique avec le Pacte de Varsovie.

La Haute Volta, après son accession à l’indépendance, entend affirmer sa pleine souveraineté non seulement vis-à-vis de l’ancienne puissance colonisatrice mais aussi de tout autre partenaire qui voudrait le courtiser. Le ton est donné par le président Maurice Yameogo qui, lors d’une réunion de Conseil de l’entente, affirme devant ses pairs : « La Haute Volta n’estime pas nécessaire de se rallier à un système fondé sur la notion de défense commune et communautaire ». Par rapport aux responsables des autres États, les dirigeants voltaïques se sont montrés souverainistes lors des négociations des termes de coopération après l’accession du pays à son autonomie territoriale. Dans une rencontre tenue à Cotonou le 27 juillet 1958, la Haute Volta prenait position pour son indépendance immédiate. Cependant, il ne s’agit pas pour les dirigeants voltaïques d’une indépendance au rabais ou une indépendance surveillée, mais d’une indépendance totale et réelle. Avec le bureau du RDA qui a participé à la rencontre à Cotonou, il ressortait clairement que cette indépendance n’est possible qu’à la constitution d’une armée nationale souveraine, débarrassée de toute influence extérieure. Le président Maurice Yaméogo quant à lui maintenait sa position et affirmait à tout bout de champ ceci : « j’ai dit et je répète, que nous n’accepterons pas de bases militaires en Haute Volta, qu’elle soit française, américaine ou russe ». Le souverainisme du président Yaméogo ne satisfait pas la France qui proposait un système de défense commun avec les pays de l’Afrique francophone.

Les accords de défense que la France a proposés contenaient entre autres la défense interne et externe des Etats concernés, l’installation des bases militaires dans ces États, une coopération étroite entre ces États et la France sur les hydrocarbures et les produits stratégiques tels que l’uranium, le lithium, le béryllium, les autres minerais et l’adoption d’une politique de soutien logistique. Les tractations pour la signature de ces accords ont fait couler beaucoup d’encre et de salive, surtout du côté des dirigeants de la Haute Volta. L’aile dure du RDA (Rassemblement démocratique africain) avec des leaders influents comme Banima G. Nébié, Bakary Traoré, Moussa Traoré, Maxime Ouedraogo, Bougouraou Ouédraogo incarnait une volonté souverainiste face aux propositions des accords de défense. C’est à Niamey que la France a décidé de rencontrer les États membres du Conseil de l’Entente pour discuter des termes de la nouvelle collaboration avec ses anciennes colonies.

Désignée sous le nom de commission paritaire, la rencontre avait pour objectif de définir et de déterminer les nouveaux liens de coopération entre la France et les nouveaux Etats sur le plan militaire. Dès l’ouverture des discussions, la délégation voltaïque a manifesté sa volonté de ne pas signer les accords de défense. La France n’étant pas satisfaite va multiplier les rencontres et cette fois va traiter la question avec les États pris individuellement. C’est ainsi que Maurice Yaméogo va se rendre à Paris le 14 avril 1961 pour traiter de la question des accords de défense. Avant de s’y rendre, il affirme officiellement que « ces accords de défense ne sont pas négociables ».

Après moult tractations et de longs débats, la France ne va obtenir de la Haute Volta que la signature d’une simple assistance technique. L’Assistance militaire technique (AMT) a été signée le 25 avril 1961 à Paris. Contrairement aux accords de défense qui composaient la défense interne et externe des Etats, l’installation de bases militaires et bien d’autres aspects, l’assistance technique se résume à un appui militaire technique en personnel, à l’encadrement, à l’organisation et à l’instruction des forces armées. Cet accord respecte la volonté souverainiste du nouvel État et pouvait évoluer en fonction des partis signataires.

Après la signature de ces accords, la Haute Volta exigea le départ des troupes françaises basées à Bobo Dioulasso. Le président Maurice Yaméogo envoya une délégation à Paris en septembre 1961 pour exprimer cette décision. La délégation exigea le départ des troupes dans un délai de trois mois. La France estimait que ce délai était trop court et que la délégation manquait de réalisme. A défaut d’avoir le délai d’un an, la France proposa de retirer ses troupes d’ici six mois. Intransigeante, la délégation ne jurait que les trois mois et la France va se résoudre à rappeler ses troupes le 31 décembre 1961.

Maurice Yaméogo a maintenu sa ferme volonté de disposer librement de son territoire après l’accession de son pays à l’indépendance. Le refus de signer les accords de défense peut se justifier entre autres par la volonté d’indépendance du nouveau président, la crainte de l’ingérence de l’ancienne puissance coloniale dans les affaires intérieures et surtout le respect du principe du non-alignement dans lequel il a engagé la Haute Volta lors de la conférence de Bandung en 1955.

Dans l’expérience de cette souveraineté totale réclamée de manière brutale avec l’ancienne puissance coloniale, Maurice Yaméogo confia qu’il s’est laissé induire en erreur par l’aile dure du RDA, surtout par le très influent ministre de la défense Banima G. Niébé que l’on taxe d’anti-français. En soupçonnant les membres durs du RDA de l’avoir induit en erreur pour des ambitions politiques et des positions de postes, Maurice Yaméogo a entrepris un limogeage de ses cadres et les a tous affecté dans des zones reculées de la Haute Volta. Cela n’a pas empêché la chute de son régime le 3 janvier 1966.

Réf : Burkina Faso : Cent ans d’histoire : 1895-1995, Yacouba Zerbo, p 1053
 Balima (A.S), Genèse de la Haute Volta, Presses africaines, Ouagadougou, 1969, p253
 Lavroff (DG), La politique africaine du Général De Gaulle 1958, 1969, Institut d’études politiques de Bordeaux, Paris 1980, p421

Wendkouni Bertrand Ouédraogo
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Photo : RFI

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