Norbert Zongo : Une vie pour la liberté et la justice
Son nom est gravé dans le marbre de l’histoire politique du Burkina. Dans le domaine du journalisme, il est reconnu comme l’enfant terrible de la presse burkinabè. Écrivain engagé, journaliste indépendant, anti-impérialiste, anti-putschiste, contempteur des dictatures africaines, défenseur infatigable des droits de l’homme et de la liberté d’expression, Norbert Zongo a sacrifié sa vie pour la liberté et la justice. Dans notre chronique, nous reviendrons sur ce personnage « au destin tragique » qui a secoué l’histoire politique du Burkina et dont la plume dénonçait avec courage et lucidité les laideurs sociales et politiques.
Norbert Zongo est né le 31 juillet 1949 à Koudougou dans la cité des cavaliers rouges. Inscrit à l’École primaire régionale de Koudougou, il y gagne son Certificat d’études primaires et fait son entrée au Cours normal de Koudougou en octobre 1964. Le BEPC obtenu en 1969, Norbert Zongo sera interdit d’accès à toutes les casses de Seconde des établissements scolaires du Burkina Faso pour des raisons inconnues. Mais l’élève ne désespère et s’engage comme instituteur à Barsalgho en 1971. Il obtient son baccalauréat en 1975 en étant instituteur. Il quitte Barsalgho et rejoint Pô, toujours comme instituteur et s’inscrit à la Faculté de droit, de l’université d’Abidjan où il opte pour l’examen terminal unique (E.T.U).
Il donne également des cours comme professeur de français au collège Saint Joseph de Ouagadougou et s’est illustré par l’amour de son métier et son humanisme envers ses collègues et ses élèves. En 1979, il est admis à l’Institut supérieur de presse du Conseil de l’Entente de l’université de Lomé où il échappe de justesse à la fureur de la dictature togolaise en fuyant au Ghana. Du Ghana, il est de retour au Burkina, fait un an de prison avant de gagner sa liberté. Il poursuivra plus tard ses études de journalisme avec l’aide de l’écrivain Hamadou KOUROUMA, à l’université de Yaoundé. En 1984, il rejoint l’École supérieure de Journalisme de Yaoundé au Cameroun. De retour au pays en 1986, il forge ses premières armes au quotidien Sidwaya d’abord, puis a l’hebdomadaire Carrefour Africain, où Il collabore aussi régulièrement aux journaux privés Le Journal du Jeudi et La Clef. Très critique vis-à-vis du pouvoir, il est muté à Banfora. Il refuse et crée son propre journal, l’hebdomadaire L’indépendant avec pour devise Bory bana (la course est finie) en juin 1993. Il signe ses écrits sous le pseudonyme Henry Sebgo.
Un combattant né
Enfant, Norbert Zongo se passionnait déjà pour le travail bien fait, la recherche de la justice et faisait déjà preuve d’une conscience éveillée des problèmes que vivent son pays. « Baoyir malgre » - le nom que son père lui donna à la naissance, « est un projet de vie et d’action humaniste » que l’homme essayera d’accomplir durant toute sa vie.
Adolescent, avec des feuilles accrochées aux arbres, articles et romans, il prenait déjà fait et cause pour les faibles et les opprimés et dénoncera avec toute sa force les injustices sociales. A l’école, Il créé son premier journal ” La voix du Cours normal “. Très tôt le matin à 4 h 30 mn, il écoutait la BBC et d’autres radios internationales, sélectionnait les nouvelles intéressantes et en faisait des débriefing qui seront affichés avant 6 h 30 mn. Mais la ” Voix du Cours normal ” sera accusé de journal politique dangereux et interdite.
Norbert Zongo dénoncera les maux qui gangrène le milieu scolaire il « critique de manière intelligente ce qui lui apparaît comme des manquements graves aux droits des élèves » Il lutta pour une cantine saine et suffisante pour les élèves et condamnait avec véhémence les violences basées sur le genre et le statut social.
Un héraut de la vérité
Norbert Zongo peut être considéré comme un prophète de la vérité dans une république « emblématique de la culture de la violence et de l’impunité, du mépris de la justice et de la banalisation de la vie humaine » qu’était la IVe République de Blaise Compaoré. Dans cette période où la vérité était comme un crime, Norbert Zongo continuait sa mission d’investigation, celle de dire la vérité sur tous les crimes auxquels le régime de Blaise Compaoré s’adonnait. Son journal hebdomadaire l’Indépendant était une lampe solaire qui éclairait le peuple, journal « le plus lu et le plus commenté même dans les hameaux les plus reculés du Burkina. »
Un amour tragique de la liberté et de la justice
Conscient que « nul n’a un avenir dans un pays qui n’en a pas », Norbert Zongo appelait ses concitoyens à se battre pour la liberté, la justice et l’indépendance. Il dénonçait les mauvaises pratiques de gouvernance, les crimes économiques et les crimes de sang malgré la répression et les plans d’assassinats. Epris de justice et de liberté, il enquête sur les crimes du régime du Front populaire de Blaise Compaoré et y révèle sa face hideuse, le sang qui s’y mêle et coule à flot pour que soit pérennisé son pouvoir patrimonialisé et despotique. Le dernier dossier sur lequel il enquêtait avant sa mort concernait la mort de David Ouedraogo, enquête qui concernait le cercle rapproché de la présidence et qui lui a valu la furie du régime. Dans un éditorial prémonitoire paru dans son journal l’Indépendant, du 2 juin 1994 Norbert Zongo confie à ses lecteurs sa conversation avec sa mère en ces termes : « Mon fils, je suis venue te dire une chose : de nombreuses personnes sont venues me dire que tu écris encore des choses sur le président. Elles m’ont dit que ta vie est en danger, parce que le président qui est au pouvoir ne se contentera pas de t’emprisonner comme l’autre avant, mais celui-là va te tuer. Si ce qu’on dit est vrai, je viens te supplier de ne plus écrire. Si tu meurs… ». Balloté entre courage et lâcheté, le respect de la parole de sa mère et sa propre conscience ; vivant sous le poids « des tempêtes sous nos crânes » dans le pays « des sans-avenirs », il décide de poursuivre son combat en incarnant un « amour tragique pour la liberté et la justice »
Un écrivain engagé
Norbert Zongo avait une plume alerte et séditieuse, qui troublait le sommeil des dictateurs africains et leurs courtisans. En 1988, il écrit son premier roman : le parachutage, où il décrit de manière lucide et humoristique les pratiques de gouvernance africaines et la fin tragique des dictatures. En 1990, il publie Rougbêinga, « un bréviaire de la liberté » où il peint les massacres et les actions coloniales et la résistance farouche des peuples africains. Ses articles réunis autour du livre « le sens d’un combat » édité par le Centre national de presse Norbert Zongo sont toujours d’une richesse inépuisable et d’une profondeur absolue sur les pratiques de gouvernance, la défense des droits de l’homme, la liberté d’expression et la lutte pour une véritable démocratie. Il y décrit le rôle de l’intellectuel dans la société, les inégalités dans les rapports nord-sud et à travers sa fameuse phrase il appelle à la lutte : « Le pire n’est pas la méchanceté des gens mauvais, mais le silence des gens bien »
Bibliographie
– -Alain Casimir Zongo, in Norbert Zongo, l’homme et son œuvre : Norbert Zongo à la lumière de la figure de l’individu historique hégélien éditions Toumaï, 2021,p217-239
– Jean Ouédraogo, Burkina-Faso, Autour de l’affaire Zongo, dans Politique africaine 1999/2 (N° 74), pages 163 à 183
– Barry Alceny Saidou, « Rougbêinga » de Norbert Zongo : Un bréviaire de la liberté, Publié le jeudi 15 mai 2008 à 11h28min par faso.net
– Vincent Ouattara, L’Ère Compaoré : Politique, crimes et gestion du pouvoir, Editions Publibook, p.107
– -Kouléga Julien Natielse, Le Burkina-Faso de 1991 à nos jours : entre stabilité politique et illusionnisme démocratique, thèse de doctorat,2013, p.245
– De Norbert Zongo à Henri Sebgo, l’histoire d’un nom. Https ://lefaso.net/spip.php ?article126713
– -Biographie de Norbert Zongo, https://www.thomassankara.net/biographie-de-norbert-zongo
Wendkouni Bertrand Ouedraogo
Lefaso.net