Burkina : Hommage à « Son Excellence » Frédéric-Fernand Guirma « ambassadeur dignitaire »
Jean-Pierre Béjot, fondateur de La Dépêche Diplomatique
« Si dans une nation, il n’est pas possible de reconstituer l’histoire du pays sans vexer certaines susceptibilités, il serait préférable de ne plus parler de nation ». S’il n’avait dit que ces quelques mots, il conviendrait déjà de rendre hommage à son auteur. Mais Frédéric-Fernand Guirma, mort le mardi 9 janvier 2024 à Ouagadougou, a été bien plus que cet homme qui entendait rendre présent le passé. Anachronique, excentrique, quelque peu réactionnaire (et revendiquant de l’être), se voulant toujours Voltaïque et non pas Burkinabè, arborant fume-cigarette, canne, chapeau, costume et cravate, il exigeait être appelé « Excellence » car disait-il, « une chèvre exige qu’on l’appelle une chèvre » ; lui, ajoutait-il, a « été fait ambassadeur dignitaire à vie ». Ce qui ne l’empêchait pas de se faire appeler, à l’occasion, « journaliste » ; ce qu’il n’était pas, quand bien même aurait-il, au titre de son engagement politique, publié plusieurs écrits dans des journaux.
C’est que Frédéric Guirma a traversé de bout en bout l’histoire contemporaine de la Haute-Volta et du Burkina Faso. Né en 1931 à Guirgho, au sud de Ouagadougou, il était le fils d’un infirmier, Victor Bila, qui a été parmi les premiers scolarisés en Haute-Volta et s’efforcera que ses sept enfants le soient également. Guirma obtiendra ainsi son BEPC puis son bachot (en candidat libre) avant de poursuivre des études supérieures à Loyola Marymount University (LMU) de Los Angeles, un établissement fondé et géré par les jésuites.
Guirma débutera sa carrière comme fonctionnaire français, sera instituteur adjoint puis bibliothécaire au sein de l’Institut français d’Afrique noire (Ifan). Il se fera remarquer comme militant syndicaliste. Il sera secrétaire général de la section locale de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et présidera la Confédération africaine des travailleurs croyants (CATC). Dans les années 1950, il publiera plusieurs papiers dans Afrique Nouvelle, l’hebdomadaire des Pères blancs très inspiré par la doctrine sociale chrétienne, dénonçant le comportement de l’administration coloniale.
Par la suite, il lancera avec Joseph Ouédraogo, tête d’affiche du syndicalisme catholique et déjà une personnalité politique, L’Observateur ; il sera le gérant de la société d’édition. Le premier numéro paraîtra en mars 1955 et n’aura, par la suite, qu’une parution aléatoire.
De la diplomatie française à la diplomatie voltaïque
En 1959, alors que Maurice Yaméogo n’était encore que président du Conseil, Guirma sera envoyé en stage au Quai d’Orsay. Et, du même coup, se retrouvera dans les rangs de la diplomatie française. Le 1er janvier 1960, il sera nommé au Ghana comme consul de France à Kumasi, la capitale des Ashantis. Sauf que la Haute-Volta allait devenir indépendante le 5 août 1960 et que Guirma était un des rares diplomates du pays. Il devient chargé d’affaires à Washington et délégué permanent par intérim auprès des Nations unies.
Pour les pays africains nouvellement indépendants, l’Onu c’était la consécration. Guirma ne quittera New York qu’à la fin de la session de l’Onu. Retour donc à Ouagadougou fin 1960 et reprise de ses fonctions à Kumasi. Guirma, alors, n’avait pas fait le choix entre la France et la Haute-Volta. Yaméogo le fera pour lui. En février 1961, alors que Lompolo Koné venait d’être nommé ministre des Affaires étrangères (il le restera jusqu’à l’accession au pouvoir de Aboubakar Sangoulé Lamizana), il sera nommé ambassadeur à Washington et représentant permanent auprès des Nations unies.
Guirma supportera mal, malgré le prestige de la fonction, être mis devant le fait accompli. Ses relations avec Yaméogo vont se détériorer, pour des raisons personnelles (« l’affaire des manteaux » de la Première dame) et politiques (Guirma reprochait à Yaméogo de vouloir instaurer un régime de parti unique). Il n’appréciait pas non plus la tutelle qu’Abidjan entendait exercer sur Ouagadougou, Henri Konan Bédié, alors ambassadeur de Côte d’Ivoire aux Etats-Unis, ayant évoqué, au sujet de la Haute-Volta, « l’arrière-pays de la Côte d’Ivoire ».
Le coup d’État togolais du 13 janvier 1963, qui portera finalement Gnassingbé Eyadema au pouvoir à Lomé, va faire trembler les chefs d’Etat des pays membres du Conseil de l’Entente dont la Haute-Volta. Ils y voient la main de Kwamé N’Krumah. D’où la chasse à tous ceux considérés, à tort ou à raison, comme ses affidés. Guirma se retrouvera en prison. Avec Joseph Ouédraogo et quelques autres. Et sera aussitôt déporté à Dori, dans le nord de la Haute-Volta. Cette affaire créera, pour Guirma, un contentieux entre lui et les gouvernements successifs dont il ne se remettra jamais.
La tentation du pouvoir. Sans vouloir avaler les couleuvres
Frédéric Guirma fera carrière au sein des Nations unies (il va associer son nom à la conquête de son indépendance par la Namibie à l’occasion notamment de la guerre civile en Angola), loin de chez lui tout en gardant l’espérance d’une carrière politique nationale. Sa façon d’être (fondée sur une « différence » qu’il ne manquera jamais d’affirmer), sa détestation des « politiciens » qu’il n’a cessé d’opposer aux « hommes politiques » (dont il pensait être l’unique exemplaire local), ne faciliteront pas son parcours. Secrétaire national à la jeunesse du Front progressiste voltaïque (FPV) - qui résultait d’une union entre le Front de refus, fondé par Guirma, et le MLN-UPV -, il rêvera d’être Machiavel afin de dégager Issoufou Joseph Conombo de son poste de Premier ministre, ce que souhaitait également le président Sangoulé Lamizana tout en voulant éviter une crise politique majeure.
Lamizana trouvera trop complexe et aléatoire le scénario que Guirma dira avoir concocté. Du même coup, Guirma basculera du côté de son ami, le colonel Saye Zerbo, qui, à la tête du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN), prendra le pouvoir. Guirma sera vite conscient que ses espérances seront déçues une fois encore. Il espérera donc, seulement, obtenir une solution financière liée à son « contentieux ». Là encore, ce sera une espérance déçue.
La « révolution » de 1983 ne changera pas la donne. « Je n’aime pas les révolutionnaires […] Et tout ce qui sent le marxisme, ne m’en parlez pas ». Il accueillera les événements du 15 octobre 1987 comme une nouvelle espérance. Il verra alors en Blaise Compaoré « un grand champion » ayant « le calme placide et insolite du Fuji-Yama surplombant l’empire du Japon ». Il ajoutera : « Nous devions le féliciter de nous avoir débarrassés du CNR ». Il entreprendra dès lors de revenir à Ouagadougou fin 1988. Il avait refusé tout retour dans son pays tant que les Comités de défense de la Révolution (CDR) n’auraient pas été dissous.
La « Rectification » mise en place par Compaoré aura été, selon Guirma, « un bon processus de démocratisation », étape vers une « démocratie réelle ». Il sera « réhabilité » en 1992 par Compaoré mais toujours dans l’attente, dira-t-il, de la compensation financière espérée. Entre Paris et Ouaga, l’écriture de contes pour enfants mais aussi d’ouvrages politiques, son projet concernant Marie-Jeanne, la première jeune fille voltaïque devenue religieuse, sa pratique de l’orgue, il restera une « personnalité politique » témoin de son temps dont les outrances verbales nuiront trop souvent à la qualité de sa réflexion.
« Complotiste » avant l’heure
En novembre 1998, il se présentera à la présidentielle remportée par Compaoré (87,53 % des suffrages), ne recueillant que 5,86 % des voix et terminant en troisième position derrière Ram Ouédraogo. Il en fera un sujet de polémique ; il sera accusé de n’avoir été qu’un faire-valoir pour Compaoré alors que les oppositions avaient boycotté l’élection. Il tentera à nouveau sa chance en 2005 mais sa candidature sera rejetée par le Conseil constitutionnel. Il va vivre la chute de Compaoré, la « transition » de 2015, l’accession au pouvoir des « créatures de Blaise » (comme il aime à les appeler), Roch Marc Christian Kaboré et les autres, mais aussi les militaires qui, par deux fois, vont ramasser un pouvoir abandonné par les « politiques ».
La presse d’opposition, se rappelant qu’il a été le fondateur de L’Observateur (qui ne publiera que quelques numéros et n’a rien à voir avec L’Observateur Paalga), aimera l’interroger. Avec l’âge (il est mort à 93 ans !), Guirma ne renoncera pas à ses jugements souvent catégoriques, parfois « fleuris » (« L’opinion publique analphabète qui ne s’informe que par les rumeurs, prend ces ragots de soûlards irresponsables et maléfiques pour du pain bénit. Aussi je rafraîchis donc la mémoire de vos lecteurs »). Reste, cependant, ce qu’il disait il y a plus de trente ans dans un long entretien publié par le magazine hebdomadaire Regard : « Si dans une nation, il n’est pas possible de reconstituer l’histoire du pays sans vexer certaines susceptibilités, il serait préférable de ne plus parler de nation ».
Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
17 janvier 2024