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1950-1952 : Le fétiche de San, l’histoire d’un mouvement néo-fétichiste en Haute Volta

Publié le lundi 22 avril 2024 à 21h50min

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1950-1952 : Le fétiche de San, l’histoire d’un mouvement néo-fétichiste en Haute Volta

L’année 1950 en Haute Volta est particulièrement marquée par l’apparition d’un mouvement insolite : le fétiche de San. Ce mouvement aux allures un peu mystiques et parfois paradoxal va susciter de l’engouement et aussi des tensions au sein de la population voltaïque, avant d’être interdit par le Moogho Naaba, l’administration coloniale et la mission catholique en 1952. Comment ce mouvement est-il apparu ? Quels ont été ses promesses, ses objectifs ; les illusions et les revers d’un tel mouvement ? Pourquoi a-t-il été interdit ? Dans notre chronique, nous tenterons d’apporter des éléments de réponses à ces questions.

L’origine du fétiche de San

Le fétiche de San aurait débuté dans les différents territoires de l’AOF (Afrique occidentale française) en 1950 notamment au Soudan, en Haute Volta et en Côte d’Ivoire. Le fétiche de San est une appellation de l’administration coloniale. Les populations quant à elles, l’ont désigné comme étant le mouvement « envoyé de Dieu », traduction libre de « Allah Deng ou Wend Biiga » (mooré) ou encore nouveau Dieu « Allah Koura » (Dioula). Ce mouvement semble trouver son origine dans le cercle de San (Soudan français) où en 1949 son leader M Péni Dembélé, un Miniaka (groupe Mandé), connu sous le nom d’homme de Wolo (le lieu où il résidait), a dû recevoir la divine puissance et s’est transformé en prophète d’une nouvelle religion basée sur des fétiches avec une morale rigoureuse.

A la suite de M Peni Dembélé a émergé une quantité de sous-prophètes appelés « envoyés de Dieu », moins connus et moins notoires que leur maître, mais ayant établi un pouvoir sur les populations à l’échelle des villages. Ces imitateurs de l’homme de Wolo ont ainsi donné une grande ampleur au mouvement, au point de susciter des craintes au niveau de l’administration coloniale, du Moogho Naaba et de la mission catholique.

Les objectifs du fétiche de San

Grosso modo, la vision du mouvement était la recherche de la paix, de bonnes récoltes, la lutte contre la vie chère, l’obéissance aux chefs, la lutte contre les sorciers et parfois la lutte contre l’islam. Les préceptes du fétiche sont simples : interdiction de travailler deux jours dans la semaine notamment les lundis et les vendredis, la concorde dans la famille et dans les villages, la fidélité des femmes, l’obéissance aux anciens. Lorsque ces prescriptions sont observées, le fétiche promet la paix et la prospérité dans le village.

La croyance au fétiche du San amènerait de bonnes récoltes, augmenterait la fécondité des femmes et chasserait les sorciers, ces mangeurs d’âmes croupis dans l’ombre qui endeuillent les populations.

En ce qui concerne la sorcellerie, qui était très répandue dans les villages, la venue du fétiche de San sonnait comme un ouf de soulagement. Les sorciers devront enfin prendre un coup dur. Gabriel Massa note qu’à l’annonce de la venue du fétiche « dans un village du cercle de Banfora, le jour même de l’arrivée de la corne de bélier, rapportée de Wolo, les sorciers du village sont allés en cachette se débarrasser de leur matériel, en le jetant au marigot. Ils pensent que s’ils persistaient dans leurs pratiques, le nouveau fétiche, si puissant, va les frapper ».

Le fétiche ne s’obtient pas de façon individuelle. C’est par village que l’on acquiert le fétiche. Les habitants des villages se réunissent et délèguent des gens qui vont à Wolo (le lieu du fétiche) pour prendre le fétiche. Une fois du retour dans le village, on trouve une case où une maisonnette pour l’installer. Les habitants viennent tour à tour le consulter et font des requêtes et des demandes.

Le fétiche de San n’avait pas un contenu doctrinaire très strict. Il avait un caractère très ouvert et universaliste, basé sur de simples prédications avec quelques fétiches. Il n’était pas basé sur les rites traditionnels. Son but principal c’est la paix, le bonheur collectif et la prospérité dans le village. Il s’accommodait avec les autres religions notamment avec les autres fétiches traditionnels.

Réactions contre le fétiche de San

Le Moogho Naaba, les élus voltaïques, la mission catholique, l’administration coloniale ont vivement réagit contre le fétiche de San.

Pour le Moogho Naaba, le fétiche de San a un caractère subversif envers les coutumes et menace l’unité politique de son royaume. Il ordonna la cessation de toute pratique du culte de San en fin septembre 1951. Quelques jours plus tard, tous les pèlerinages pour le fétiche de San à Sabou furent stoppés, illustrant l’accomplissement de l’ordre du Moogho Naaba.

Ensuite, c’est au tour des élus voltaïques d’interpeller les villages sur le caractère nuisible de la pratique du fétiche de San. Mais en réalité, ces élus semblent avoir été influencés par les ordres du Moogho Naaba. Dans une lettre adressée au gouverneur pour qu’il prenne des mesures pour interdire le fétiche de San, les élus notaient que le fétiche de San « ne correspondait en rien aux pratiques coutumières du Mossi et que celles-ci laisse présager des troubles sanglants ». Un des signataires de la lettre, le député Guissou, a même mené des tournées personnelles dans son village pour inviter les habitants à se débarrasser du fétiche de San.

Les élus mossis étaient tous presque des catholiques et n’étaient pas enclins de ce fait à défendre des fétiches. On peut alors penser qu’ils ont ainsi porté le message de la mission catholique qui, dans l’ombre, voulait en finir avec cette pratique qui menace la foi des nouveaux convertis. La mission catholique ne tardera pas à sortir de son silence : le 18 novembre monseigneur Socquet, évêque de Ouagadougou, est on ne peut plus clair sur l’affaire du fétiche de San à travers ces termes : « ceux qui adhéreraient au fétiche de San seraient pécheurs publics. Ils ne pourraient se racheter que par leur confession publique et devraient assister à la messe au-dehors de l’église avant d’être acceptés à nouveau à l’intérieur ».

L’administration coloniale, en dernier ressort, va mener des actions pour l’interdiction du fétiche de San dans les villages. Il sera demandé à chaque chef de canton d’interdire formellement cette pratique sous peine d’être révoqué. Les chefs de terre ont été sommés d’observer et de prévenir tout engouement nouveau vers le mouvement.

L’administration coloniale a mobilisé les arguments contre le fétiche de San : des raisons économiques, sociétales et politiques. En effet, le fait que le fétiche commande les jours de repos (lundi et vendredi) est vu comme une promotion de la paresse, un manque à gagner pour l’économie. Il en va de même pour les cadeaux et les objets que l’on offre au fétiche. Par ailleurs, le mouvement est vu comme un danger social, surtout au Moogho où il semble créer un relâchement des populations vis-à-vis des coutumes. Enfin, l’administration coloniale craignait que le fétiche de San n’entrave son autorité dans les villages.

Les promesses illusoires du fétiche de San

Le fétiche de San n’a pas tenu promesse dans les régions où il a prospéré. Les populations ont vite désenchanté. Pas de pluies abondantes, pas de récoltes satisfaisantes, pas de paix, pas de prospérité ; les femmes continuaient d’abandonner leurs vieux maris pour s’enfuir avec leurs jeunes amants en Côte d’Ivoire, les sorciers continuaient de manger les âmes et les maladies n’arrêtaient pas de décimer la volaille. Les populations vont retourner ainsi à leurs anciennes coutumes et le fétiche de San va connaître son déclin, après tant d’enthousiasme et d’espoir suscités.

Réf :
- Cent ans d’histoire :1895-1995, Gabriel Massa, P910
- Gabriel Massa, le fétiche de San,.195
- MARCEL Cardair, L’islam et le territoire africain,.1954

Wendkouni Bertrand Ouedraogo
Lefaso.net

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