1948- 1956 : Les voltaïques dans l’imbroglio face au fédéralisme
Au lendemain des indépendances, les pays de l’Afrique occidentale française (AOF) constituaient un grand ensemble territorial dont le maintien pour l’accession à l’indépendance était envisagé et voulu par plusieurs leaders politiques de l’époque. Au Grand conseil, organe dans lequel les débats sur l’unité africaine devenaient de plus en plus vifs, les dissensions territoriales sont apparues, rendant difficile la réalisation du processus de la fédération. Les dirigeants voltaïques, dont le territoire était considéré comme le plus pauvre, vont, dans les discussions, mettre en exergue la spécificité de leur territoire et exiger une équité en ce qui concerne le partage des ressources financières. Dans notre chronique, nous allons voir comment les spécificités territoriales ont pris le dessus sur la volonté fédéraliste des membres de l’AOF, laissant cette dernière au stade de simple rhétorique.
Après la seconde guerre mondiale, les mouvements nationalistes indépendantistes devenaient de plus en plus intenses dans les colonies françaises. Le général De Gaulle n’étant pas prêt pour une indépendance immédiate de "ses" colonies, va user de subterfuges et d’une stratégie d’endiguement pour freiner les ardeurs nationalistes de certains leaders politiques. La conférence de Brazzaville dont l’intention était loin d’assouvir la soif indépendantiste des colonies, avait visiblement pour objectif de trouver des stratégies pour renforcer le contrôle de la métropole sur les colonies. C’est dans ce contexte qu’à vu le jour le Grand conseil de l’AOF, organe créé le 29 août 1947 dont le rôle était la gestion des affaires communes liées aux huit territoires de l’AOF. Cet organe était une institution de type parlementaire où cinq représentants de chaque territoire siégeaient en vue de discuter de la bonne marche de son territoire et du fonctionnement optimal du Grand conseil. Composé des territoires comme la Mauritanie, le Sénégal, le Soudan français (devenu à l’indépendance le Mali), la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Niger, la Haute Volta (futur Burkina Faso), le Togo et le Dahomey (aujourd’hui le Bénin), les députés, issus de ces territoires, vont, dans des débats intenses et houleux, faire prévaloir leurs spécificités, compliquant ainsi davantage l’esprit de la fédération qui devait perdurer avant que la loi cadre ne vienne donner à chaque territoire son autonomie. Dans ces débats, les représentants de la Haute Volta se sont évertués à montrer que leur territoire se distingue clairement des autres par sa main d’œuvre abondante et surtout jeune, son enclavement et le marasme de son économie dû à sa suppression en 1932.
Les Voltaïques dans le Grand conseil, n’ont pas évoqué les spécificités de leur territoire dans le but de saper la dynamique fédéraliste, mais plutôt avec pour dessein de réclamer une solidarité interterritoriale sans laquelle il aura du mal à décoller pour son développement, surtout sur le plan économique. Les députés qui ont participé aux débats ont chacun exigé à ce que dans le partage des ristournes et des subventions, la Haute Volta ait eu une part importante par rapport aux autres territoires pour alimenter son économie. Ainsi, le député Gérard Kango Ouédraogo, dans son discours sur la situation scolaire de son territoire n’a pas manqué l’occasion de démontrer que la Haute Volta, « écartée pour des raisons économiques et reconstitué il y a cinq ans, fait figure de parent pauvre dans la fédération » devant rattraper 15 ans d’abandon économique, politique et social à l’origine de « l’état lamentable des routes et des moyens mis à sa disposition des agents administratifs qui lui sont affectés et qui ne facilitent pas un contact régulier avec leurs administrés ».
Partant d’un argumentaire du député Bougouraoua Ouédraogo qui demandait neuf millions pour pallier l’insuffisance du budget de la Haute Volta, Ali Diaroumeye soutient que la « Haute Volta est un territoire jeune qui a besoin de démarrer. Il convient de lui fournir les moyens pour lui permettre de faire fonctionner ses différents services publics ». Pour lui, il est intenable que son territoire soit « contraint d’équilibrer son budget, de taxer les vaccinations du bétail, et indispensable que lui soit accordée une subvention propre à lui aux dépens de certains territoires qui n’en ont pas absolument besoin. »
Pour Laurent Bandaogo, qui a refusé « la proposition de la commission des finances donnant à chaque territoire ce qui lui revient », il faut donner à chaque territoire ce qu’il lui faut pour son développement.
La commission des finances répartissait les ressources à chaque territoire en fonction de sa contribution en termes de taxes et de contrôle douanier et surtout en fonction de sa capacité de production. Ainsi, les territoires côtiers qui sont considérés comme riches capturaient dans ce sens la grande partie des ressources. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont toujours bénéficié de grosses ressources pour leur fonctionnement face au Burkina et à la Mauritanie qui ne recevaient que de maigres ressources ne permettant pas d’engager leurs territoires sur les grands chantiers du développement. C’est dans ce contexte que les propos houleux des députés voltaïques exigeant un partage équitable des ressources financières intervenaient, rendant implicitement difficile la fédération durable des territoires. Ces propos ont créé des dissensions au sein du Grand conseil et des calculs sournois de la part de certains territoires comme la Côte d’Ivoire dont le député Félix Houphouët-Boigny disait plus tard qu’elle ne pouvait pas être la vache laitière des autres pays.
Au-delà des réalités économiques, il y avait aussi les calculs politiques et les influences de la métropole qui ont abouti finalement à l’implosion de la fédération en territoires autonomes avec la loi cadre de 1956.
Réf : -Cent ans d’histoire du Burkina : 1895- 1995, p1010, Ibrahima Thioub
– Bourcart Robert, le Grand Conseil de l’Afrique occidentale Française, Institut des Hautes études de Dakar,1955
Wendkouni Bertrand Ouedraogo
Lefaso.net