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Burkina Faso : Les frontières avant la colonisation

Publié le mercredi 2 octobre 2024 à 14h48min

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Burkina Faso : Les frontières avant la colonisation

Les frontières actuelles du Burkina Faso ont été tracées par les soins du colonisateur français qui, après avoir conquis définitivement le Moogho en 1897, a formé le territoire de la Haute Volta en 1919. Avant la colonisation, cet espace était constitué d’entités territoriales délimitées en zones d’influences par les différents royaumes et ethnies du Burkina. Mais quelles étaient les frontières de ce territoire avant la pénétration française ? Nous retracerons les origines précoloniales de ces frontières avec Pierre Claver Hien, chercheur à l’Institut national des sciences sociales (INSS).

« La question des frontières en Afrique Noire précoloniale continue de diviser les chercheurs en sciences sociales. Quand ces derniers ne renient pas simplement leur existence, ils ne voient souvent en elles que des limites floues et imprécises. A notre avis, la persistance de ces fantasmes s’explique partiellement par l’approche réductrice du concept de la frontière ou par une méconnaissance de la culture politique des sociétés africaines traditionnelles. Selon la définition de Paul Geouffre de Lapradelle que nous partageons, celle-ci constitue la limite territoriale de la souveraineté d’un Etat donné. Seulement, certains en ont profité pour nier le fait que l’Afrique précoloniale, à l’exception de l’Egypte ancienne, ait connu la notion de frontière bien délimitée, dans la mesure où l’on y retrouvait des Sociétés dites sans Etats ou tout simplement parce qu’elle n’avait pas d’instruments technologiques permettant des délimitations précises. Or, nos récentes enquêtes orales et l’analyse de la géopolitique des pays du Burkina Faso précolonial contredisent sévèrement ces idées reçues. En effet, à la fin du 19° siècle, la partie orientale et centrale du Burkina Faso était essentiellement occupée par les royaumes gourmantché, mossi (moose et par les chefferies peul. Les frontières y correspondaient alors aux domaines où s’exerçaient l’autorité du chef ou du roi. A cause de certaines rivalités politiques, des formations territoriales constituaient des zones de séparation entre deux puissances. Dans la première moitié du siècle dernier, par exemple, les chefferies et émirats peul du Dịelgodji et du Liptako formaient en réalité une zone-frontière entre le Khalifat de Sokoto et I’ empire du Macina. Par ailleurs, après l’invasion du Macina par El Hadj Umar Tall en 1862, on peut dire que les chefferies du Dịelgodji en particulier étaient des marges qui furent aussi des marches d’après Foucher entre les Mossis du Yatenga et les gens du Macina dans la seconde moitié du même siècle.

S’agissant de la partie occidentale du Burkina Faso actuel, la géopolitique précoloniale restait dominée par des sociétés à organisation villageoise ou lignagère. Certes, le Guiriko avait été fondé sous I ’impulsion des Ouattara originaires de Kong (actuelle Côte d’Ivoire) dans la première moitié du 19e siècle. Ses assisses territoriales couvraient en théorie la région de Bobo-Dioulasso, mais cette entité était plutôt une fiction d’empire car jusqu’aux conquêtes européennes, ces Dioula (Ouattara) n’avaient pas réussi à soumettre suffisamment les populations autochtones à commencer par les Bobo et les Bwa en vue de constituer un ensemble politique véritablement cohérent. Aussi, à l’ouest et au sud-ouest burkinabè, les frontières villageoises délimitaient l’autorité politique ou religieuse de chefs de villages ou de maîtres de la terre indépendants les uns des autres.

Les modes de délimitation correspondaient alors à des éléments du relief, de l’hydrographie ou à des lignes imaginaires invisibles mais qu’il était possible de repérer à l’aide de certains procédés magico-religieux. En un mot, les frontières précoloniales au Burkina Faso étaient apparemment imprécises parce qu’elles étaient précisément sacrées.

Cependant, ces limites des formations politiques anciennes n’étaient pas immuables pour autant. Bien au contraire, la géopolitique des pays du Burkina Faso précolonial, à la veille des conquêtes coloniales, était minée par d’importants conflits. Au Yatenga, par exemple, un conflit de succession opposait les « fils de Saaga » aux « fils de Tugri ». Ces derniers, expulsés de la capitale Ouahigouya, menaient alors une résistance dans la zone frontalière septentrionale, aidés par les Peul de Tioul. Au centre, les derniers Moogho naba de Ouagadougou furent absolument impuissants face à une guerre séparatiste déclenchée par la chefferie de Lallé (région de Koudougou). Chez les Gourmantchés, enfin, le souverain légal de Fada, Batchandé, était combattu par un des prétendants malheureux au trône, Yentougouri, qui avait l’appui militaire des chefs de Bilanga et de Diapangoul.

A l’ouest et au sud-ouest, la situation politique et militaire présentait les mêmes incertitudes de stabilité. Là, les troubles politico-militaires dans la seconde moitié du 19e siècle étaient essentiellement imputables à une sorte de renouveau de l’islam conquérant sous l’impulsion du Macina. Ainsi s’analysent en partie les guerres imposées aux Samo du Sourou par le chef peul de Barani, Ouidi, et surtout la guerre sainte ou Jihad menée par le Marka Ali Kari de Boussé, de même, dans la région de la Volta Noire, les Marka, sous la houlette de la dynastie de Karantao établie à Wahabou, exercèrent une domination sur une fraction des Gourounsi et des Bwa . De ce fait, la défaite de Moctar Karantao en pays dagara mit une fin prématurée à la tentative d’imposer l’islam par les armes dans la Bougouriba vers 1880-1885. Quoi qu’il en soit, le pays gourounsi, par contre, n’avait pas pu échapper à une sorte de colonisation précoce imposée par les Zaberma. Originaires du Niger actuel, ces derniers profitèrent des guerres inter-villageoises pour s’y installer et procéder à l’exploitation féroce du pays. Les Zaberma échangeaient les captifs gourounsis contre les chevaux des Mossis, mais ils étaient surtout vendus au Sud-Ghana actuel où les Ashanti s’en procuraient pour renforcer leurs armées de conquête. Ces exactions justifient en partie la rébellion d’un ancien captif Zaberma, Hamaria, vers la fin du siècle dernier, malgré une suprématie militaire des occupants, le leader zaberma, Babato, ne put venir à bout d’une véritable guérilla jusqu’à l’intervention des troupes de Samory Touré, dans cette région en juillet-août 1896. En réalité, il n’y a pas eu une conquête militaire proprement dite des pays du Burkina Faso actuel par Samory Touré. Après la destruction de la Ville de Oua au Nord-Ghana actuel, en février 1896, le fils de Samory Sarankény proposa sa médiation aux parties en conflits en pays gourounsi. Au terme d’un accord conclu dans la boucle du kulpawn, Hamaria accepta de fournir des chevaux aux armées samoriennes tandis que le leader Zaberma, Babato, se résigna à joindre ses forces armées à celles de Sarankény dans la perspective de futures conquêtes. Ce faisant, on peut s’accorder avec le Révérend Père Jean Hébert pour dire que la zone d’influence de Samory Touré s’étendait théoriquement du pays gourounsi aux frontières du Mogho. Dans le même ordre d’idées, le ralliement de Kong à Samory depuis avril 1895 avait poussé logiquement les troupes de ce dernier à se diriger vers le Guiriko. Arrivé à Bobo-Dioulasso et après s’être heurtées à une résistance des Tiéfo de Noumoundara, Samory Touré fut plutôt bien accueilli par la princesse Guimbi Ouattara en début juillet 1897. La ville de Bobo-Dioulasso fut épargnée de ses exactions. Néanmoins, celui-ci se considérait comme le maître de ladite ville en raison de l’amitié qui le liait depuis lors à la dynastie des Ouattara issue de Kong.

Ces quelques données de la géopolitique précoloniale ne permettent pas de nier l’existence des frontières anciennes. Leur dynamisme restait tributaire des conflits en suspens à la veille des conquêtes européennes. Mieux, on sait par ailleurs que chaque nation européenne était tenue de notifier sa présence sur une partie quelconque du continent aux autres puissances rivales après la conférence de Berlin elle-même. La course aux traités d’amitié qui s’ensuivit à l’intérieur des pays du Burkina Faso actuel constituait aussi une reconnaissance implicite de la réalité des frontières anciennes ».

Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net

Références.
- Pierre Claver Hien, Les frontières du Burkina Faso : Genèse, typologie et conflits (1885 à 1985), in Burkina Faso :centansd’histoire,1895-1995, Karthala, 2003, p697
  ZIDOUEMBA, H. D. 1977, Les sources de l’histoire des frontières de l’Ouest africain, Dakar, Bulletin de ‘IFAN (BIFAN), série B. n° 4. P. 700.
  KAMBOU-FERRAND, J.M. 1993, Peuples voltaïques et conquêtes coloniales : I885-1914
  MADIEGA, Y. G. 1981, « Esquisse de la conquête et de la formation territoriale de la colonie de Haute-Volta », BIFAN, t. 43, série B. n° 3-4, p. 222.
  HEBERT, R. P. J. 1976, Esquisse d’une monographie historique du pays dagara, inédit, p. 52
  FOUCHER, M. 1991. Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, p. 180.
  CAPRON, J. 1973, Communautés villageoises Mali/Haute-Volta, Paris, Institut d’ethnologie, p. 82.
  HIEN, P. C. 1996, Le jeu des frontières en Afrique occidentale cent ans de situations conflictuelles au Burkina Faso actuel (1886-1986). Thèse de doctorat d’histoire de l’Université de Paris 1, P. 65.

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