1895 - 1897 : La conquête du Gulmu
La conquête du Gulmu s’inscrit dans la lignée des conquêtes coloniales les plus complexes. Le Gulmu fut l’objet de grandes rivalités entre les puissances coloniales dès sa découverte par les explorateurs. Anglais, Allemands et Français se précipitaient pour occuper cette région stratégique de la boucle du Niger. Située aux frontières de Dahomey (le Bénin actuel), du Togoland (le Togo actuel) et du Niger, cette région avait tout pour plaire aux colons, surtout aux Français qui y voyaient l’occasion de faire la jonction avec le Dahomey et le Soudan. Le climat politique dans le Gulmu émaillé de tensions de succession a rendu parfois facile, parfois longue cette conquête.
Après la signature du protectorat français le 20 janvier 1895, il a fallu attendre le 5 février 1897 avec la bataille du Jakpantugu qui a vu la défaite du Jakpanbado Yuabili (chef de Diapangou) pour que l’occupation effective ait lieu. Dans notre chronique, nous allons revenir sur les faits marquants de cette période qui a fini par placer le Gulmu sous administration coloniale française.
Avant l’arrivée des colons, le Gulmu vivait dans un contexte politique assez trouble. Les conflits de succession ont commencé dès la mort de Yenkoari en 1892. Après la mort de celui-ci, le collège électoral désigna Bacandi comme successeur et dans le même temps son grand frère Yentugri se fit proclamer aussi roi du Nungu et demanda l’aide de Jakpangu et de Bilangan pour évincer son adversaire. Dans cette bataille, les partisans de Yentugri chassèrent dans un premier temps Bacandi mais ce dernier, avec l’aide de son oncle maternel, résista et parvint à tuer Yentugri à Nungu. La colère des partisans de Yentugri obligea Bacandi à fuir à Diabo avec l’aide de Mogho Naaba de Boulsa.
Pendant que le Gulmu baignait dans une guerre fratricide, les puissances coloniales lorgnaient les vastes territoires de la Boucle du Niger. C’est par la signature des traités que l’occupation se faisait, ce fut alors une course contre la montre pour la France, l’Angleterre, et l’Allemagne. Le Gulmu de par sa position a suscité cette course folle de la part de ces puissances coloniales. L’Allemagne, basée dans le Togoland, opère par des militaires et tente d’ouvrir une fenêtre sur le fleuve Niger. L’Angleterre, implantée en Gold-Coast convoite le pays mossi supposé très peuplé. Elle s’appuie également sur la Royal Niger Company pour devancer la France sur le Niger. Cette dernière fait la loi au Dahomey et a pour objectif de faire la jonction entre cette colonie et le Soudan. C’est ainsi qu’une mission dans l’hinterland du Dahomey fut confiée au commandant Decoeur de l’infanterie de marine. Le commandant Decoeur avait pour mission de devancer au plus vite les Anglais et les Allemands et de rejoindre Gambaga et le Gourma. Il partit de Porto Novo le 26 août 1894 à la tête de 150 tirailleurs et 200 porteurs. Le lieutenant de l’infanterie de marine Baud, le docteur Danjoux, le secrétaire Molex et trois officiers le secondaient.
La troupe parcourut tout le nord du Dahomey et signa des traités avec les chefs de ces contrées. Mais le 31 décembre 1894, la troupe française se scinda en deux. Baud devrait aller vers Say et Decoeur vers l’ouest à Sansanne-mango où il arriva le 6 janvier 1894. De là il tourna vers le nord où il retrouva le lieutenant allemand Karnap lui aussi venu chercher la signature des traités. C’est la course contre la montre entre les deux hommes, français et allemands. Karnap, favorisé par son escorte réduite, devança Decoeur à "Pamma" où il signa un traité de protectorat le 16 janvier. Malheureusement, il fut informé que le chef Bahama n’était qu’un vassal du chef Gourma. Il poursuivit sa route vers "Macakoali" à la recherche de l’autorité Gourma. Il trouva une apparente autorité à Nando et fit signer un traité de protectorat avec Tontouriba hostile à Bacandi.
Le commandant Decoeur de la France arriva sur les mêmes lieux apprit le passage du lieutenant allemand et des traités qu’il a signés mais décida d’en signer un autre. Arrivé à Nungu où il y avait un conflit de chefferie, il gagna facilement la signature du traité auprès d’un roi contesté le 20 janvier 1895. Ce traité plaça le Gourma sous protectorat français. Decoeur écrit une lettre de protestation au lieutenant allemand Karnap pour lui signifier des signatures qu’il avait obtenu de la part de Bacandi qui semblait être représentatif au Gourma. Par cet acte, il réussit la jonction entre le Niger et le Dahomey et confia maintenant la mission au lieutenant Baud. Celui-ci parcourut les contrées Ouaga et Bouna et arriva le 7 mai 1895 à rallier le Dahomey et la Côte D’ivoire.
Le 26 novembre 1896, l’objectif de Baud était de d’empêcher les points d’accès aux Anglais sur la Boucle du Niger. Les traités ne suffisaient plus, et il fallait, après avoir signé un traité, rester sur ses gardes. C’est ainsi que Baud revient au Gulmu en 1897 et installa un poste de 15 hommes pour l’occupation effective du territoire. Ayant déjà signé avec Bacandi, il obtenait de lui des combattants et réussit à détruire les localités hostiles notamment Tukuna et Balga. Il fera de même aux autres localités déjà conquises par les allemands avec une puissance de feu exceptionnelle. Pour mettre fin aux rivalités, un accord franco-allemand fut signé le 23 juillet 1897 plaçant tout le Gulmu sous contrôle de la France. Le royaume gourmantché venait ainsi d’être conquis.
Réf : Réf : Madiega Yénouyaba Georges, Le Nord-Gourma Précolonial, origine des dynasties, approche de la société, Thèse de doctorat, 1978, 180.
– Joseph Ki-Zerbo, la pénétration française dans les pays de la Haute Volta, mémoire de diplôme.
– Brunschwig, Henri, le partage de l’Afrique Noire, Paris, I97IP.90
Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net