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Mali : El Hadj Ag Gamou refait surface à Kidal. Une fois encore. Jusqu’à quand ?

Publié le mercredi 20 décembre 2023 à 15h00min

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Mali : El Hadj Ag Gamou refait surface à Kidal. Une fois encore. Jusqu’à quand ?

Jean-Pierre Béjot,
fondateur de La Dépêche Diplomatique

14 novembre 2023. Une colonne des Forces armées maliennes (FAMa), soutenue par des éléments du groupe Wagner, les mercenaires russes, est entrée dans Kidal, à l’extrême nord du Mali. Kidal a été la capitale de la rébellion qui, le 17 janvier 2012 avait déclenché la guerre contre Bamako. Elle s’en était emparée le vendredi 30 mars 2012. Dix ans plus tard, Bamako parle de reconquête, de souveraineté retrouvée. C’est beaucoup dire. Kidal, sans être une ville ouverte, n’aurait pas été le cadre de combats majeurs.

Certains commentateurs évoquent tout au plus les exactions des « wagnériens » contre les populations civiles. Pour l’essentiel, les groupuscules touaregs radicaux (pour ne pas dire djihadistes) se sont égayés aux alentours. Il n’en demeure pas moins que la « reconquête » de Kidal est présentée par la junte au pouvoir à Bamako comme une victoire stratégique et politique. Un basculement dans la longue marche vers le rétablissement de la souveraineté malienne sur l’ensemble de son territoire. Une revanche qui trouve son expression dans la nomination, le 22 novembre 2023, au poste de gouverneur de la région de Kidal, de El Hadj Ag Gamou, la plus anachronique des personnalités maliennes touarègues.

El Hadj Ag Gamou se présente comme un fils de berger de la région de Ménaka qui, n’ayant jamais été à l’école, s’est engagé dans la Légion Verte de Mouammar Kadhafi pour servir en Syrie, au Liban, en Libye, au Tchad. Il a été de retour au Mali en 1988. Il a alors 24 ans. C’est l’année où Iyad Ag Ghaly va créer le Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA) avant de déclencher les insurrections touarègues à Ménaka et Tidermène, dans la région de Gao en 1990. Le MPLA, confronté à la guerre des chefs, se scindera rapidement en Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), dirigé par Iyad Ag Ghaly, et en Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA), dirigé par Zahabi Ould Sidi Mohamed. Le MPA va, par la suite, se scinder en Front populaire de libération de l’Azawad (FPLA) dirigé par Rhissa Ag Sidi Mohammed et en Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad (Arla) de Abderrahamane Mohamed Gala. C’est au sein de l’Arla que l’on va retrouver Ag Gamou.

Sous ATT, Bamako plutôt que Kidal

A Bamako, Moussa Traoré était encore au pouvoir. Des médiations, auxquelles participent les présidents algérien, nigérien et libyen, vont démarrer à Djanet. Le renversement de Traoré, en 1991, va accélérer le processus. En décembre 1991, au lendemain de la Conférence nationale (31 juillet/15 août 1991), le MPA, le FPA, le FIAA et l’Arla vont fusionner au sein du Mouvement des fronts unifiés de l’Azawad (MFUA). Qui va s’auto-dissoudre à la suite de la signature, le 11 avril 1992, du Pacte national (qui, cependant, ne fera pas l’unanimité au sein de la communauté touarègue). Le 27 mars 1996 sera organisée, à Tombouctou, la cérémonie de la Flamme de la Paix. La période qui s’étend du Pacte national à la cérémonie de Tombouctou va être propice aux règlements de comptes entre factions « rebelles ». Les tensions seront particulièrement vives entre les Touareg de Ménaka et ceux de Kidal ; entre, dira-t-on de façon quelque peu caricaturale, la plèbe et l’aristocratie.

El Hadj Ag Gamou, qui appartient à une tribu Imrad (vassale), choisira de rejoindre l’armée nationale malienne à la suite de la cérémonie de la Flamme de la Paix. Il a alors la trentaine bien entamée. Formation à l’Ecole militaire de Koulikoro ; participation aux opérations de maintien de la paix au Liberia ; affectation à Gao en 2005. Il va commander la milice Delta créée par Amadou Toumani Touré (ATT). En 2006, elle sera chargée de réprimer la rébellion déclenchée par Ibrahim Ag Bahanga. Ag Gamou va monter l’opération « Djigui Toubou » (Combler l’espoir) et devenir, un temps, le maître de Kidal ; un Imrad, cela ne saurait convenir aux Ifogha. En 2011, ATT en fera son chef d’état-major particulier adjoint tout en conservant la main sur ses troupes. Si elles sont habillées et entretenues par l’armée malienne, le colonel-major se trouve en fait à la tête d’une milice privée qui va souvent défrayer la chronique par ses exactions contre les populations. Une préfiguration du groupe Wagner en version tropicalisée… !

A la fin de l’année 2011, avant même le déclenchement de la « guerre », il disparaîtra, un temps, « des radars du ministère de la Défense » alors qu’il venait de bénéficier d’une permission d’une semaine. On le dira même « déserteur ». En fait, il a été détaché à Kidal par ATT pour gérer sur le terrain le retour des « Libyens », ces militaires-mercenaires maliens engagés jusqu’alors auprès de Mouammar Kadhafi dont le pouvoir vient de s’écrouler sous les bombardement franco-américains.

Quand la rébellion va être déclenchée dans le nord du Mali, il sera formel : « Elle ne pourra jamais prendre le contrôle d’une ville malienne ». « Il n’y a aucun problème, ajoutera-t-il. L’armée est là. Nous sommes prêts à défendre l’intégrité de tout le territoire. Nous sommes prêts à verser notre sang pour le Mali s’il le faut… Que les Maliens se rassurent et qu’ils ne prêtent pas attention à ce qui se dit ailleurs sur la situation que nous vivons ».

Vision optimiste. Ag Gamou va devoir fuir Kidal dont la rébellion s’est emparée le 30 mars 2012 tandis que Iyad Ag Ghaly s’installera à Tombouctou qui, tombée le 1er avril 2012 entre les mains du MNLA, va être conquise par Ansar Dine dès le lendemain.

La fuite au Niger, une opération « stratégique »

El Hadj Ag Gamou racontera qu’il est parvenu à s’extraire de Kidal en laissant croire au MNLA qu’il allait rejoindre les rangs de la rébellion. Kidal, Gao, Ansongo, il passera la frontière avec le Niger du côté de Labézanga et, continuant de longer le fleuve Niger, va s’installer au sud de Niamey, à Saguia. Les quelques centaines d’hommes qui l’ont rejoint ont été désarmées par les autorités nigériennes et cantonnés. Ag Gamou expliquera que sa présence au Niger « n’est pas fortuite ; elle est purement stratégique ».

Le coup d’État du 22 mars 2012 va le placer dans une posture difficile : il était l’homme de confiance de ATT et même s’il a été considéré comme « le bourreau des bandits armés Touareg qui ont juré de lui faire la peau », il sera dans le collimateur de la junte qui, avec lui, ne saura jamais sur quel pied danser. C’est un véritable « seigneur de la guerre ». C’est alors qu’il va créer le Mouvement républicain pour la restauration de l’Azawad (MRRA) qui visera à contrer les groupes islamistes armés du nord-Mali tout en exigeant l’autonomie politique de l’Azawad. S’agissait-il, là encore, d’une démarche non pas « fortuite mais purement stratégique » ? Quand, en juillet 2012, le Premier ministre Cheick Modibo Diarra viendra en visite officielle à Niamey, il rendra un vibrant homme à Gamou : « Mon colonel, la République ne vous oubliera jamais ». Propos emphatique dans l’air du temps quand, justement, les Républiques se portent mal.

Retour gagnant sur le terrain malien

L’intervention française (Opération Serval - vendredi 11 janvier 2013) redonnera de la visibilité à El Hadj Ag Gamou. Le 26 janvier 2013, l’armée nigérienne va reconquérir Ménaka, de l’autre côté de la frontière, porte d’entrée de la vallée de Zgarat, afin d’éviter toute fuite des « terroristes ». Puis c’est le MNLA qui va s’y installer le 5 février 2013. Ménaka c’est la ville natale de Ag Gamou. Le MNLA y annoncera sa prise et sa sécurisation « dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et les groupes de narcotrafiquants qui sévissent dans l’Azawad ». Son communiqué ajoutera : « Sans aucune aide ni soutien d’aucune force engagée dans la lutte contre le terrorisme ». Ag Gamou, cependant, revendiquera, le 12 février 2013, le contrôle de la ville reprise aux « rebelles touareg du MNLA » et la capture de responsables de haut niveau dont Abdou Karim Matafa.

C’est dire la confusion qui régnait alors sur le terrain. Qui faisait quoi pour le compte de qui ? Le Matin (17 janvier 2013), évoquant l’action de Ag Gamou, écrira qu’il était mis « à l’épreuve pour tester sa loyauté et son efficacité, lui qui n’a cessé, au cours de la guerre, de multiplier les pirouettes et les simulacres ». Ag Gamou accordera même un entretien au quotidien communiste français L’Humanité, entretien réalisé à Gao. Il y sera écrit que Ag Gamou est à la tête du GTA8 : « 700 hommes particulièrement aguerris, venus d’unités d’artillerie, de blindés et de l’infanterie […] Il n’est pas en soutien. Il fait partie du dispositif ». Ag Gamou déclarera à cette occasion : « La guerre ne fait que commencer, croyez-moi […] C’est maintenant qu’ils vont s’organiser pour mener des attaques partout ». Il reconnaissait par ailleurs « qu’il y a un travail de réconciliation à faire » et qu’on « ne peut pas faire le Mali sans les Maliens », autrement dit sans « les Touareg ni les Songhaïs ni les Arabes ». Il affirmera : « Il y a une espèce de banditisme politique au nom des Touareg et des Arabes du Nord du Mali. Le MNLA, pas plus que le Mujao ou Ansar Dine ou Aqmi, ne représentent les populations. D’ailleurs, le Mujao n’a pas seulement recruté des Touareg mais aussi des gens du sud du pays, ainsi que des Nigériens et des Mauritaniens ». Il ajoutait : « Je ne peux pas dire que le MNLA est meilleur que les autres […] Le MNLA n’est rien d’autre qu’un porte-avions pour tous les djihadistes ».

Devenu une figure majeure de la lutte contre la rébellion, les terroristes et les islamistes, Ag Gamou sera élevé à la dignité d’officier de l’Ordre national du Mali et promu général de brigade. Dans les semaines qui suivront, le 2 novembre 2013, à Kidal, les journalistes français de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, seront enlevés et tués alors qu’ils sont au contact avec Ambéry Ag Rissa, porte-parole du MNLA. C’est que les problèmes ne sont pas solutionnés malgré la signature à Ouagadougou, le 18 juin 2013, de l’accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali et l’élection, le 11 août 2013, de Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à la présidentielle. Le 4 septembre 2013, il prêtera serment de président de la République du Mali, Oumar Tatam Ly étant nommé Premier ministre (il sera remplacé le 5 avril 2014 par Moussa Mara). Entre Bamako et Paris ce n’est déjà plus l’amour fou… !

Kidal contre Bamako.
Quel que soit le pouvoir en place dans la capitale

El Hadj Ag Gamou va ressurgir sur le devant de la scène malienne lors du déplacement à Kidal du Premier ministre Moussa Mara. Une opération catastrophique qui se déroulera au cours du week-end des 17-18 mai 2014. Compte tenu de son parcours, la présence de Ag Gamou aux côtés du chef du gouvernement, nouvellement nommé, accentuera la perception d’un déplacement qui frisait la provocation. Ag Gamou était présent avec cent soixante de ses hommes mais il faudra que la Minusma et les éléments de la force Serval interviennent pour que le Premier ministre malien soit exfiltré. La présence de Ag Gamou n’avait pas manqué d’échauffer les esprits ; et la débâcle de l’armée malienne, le 21 mai 2014, alors qu’elle tentait de prendre le contrôle de Kidal pour effacer l’humiliation subie quatre jours auparavant, va jeter un voile sur le guerrier Ag Gamou qui devra fuir vers Anéfis, qui sera conquise peu après par les « rebelles » alors que le colonel Fayçal Ag Kiba, bras droit de Ag Gamou, sera tué dans les combats à Kidal.

La « normalisation » de la vie politique va rejeter Ag Gamou dans l’ombre. Electron libre, à la tête d’une nouvelle milice, le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés, le Gatia, il est soupçonné de jouer un jeu « perso ». Ambitionnant d’être le patron de l’Azawad, Ag Gamou va s’opposer, alors que la médiation dans la crise malienne est passée de Ouagadougou à Alger, aux autres groupuscules Touareg partisans de l’indépendance de l’Azawad tout en subissant la pression des mouvements djihadistes.

Un officier général mal aimé par l’armée au pouvoir

El Hadj Ag Gamou n’est plus maître du jeu dans le nord du Mali. En septembre 2019, alors que le régime de Ibrahim Boubacar Keïta est à bout de souffle, il sera nommé inspecteur général des armées et services maliens. Il rentre dans le rang. L’année suivante, en 2020, IBK est débarqué de la présidence par le colonel Assimi Goïta. Qui ne tardera pas, dès 2021, à mettre fin aux pouvoirs des organes de la transition. Goïta devient le maître du Mali dès lors que Barkhane puis la Minusma sont contraints de s’en désengager. Ag Gamou est, quant à lui, déchu de son poste d’inspecteur général. En juin 2022, à la tête du Gatia, il sera engagé dans la bataille d’Andéramboukane, contre les forces de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS), bataille qu’il perdra et au cours de laquelle il sera grièvement blessé.

Ag Gamou, qui a mené toute sa carrière en faisant allégeance (même si elle a été à géométrie variable) au pouvoir en place à Bamako, quel qu’il soit, n’entend pas pour autant disparaître de la scène politico-guerrière. Il est général de division ; le Gatia, qu’il dirige, est signataire de l’accord de paix d’Alger (2015) ; il n’a pas loin de soixante ans. Il va donner des gages de fidélité au nouveau pouvoir (composé en partie d’hommes qu’il a eu sous ses ordres par le passé). En juillet 2023, Ag Gamou va évincer le secrétaire général du Gatia, Fahad Ag Almahmoud, qui n’entend pas lâcher la proie pour l’ombre. Autrement dit, laisse-t-on entendre, le juteux business pratiqué par les Touareg dans le nord pour quelques breloques et autres considérations gouvernementales. Ag Almahmoud sera dénoncé comme ayant « dévié le mouvement de ses objectifs de paix, de réconciliation et de développement ». Tout est dit : Ag Gamou lorgne du côté de Bamako !

Gouverner Kidal. Mission impossible ?

Voilà El Hadj Ag Gamou, aujourd’hui, nommé gouverneur de la région de Kidal et affublé d’un uniforme « administratif » tout neuf.

Le 6 décembre 2023, il a prêté serment devant le procureur général près le tribunal de Kidal. Son objectif, a-t-il précisé alors, est le retour de l’administration et des services sociaux de base dans la région. Si, sur le papier, Ag Gamou est le mieux placé pour cela, il n’est pas certain que les djihadistes, les Touareg des groupuscules radicaux et même les « supplétifs » russes de Wagner aient envie de lui faciliter la tâche. Ag Gamou pourrait bien être, à force d’être une girouette agitée par les vents contraires, le dindon de la farce. C’est dire que les populations de la région de Kidal, qui feront une fois encore les frais de ces tensions, risquent fort de trouver la potion quelque peu âcre. « Acre comme la vie » dit-on chez les Touareg quand on verse le premier thé.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
10 décembre 2023

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