LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Se tromper de chemin, c’est apprendre à connaître son chemin” Proverbe Tanzanien

Burkina : En 1984, Thomas Sankara prononce un discours mémorable à l’ONU

Publié le lundi 7 octobre 2024 à 12h43min

PARTAGER :                          
Burkina : En 1984, Thomas Sankara prononce un discours mémorable à l’ONU

Le 4 octobre 1984, alors qu’il venait de prendre le pouvoir il y a seulement une année en Haute Volta en proclamant la Révolution démocratique et populaire et la formation des Comités de défense de la révolution (CDR), le capitaine Thomas Sankara livre un discours historique pour le monde entier à la 39e tribune de l’ONU. Quarante ans après, ce discours reste d’une actualité brûlante tant les enjeux géopolitiques qu’il a abordés continuent de secouer l’actualité internationale. Retour sur l’un des discours les plus emblématiques du leader charismatique de la révolution d’août 83.

Notre maison blanche se trouve à Harlem

Avant qu’il n’arrive à la tribune des nations unies, Thomas Sankara fait une escale le 2 octobre 1984 à Harlem, l’un des quartiers populaires de Noirs d’Amérique où il devrait participer à un salon d’exposition d’objets d’art. Dans la salle du Harriet Tubman High School, une salle de 400 places pleine à craquer, Thomas Sankara livre un discours saillant sur l’identité africaine, la renaissance de l’homme noir, les valeurs ancestrales et appelle tous les présidents africains qui viendront désormais à New York à passer d’abord par Harlem. Pour le capitaine président « notre Maison blanche se trouve dans le Harlem noir ». Pour lui, la fierté de l’homme noir doit être inscrite dans un programme de recherches en vue de faire rayonner la civilisation nègre partout dans le monde. L’Institut des peuples noirs faisait partie de ce programme car dit-il « Faisons en sorte, chers frères et camarades, que les générations à venir ne nous accusent pas d’avoir bradé, d’avoir étouffé l’homme noir ».

Sur la question du choix de Harlem, Sankara affirme qu’il y a une solidarité dans la lutte entre la révolution burkinabè et tous les peuples du monde entier qui souffrent. Il s’agit de faire en sorte que Harlem devienne « un cœur vivant qui bat au rythme de l’Afrique » pour que le monde entier respecte Harlem et les Noirs.

Le discours historique à l’ONU

Pendant plus d’une demi-heure, sans pause, le capitaine Thomas Sankara, mandaté par le Conseil national de la révolution (CNR) s’adressait avec son éloquence habituelle au monde entier sur « les vues de son peuple concernant les problèmes inscrits à l’ordre du jour » qui secouent l’humanité toute entière.

D’entrée de jeu, contre toute attente, Sankara affirme ne détenir aucune vérité sur ce qu’il dira et de n’être venu à la tribune de l’ONU « ni en Messie ni en prophète ». C’est dans un langage simple et clair qu’il entend dérouler son propos, « La parole du Grand peuple des déshérités », tous ceux qui souffrent dans le monde.

Dans un style unique en son genre, Thomas Sankara dépeint la situation chaotique dans laquelle le monde se trouve et appelle à l’avènement d’un nouvel ordre mondial. De l’aide au développement pour les pays africains, à la situation en Palestine, en passant par la détention de Nelson Mandela, la réforme du Conseil de sécurité, l’impérialisme et le néo-colonialisme qui continuent de sévir dans certaines contrées, la famine qui frappe des millions d’être humains, la sécheresse qui ravage le Sahel, Sankara en a parlé dans son discours, non sans pertinence.

Sankara précise qu’il ne parle pas au nom de son « Burkina Faso tant aimé » mais au nom « de tous ceux qui ont mal à quelque part ». Femmes dominées et mères démunies, enfants, chômeurs et militaires, Indiens et Noirs massacrés, soldats d’Iran et d’Irak qui meurent dans une guerre fratricide, Palestiniens, Afghans et Irlandais qui meurent dans les guerres suicidaires, journalistes réduit au silence, malades qui scrutent un horizon meilleur en passant par les artistes et les sportifs exploités, Sankara voulait que son discours concerne tous les « laissés-pour-compte », car dit-il en citant le poète Terence, « je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».

Le discours de Sankara n’était pas simplement un réquisitoire fait de diatribes et de formules vagues contre la laideur du monde, c’était aussi un discours assorti de propositions concrètes. Ainsi demande-t-il à l’ONU de mettre en place « un Prix international de l’humanité réconciliée, décerné à tous ceux qui par leur recherche auraient contribué à la défense des droits de l’homme, », un budget « consacré à des recherches dans le domaine de la santé et visant à la reconstitution de l’environnement humain perturbé par tous ces feux d’artifices nuisibles à l’écosystème ».

Il invite l’ONU à investir dans le développement à travers des actions concrètes et fustige les dépenses colossales consacrées aux guerres. Il reprend les propositions de Fidel Castro qui expriment admirablement son point de vue « Avec 300 milliards de dollars, on pourrait construire en un an 600 000 écoles pouvant recevoir 400 millions d’enfants ; ou 60 millions de logements confortables pour 300 millions de personnes ; ou 30 000 hôpitaux équipés de 18 millions de lits ; ou 20 000 usines pouvant employer plus de 20 millions de travailleurs ou irriguer 150 millions d’hectares de terre qui, avec les moyens techniques adéquats, pourraient alimenter un milliard de personnes »…

Thomas Sankara termine son discours par une note d’espoir en déclamant le grand poète Novalis : « Bientôt, les astres reviendront visiter la terre d’où ils se sont éloignés pendant nos temps obscurs ; le soleil déposera son spectre sévère, redeviendra étoile parmi les étoiles, toutes les races du monde se rassembleront à nouveau, après une longue séparation, les vieilles familles orphelines se retrouveront et chaque jour verra de nouvelles retrouvailles, de nouveaux embrassements ; alors les habitants du temps jadis reviendront vers la terre, en chaque tombe se réveillera la cendre éteinte, partout brûleront à nouveau les flammes de la vie, le vieilles demeures seront rebâties, les temps anciens se renouvelleront et l’histoire sera le rêve d’un présent à l’étendue infinie ».

Plus de 40 ans après, certains aspects de ce discours continuent de secouer l’actualité internationale notamment la question des guerres entre Israël et Palestine, l’Iran, la famine dans le monde et sans oublier la crise environnementale.

Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net


Références
- « Sankara et la lutte contre la domination des puissances mondiales : le droit de véto & le conseil de sécurité de l’ONU » de Issaka Herman Traoré,https://www.thomassankara.net/sankara-et-la-lutte-contre-la-domination-des-puissances-mondiales-le-droit-de-veto-le-conseil-de-securite-de-lonu-de-issaka-herman-traore
 « Notre maison blanche se trouve dans notre Harlem noir » (1) Discours à Harlem le 2 Octobre 1984, https://www.thomassankara.net/notre-maison-blanche-se-trouve-dans-notre-harlem-noir-1-discours-a-harlem-le-2-octobre-1984
 Anthologie des discours de Thomas Sankara, Éditeur ‎Kontre Kulture ; Édition classique (1 janvier 2013)

PARTAGER :                              

Vos réactions (2)

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

 LeFaso TV