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L’évènement de l’année 2023 : La prise de Kidal par les Forces armées maliennes (FAMa)

Publié le lundi 25 décembre 2023 à 22h30min

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L’évènement de l’année 2023 : La prise de Kidal par les Forces armées maliennes (FAMa)

On peut se demander l’utilité de cet exercice journalistique de choisir un évènement qui serait le plus important de l’année, parce que le choix, quoi qu’on en dise, peut paraître arbitraire, subjectif aux yeux de bon nombre de lecteurs. Mais il est intéressant de jeter ce coup d’œil rétrospectif et de chercher les évènements marquants qui sont susceptibles de bouleverser la donne, la vie des hommes et des femmes d’un pays, d’une région et du monde.

La prise de Kidal, dans le septentrion malien, est l’évènement qui peut bouleverser le cours des choses au Sahel. Parce que Kidal est la source de tous les maux des Sahéliens et que le Sahel est en crise depuis une décennie avec une guerre qui ravage les campagnes avec de plus en plus de victimes civiles et de millions de déplacées internes. Cette crise qui a débuté au Mali avec des revendications séparatistes parties de Kidal a été le terreau où se sont implantés les groupes armés terroristes qui ont essaimé dans tout le Sahel et visent aujourd’hui la côte atlantique.

La crise sécuritaire a donné lieu successivement au Mali, au Burkina et au Niger à des coups d’Etat qui ont pour objectif de mettre fin à l’insécurité. Mais les régimes militaires ont emmené des tensions diplomatiques avec la Communauté économique des Etats de L’Afrique de l’Ouest qui, selon ses traités, s’oppose aux coups d’Etat. Les militaires au pouvoir au Mali d’abord, au Burkina ensuite et au Niger ont décidé de renvoyer les troupes françaises chez elles pour inefficacité dans la lutte contre le terrorisme. Dans le même temps la Russie a fait des progrès sensibles dans sa coopération militaire avec certains de ces pays. Voyons-en quoi cette victoire symbolique rebat les cartes au Mali ? Quelles sont les portes qu’elle ouvre ? Qu’est-ce que les colonels doivent faire pour consolider cette victoire et sceller à jamais l’unité du Mali ?

Pourquoi c’est-une victoire importante ?

La prise de Kidal est une victoire militaire. Depuis dix ans, c’est la prise la plus importante. Les Français de Serval n’annonçaient que des éliminations de chefs terroristes. Cette victoire est symbolique puisque l’armée malienne a été empêchée par les troupes françaises d’entrer dans la ville en 2013 après avoir vaincu les rebelles du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad). Et depuis 2014, elle était absente de la ville.

L’Accord d’Alger consacrait cette situation que vivaient très mal bon nombre de citoyens du pays de Soundjata Keita. Le symbole est polysémique pour la junte qui voit avec la prise de Kidal une justification de ses choix stratégiques de chasser d’abord les militaires français et ensuite la MINUSMA. Les Forces armées maliennes sont entrées dans Kidal avec le départ des troupes onusiennes de la ville. L’option de coopérer avec les Russes et ses voisins du Burkina et du Niger voit dans cette victoire un justificatif, d’autant plus que certaines sources font état de la participation de ces deux pays soit par des drones ou des hélicoptères qui ont contribué à l’abandon de la ville sans combat par les rebelles et des groupes terroristes. C’est aussi une victoire qui consacre l’option du tout militaire. Sur ce point, il faudrait pourtant que la junte agisse avec tact pour emmener sur la table de négociation les rebelles touaregs, puisqu’elle est en position de force aujourd’hui.

Car la guerre est faite pour obtenir la paix dans les meilleures conditions. Ce que les populations veulent le plus, c’est la sécurité. Il faut profiter de cette prise de Kidal pour renforcer la présence de l’Etat malien dans le grand nord du pays. Il ne faut cependant pas confondre présence de l’Etat, à la seule présence des Forces armées maliennes. L’Etat doit manifester sa présence par les écoles les hôpitaux, les routes, l’emploi des jeunes etc. L’irrédentisme touareg se nourrit du sentiment de la très grande centralisation de l’Etat, d’une mauvaise distribution des ressources matérielles et symboliques. Il faut saluer la décision de nommer comme gouverneur de Kidal, le général Gamou qui est aussi touareg, ce qui bat en brèche, l’idée d’une communauté touareg toute unie derrière la rébellion. Laquelle thèse ne tenant pas compte des autres communautés présentes dans la région comme les songhaï, les peuls, les bozos, les dogons etc.

Le principe de subsidiarité

Les accords d’Alger ne peuvent plus s’appliquer puisque le rapport de forces a changé. Et Alger ne devrait pas entamer des discussions avec les groupes rebelles sans prendre langue avec Bamako. Ceci est une faute diplomatique et anéantit la confiance au médiateur. C’est normal que les autorités maliennes se fâchent (les deux pays ont rappelé leurs ambassadeurs pour consultation les 22 et 23 décembre 2023). Les autorités algériennes aiment à jouer les grands frères africains dans leurs rapports avec leurs voisins du sud.

Quand bien même elles recherchent la paix et qu’elles sont convaincues que l’option de la négociation est la meilleure voie dans la crise malienne, elles devraient respecter le principe de la subsidiarité. Si elles ne font pas attention, elles risquent de tomber dans une médiation à la Blaise Compaoré qui est à la base des problèmes actuels. Il faudrait que les dirigeants n’écoutent pas les admirateurs de Machiavel, et ses fameux conseils aux princes italiens du 19e siècle. Les dirigeants doivent agir pour obtenir le meilleur pour leurs peuples, sans nuire aux intérêts d’autres peuples.

La conquête de Kidal doit légitimer l’Etat malien au nord. Cela passe par une bataille pour gagner les cœurs et les esprits par une autre politique que celle que les habitants de cette zone ont connu depuis les indépendances. En défendant le Mali, les autorités militaires doivent se dire qu’elles doivent renforcer leur nouvelle alliance des Etats du Sahel, qui ne doit pas être considérée comme quelque chose contre la CEDEAO. C’est en étant fort dans sa région que l’on peut aller à la conquête du monde. La CEDEAO va lever les sanctions contre le Niger, comme elle a abandonné l’idée de lui faire la guerre pour replacer Mohamed Bazoum au pouvoir. La lutte contre le terrorisme n’est plus une affaire de sahéliens, et les pays côtiers ont beaucoup à apprendre des Etats du Sahel. C’est en étant fort entre Africains que la victoire s’obtiendra et non par une puissance étrangère.

Sana Guy
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 25 décembre 2023 à 17:34, par Le fils du pays En réponse à : L’évènement de l’année 2023 : La prise de Kidal par les Forces armées maliennes (FAMa)

    Merci SANA, tu es trés clairvoyant dans cette analyse. Plusieurs fois je n’ai pas partagé ton analyse mais cette fois-ci je suis entiérement d’accord avec toi. Je t’encourage sur cette voix

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    • Le 26 décembre 2023 à 09:02, par kwiliga En réponse à : L’évènement de l’année 2023 : La prise de Kidal par les Forces armées maliennes (FAMa)

      Tiens, de mon côté, c’est l’inverse. Moi qui ai coutume d’adhérer inconditionnellement aux éditos de Sana Guy, sur celui-ci, j’ai davantage de réserves.
      Concernant pour exemple : "L’irrédentisme touareg se nourrit du sentiment de la très grande centralisation de l’Etat, d’une mauvaise distribution des ressources matérielles et symboliques." Ben, ce n’est en rien un sentiment, c’est une réalité, un constat, qui mériterait des heures d’analyse historique pour déterminer qui est le plus fautif... Peut-être l’imbécile qui a tracé des frontières à la règle...?
      De même, je reste septique devant : "Il faut saluer la décision de nommer comme gouverneur de Kidal, le général Gamou qui est aussi touareg", notamment après avoir fait lecture il y a peu, dans vos colonnes, de l’excellent article de Jean-Pierre Béjot, qui décrit avec précision la "navigation à vue" du général Gamou l’opacité de ses convictions et ses nombreux retournements de veste, en fonction de la conjoncture.

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  • Le 26 décembre 2023 à 12:17, par Citoyen ordinaire En réponse à : L’évènement de l’année 2023 : La prise de Kidal par les Forces armées maliennes (FAMa)

    On attend bien sûr l’analyse très éclairée de Jean-Pierre Bejot, spécialiste du sucre et de la SN-SOSUCO,(Société Sucrière de la Comoé au Burkina), que dis-je, le seul spécialiste de l’Afrique et de tous les sujets la concernant ! Ah, c’est bien de rêver et de se prendre pour le carnet de la vérité ! Pourtant ses ancêtres les Gaulois l’avaient si bien compris qu’ils avertissaient leurs gosses en disant " Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà" !

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