Nazi Boni : Entre nationalisme, séparatisme et fédéralisme

La Haute Volta a joué un rôle central dans les luttes pour la fédération des territoires de l’AOF (Afrique occidentale française) à la veille des indépendances. Le député Nazi Boni, fut un acteur majeur de la reconstitution de la Haute-Volta, mais aussi un fédéraliste convaincu, appelant de tous ses vœux les territoires de l’AOF à bâtir une unité africaine à partir de l’évolution progressive des communautés vers une confédération multinationale. Paradoxalement, Nazi Boni fut également celui qui a manifesté le désir d’une autonomie de l’ouest de la Haute Volta. Qui est cet illustre homme politique dont on disait qu’il était fort de caractère ? Dans cette chronique, nous reviendrons sur ce grand homme politique, en abordant avec la thèse de Jean Marc Domba Palm sa biographie, ses combats politiques.
Nazi Boni était de l’ethnie bwaba. Il est né en 1910 à Bwan, dans le cercle de Dédougou, de Nitiomsi Boni et de Souanniwé Tamin. De par son père, il appartenait à une vieille lignée de chefs de terre. Son appartenance à cette « noblesse patriarcale » lui valut d’être livré à l’école des Blancs, plus en otage qu’en élève, pour témoigner de la soumission du village. Ainsi, en 1921, il était recruté à l’école élémentaire régionale de Dédougou. En 1925, il rejoint Ouagadougou afin de poursuivre son cursus. Ses succès scolaires lui ouvrirent les portes de William Ponty. Il y resta de 1928 à 1931. Muni de son diplôme, il débuta une carrière d’instituteur qui le conduisit successivement à Ouagadougou, Tenkodogo (en Haute-Côte-d ’Ivoire), Aboudé, Bongouanou, Odienné, Agboville, Aboisso, Treichville en Côte-d’Ivoire. Comme bon nombre de fonctionnaires africains de cette époque, il fut en butte aux brimades de l’administration coloniale française qui multiplia les chausse-trappes pour nuire à sa carrière professionnelle.
Contrairement à nombre de ses pairs, Nazi Boni était resté très attaché au terroir et résidait fréquemment dans son village, délaissant les chefs-lieux. Palé Welté qui a été son compagnon, Moussa Kargougou qui l’a combattu et Paul Nikiéma avec qui il fonda en 1959 le PNV et le PRL, le peignent comme un homme courageux, franc, loyal. Certains lui reprochent cependant son intransigeance et son manque de diplomatie. Ce trait de caractère lui aurait attiré de nombreuses inimitiés. Il fut élu conseiller général de la Haute-Côte-d’Ivoire en 1946, puis de la Haute-Volta (1948-1959) et député à l’Assemblée nationale de 1948 à 1959. Il mit à profit son mandat et son autorité, au risque de compromettre ses positions électorales, pour entreprendre des réformes sociales dans sa région d’origine, le Bwamu. Il parcourut toute la région avec ses partisans, proscrivant ce qui dans les coutumes apparaissait contraire à la morale et au progrès : mariages forcés ou prématurés, funérailles ruineuses « fit également installer des centres d’état civil, institua le traitement de masse contre la syphilis, maladie dont souffrait grandement la région, entreprit la rénovation de l’habitat traditionnel.
L’engagement politique de Nazi Boni date des élections de 1945. Sollicité par de nombreux compatriotes pour être candidat aux élections, il déclina l’offre et figura parmi les Voltaïques qui proposèrent Ouezzin Coulibaly. Celui-ci, qui s’était désisté en faveur de F. Houphouët-Boigny, sollicita le soutien de Nazi Boni pour son candidat. C’est ainsi qu’il fit campagne pour l’Ivoirien à la première constituante. Mais le divorce intervint rapidement entre les deux et Nazi Boni s’éloigna à jamais du RDA. Moussa Kargougou estime que l’attitude de Nazi Boni s’explique par le dépit ressenti de n’avoir pas été choisi comme proche compagnon par F. Houphouët-Boigny. Cette explication semble un peu courte. D’autres nous paraissent plus plausibles.
Après les élections, F. Houphouët-Boigny choisit comme second à Paris, non pas Ouezzin Coulibaly, mais Marcel Laubouet, un ressortissant de la Basse-Côte-d ’Ivoire. Nazi Boni vit dans ce choix la volonté du Sud de (traiter le Nord en paria). Par ailleurs, quand en 1946, Ouezzin Coulibaly fut chargé de recruter 200 élèves pour la France, seuls 27 de la Haute-Côte d’Ivoire furent retenus. Sa conviction fut faite de la volonté d’hégémonie du Sud sur le Nord. Elle fut renforcée par le sort infligé aux travailleurs migrants voltaïques en Côte-d’Ivoire. Enfin, en visitant la librairie du RDA à Abidjan, il y découvrit l’influence marxiste que subissait la jeune formation politique. Cela le rebuta.
Pour toutes ces raisons, Nazi Boni adhéra à l’Union voltaïque et milita à la renaissance de la Haute-Volta. C’est donc par « nationalisme » et par rejet du communisme que celui-ci s’était éloigné du RDA de F. Houphouët-Boigny et de Ouezzin Coulibaly.
Militant de la reconstitution de la Haute-Volta, il fut aussi un fédéraliste convaincu, adhérant aux regroupements des partis africains (Convention africaine en janvier 1957 et Parti du regroupement africain en mars 1958). Il fut parmi les députés partisans de la Fédération du Mali. A ce titre, malgré la défection de la Haute-Volta, il fut membre fondateur du PFA dont les objectifs étaient : la réalisation de l’ « unité africaine et l’évolution progressive de la Communauté vers une confédération multinationale. Mais tout comme Ouezzin Coulibaly, il demeura attaché à la France. C’est pourquoi il fit voter oui au référendum de 1958. Même son fédéralisme était teinté de francophilie.
Lors des débats à l’Assemblée territoriale voltaïque sur les fédérations primaires, Nazi Boni développa les arguments suivants : les grands ensembles économiques sont nécessaires à l’Afrique francophone pour un développement ; cela constitue la sauvegarde de l’unité de l’Afrique française face aux influences anglo-saxonnes (Ghana et Nigéria). Ayant été de 1948 à 1957 un des poulains de l’administration coloniale française, il devint, à partir de la loi-cadre, l’homme à abattre à cause de ses prises de position fédéralistes. Malgré ses convictions fédéralistes et unitaires, Nazi Boni estimant la cohabitation impossible avec les Mossé, n’hésita pas à demander la création d’un neuvième territoire en AOF qui regrouperait l’ouest de la Haute-Volta, le sud-est du Soudan et le nord de la Côte-d’Ivoire. Cette requête aurait eu au ministère de la France d’outre-mer un écho favorable. Mais le projet ne vit jamais le jour à cause de l’opposition des autres territoires.
En 1959, après le volte-face de Maurice Yaméogo pour rejoindre Houphouet Boigny avec qui ils créent le Conseil de l’entente, Nazi Boni resta le seul fédéraliste, les autres militants de son parti notamment Gérard Kango et Joseph Conombo ayant rejoint le parti le RDA.
Réf : Domba Jean-Marc PALM, LE FEDERALISME ET L’EMERGENCE DES PARTIS POLITIQUES EN AOF ET EN HAUTE-VOLTA (1947-1960), THESE POUR LE DOCTORAT EN HISTOIRE, Sous la direction du : Professeur Nicoué L. GAYIBOR
Wendkouni Bertrand Ouédraogo
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