Année 1974 : Un coup d’État sans tambours ni trompettes en Haute Volta
Le soulèvement populaire du 3 janvier 1966 a consacré l’arrivée de l’armée au pouvoir en Haute Volta (aujourd’hui Burkina Faso). Le 12 décembre 1966, Sangoulé Lamizana, après avoir créée le Conseil des forces armées voltaïques (CFAV) décide de garder le pouvoir pour une période de quatre ans. Le 14 juin 1970, il dote le pays par référendum d’une nouvelle constitution – celle de la deuxième République - quittant le régime militaire pour un régime parlementaire. Après quatre ans d’expérience démocratique, le 8 février 1974, l’armée réalise un coup d’État suite à la crise institutionnelle que connaissait la deuxième République. Comment expliquer cette interruption du processus démocratique ?
Des facteurs externes
L’environnement international dans lequel la deuxième république évoluait était difficile et n’était guère favorable à un régime parlementaire. Ainsi, en 1973, le choc pétrolier a engendré une crise économique en Haute Volta, réduisant à minima le pouvoir d’achat. Dans la même année, le pays faisait face à une grande sécheresse aux conséquences innombrables. L’historien et chercheur Jean Marc Palm note à cet effet : « les conséquences en ont été terribles : famine et déplacement des populations, surtout du nord du pays durement touché par le fléau, vers I ’Ouest aux conditions climatiques plus clémentes. La seule solution du gouvernement pour résoudre le problème fut le recours à la communauté internationale. Une partie de l’aide ainsi obtenue fut détournée par des dignitaires du régime. Les syndicats dénoncèrent le scandale en forgeant le terme de "Watergrain" par référence au "Watergate" des Etats-Unis d’Amérique et entretinrent une profonde agitation sociale ».
Il y avait également des tensions sous forme de conflit territorial entre le Mali et le Burkina que l’on a appelé « la guerre des pauvres » qui est survenue en 1974 à propos de la bande d’Agacher.
On pourrait noter également l’avènement à cette période des régimes populistes qui exaltent le sentiment national à travers un contrôle strict sur la population pour répondre aux effets pervers de la chute de l’économie internationale. Il s’agit de « l’authenticité » de Mobutu au Zaïre et « la nouvelle marche » de Gnassingbé Eyadema au Togo. Tout cela aurait influencé le choix du président Sangoulé Lamizana de basculer d’un régime parlementaire à un régime militaire avec « le renouveau national » qu’il a créé à la veille de son coup d’État en 1974.
Des querelles intestines entre leaders et partis politiques
La belle expérience démocratique qui a commencé en Haute Volta en 1970 a échoué à cause peut-être des querelles de leadership, de rivalités qui existaient à l’intérieur de certains partis et aussi entre les différents partis. En effet, à l’issue des élections législatives de 1970, l’UDV-RDA - le plus vieux parti depuis 1946 - arrive en tête. Gérard Kango Ouédraogo en était son président et Joseph Ouédraogo son secrétaire général. Dans l’esprit du parlementarisme rationalisé que recommandait la constitution, Gérard Kango Ouédraogo devînt Premier ministre et devrait former son gouvernement. Joseph Ouédraogo quant à lui assura la présidence de l’Assemblée nationale. Le président du Faso Sangoulé Lamizana est l’arbitre qui assure le bon fonctionnement des institutions.
Le 22 janvier 1974 une crise éclate entre Gérard Kango Ouédraogo et Joseph Ouédraogo, bloquant le fonctionnement optimal des institutions, car chacun de ces deux leaders voulait être candidat à la future présidentielle. Le courant ne passe plus aussi entre Gérard Ouédraogo et Joseph Conombo son ministre des affaires étrangères et Ali Barraud ministre de la santé, qui démissionnèrent du gouvernement et apportèrent leur soutien au président de l’Assemblée nationale. Les divergences tournaient aussi au tour du retour de l’ancien président Maurice Yaméogo ainsi que la réforme du statut de la chefferie traditionnelle. La deuxième république vit ses heures les plus sombres. Selon le journaliste Paulin Bamouni, « la situation devint très préoccupante pour l’ensemble du pays à cause de la dégradation économique que cela entraîna pour l’ensemble de la population. Sans plus attendre, quinze syndicats de base adressaient le 2 février 1974 une déclaration commune au chef de l’Etat pour lui demander, en tant qu’arbitre suprême, de mettre un terme dans les meilleurs délais à cette situation intenable en prenant toutes ses responsabilités ».
C’est ainsi que le 8 février 1974, le général Lamizana reprit totalement le pouvoir et sonna la fin de la récréation.
L’armée ne veut plus retourner dans les casernes ?
L’arrêt du processus démocratique en Haute Volta en 1974 peut s’expliquer également par le fait que l’armée, après avoir goûté à la gestion du pouvoir d’Etat et ses privilèges, ne veut plus retourner dans les casernes. En effet, la constitution prévoyait des dispositions pour résoudre la crise sans que l’on retombe dans un régime militaire. Notamment l’article 35 de la constitution qui prévoyait que « lorsque les institutions de la République, I’ indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire, ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate, ou que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend, après délibération du conseil des ministres, et après consultation du président de l’Assemblée nationale et de la Cour suprême, les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances. Il en informe la nation par message. En aucun cas, il ne peut faire appel à des forces armées étrangères pour intervenir dans un conflit intérieur. L’Assemblée nationale se réunit de plein droit et ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels ». Le coup d’État est intervenu car pour Jean Marc Palm, « il était connu qu’à l’approche des échéances électorales de1974, beaucoup d’officiers n’étaient guère enthousiastes à l’idée de regagner les casernes ».
Le coup d’État militaire n’était donc pas la seule réponse qu’on pouvait apporter à la crise. Jean Marc Palm explique cela et les raisons du coup d’État en ces termes : « Pour le président Lamizana, appliquer I’article 35 lui imposait de prendre parti pour un camp, notamment celui du président de l’Assemblée nationale que la constitution lui interdisait de dissoudre. En outre, I ’esprit de la constitution exigeait du président de la République, une motion de défiance ou de censure des députés pour dissoudre le gouvernement. Or, ceux-ci venaient de terminer une session extraordinaire où l’opportunité d’une telle mesure n’avait pas été examinée. La demande de convocation d’une nouvelle session extraordinaire fut rejetée par le Premier ministre qui avait compris la manœuvre du président de l’Assemblée nationale. Pour mettre en difficulté son adversaire, le président du conseil des ministres soumit au président de la République, la liste de son nouveau gouvernement le 6 février 1974, ayant remplacé les deux ministres démissionnaires. Le chef de l’Etat, en accord avec l’armée, décida de renvoyer les deux adversaires dos à dos, estimant qu’ils étaient les principaux responsables de l’impasse dans laquelle se trouvait le pays. Les arguments du général Lamizana n’étaient évidemment pas partagés ni par Gérard K. Ouédraogo, ni par Joseph Ouédraogo. Pour eux, chacun des deux estimant avoir raison, le président de la République devait appliquer la loi fondamentale. La solution du putsch répondait, à leurs avis, aux ambitions des militaires de ne pas regagner les casernes ».
La crise institutionnelle grave dans laquelle la Haute Volta vivait à l’époque ainsi que les difficultés économiques géopolitiques et surtout le désir de l’armée de rester au pouvoir pouvaient expliquer l’arrêt de la deuxième République et l’avènement du Renouveau national à travers le coup d’État du 8 février 1974.
Bertrand Ouédraogo (collaborateur)
Lefaso.net
Références
- Domba Jean-Marc PALM, Le « renouveau national » ou les velléités totalitaires du deuxième régime militaire voltaïque (1974-1978), Lettres, Sciences Sociales Et Humaines, 24, Publiée le 07/08/2021.
– Témoignages : Le Général Aboubacar Sangoulé Lamizana, un énorme héritage aux Burkinabè Publié le mardi 11 octobre 2005 à 07h36min. https://lefaso.net/spip.php?article10118
– Beucher Benoit, Le Burkina Faso et son environnement géopolitique : essai de mise en Perspective historique, Annuaire français des relations internationales, vol. XII, Paris, La Documentation Française, 2011, pp. 687-701.
– Paulin B. Bamouni, l’évolution politique de la Haute Volta, © Peuples Noirs Peuples Africains no. 34 (1983) 53-74
– L’Etudiant d’Afrique noire, n° 65 d’Août 1972, page 11, Amertume et tensions se répandent en Haute Volta https://www.monde-diplomatique.fr/1972/08/DECRAENE/31048