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Les « Patriotes » au 28e Fespaco : Laurentine Bayala narre l’histoire d’un soldat qui refuse de sombrer

Publié le jeudi 16 février 2023 à 11h03min

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Les « Patriotes » au 28e Fespaco : Laurentine Bayala narre l’histoire d’un soldat qui refuse de sombrer

Réalisatrice burkinabè, Marie Laurentine Bayala comptabilise depuis 2007 une dizaine de films dont « La Lutte continue », un film sur la bravoure d’une femme en quête de changement. Ce film, réalisé grâce au soutien de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), l’a placé sur l’échiquier du cinéma africain. Avec le film « Patriotes », produit par Pluriels Productions et l’Institut Imagine, elle fait partie des réalisatrices burkinabè en compétition dans la section « Fespaco Short » de la 28e édition de la grand-messe du cinéma africain. A l’après-Fespaco, elle y pense déjà. Elle entend poursuivre le développement de ses projets de films et la recherche de financements pour les réaliser. Entretien avec une amazone du 7e art.

Lefaso.net : Présentation plus complète

Je suis Marie Laurentine Bayala, réalisatrice burkinabè. En plus de la réalisation, je m’intéresse à la production. Je suis également journaliste à la RTB au service web. J’ai d’abord fait la radio nationale et ensuite j’ai demandé à aller dans le multimédia parce qu’auparavant j’ai travaillé dans le privé, notamment dans une structure qui fait la promotion des technologies de l’information et de la communication.

Quel est votre parcours académique et professionnel ?

J’ai fait des études en communication et journalisme à l’université de Ouagadougou. Après la maîtrise, je suis allée au Sénégal pour des études cinématographiques sanctionnées par un master 2 en réalisation documentaire de création. A la suite de cela, j’ai entamé ma vie professionnelle. En 2008, j’ai occupé le poste de chargée de conception de contenus multimédia à l’association Yam-Pukri, ensuite journaliste radio à la Radiodiffusion Télévision du Burkina ; puis journaliste multimédia et chef de service multimédia en 2013. En voulant encore me perfectionner, j’ai postulé au Humphrey Fellowship qui est la branche professionnelle du Fulbright, une bourse américaine. Ce qui m’a permis de me rendre aux États Unis. J’ai pu renforcer mes capacités dans plusieurs domaines dont le cinéma, l’entreprenariat, la communication, l’anglais, la photographie, le leadership au Arizona State University et au University of Montana.

Du journalisme au cinéma ? Comment s’est faite la transition ?

J’ai pratiquement fait les deux à la fois. Mon premier film, je l’ai fait en 2007 et ma passion pour le cinéma a véritablement commencé à l’université de Ouagadougou. Quand se tenait le Fespaco, j’étais membre de comités d’organisation. J’ai fait partie de la commission TV et vidéo et plusieurs fois, la commission Fespaco News pour écrire des articles et des critiques.

Au Burkina, où avez-vous appris le cinéma ? Sur le tas ou dans un institut ?

J’ai d’abord appris sur le tas. Au début, je participais à des sessions de formation notamment avec Guy Désiré Yaméogo qui est scénariste et réalisateur burkinabè. Il organisait à l’époque des ateliers d’écriture et c’est là que j’ai réellement commencé l’écriture. C’est d’ailleurs lui qui a produit mon premier court-métrage. C’est ainsi que j’ai commencé à faire du cinéma. Je voudrais aussi saluer l’apport de l’Institut Imagine fondée par le cinéaste Gaston Kaboré à ma formation. J’ai participé à plusieurs ateliers et la plupart du temps, c’était des formations gratuites et de qualité. Des professionnels venant de l’Europe et des États-Unis sont venus partager leurs connaissances avec des professionnels du Burkina Faso. Entre temps, j’ai fait une année pleine de formation en réalisation de film documentaire à l’université Gaston Berger à Saint Louis au Sénégal.

Combien d’œuvres avez-vous réalisées jusque-là ?

J’ai une dizaine de court-métrage et un moyen métrage. Je suis en train d’écrire deux projets de long-métrage : une fiction et un documentaire.

Quel genre préférez-vous le plus : la fiction ou le documentaire ?

Je me sens bien dans les deux. C’est comme si, en tant que journaliste, vous décidez de faire une interview ou un compte rendu ou une enquête. C’est une question de genre, et c’est souvent le sujet lui-même qui impose son genre. Je me sens bien dans les deux. Même si je reconnais que j’ai plus d’aptitudes dans le documentaire.

Lequel des deux est le plus difficile à financer ?

La fiction est plus difficile à financer. Je ne dis pas que le documentaire est un genre facilement finançable, mais du fait qu’on narre le réel, on n’a pas forcément besoin d’une grosse machine derrière pour pouvoir faire un documentaire. Avec un directeur photo, un ingénieur son, un éclairagiste, et aussi avec ses personnages, on peut faire un documentaire. Et pourtant quand c’est de la fiction, c’est tout autre chose. C’est un monde qu’il faut créer. Le monde du documentaire est déjà réel et n’attend qu’on pose un regard singulier sur lui pour en faire une œuvre.

Quels sont les défis auxquels les femmes font face dans l’industrie du cinéma burkinabè ?

Comme tout homme cinéaste, c’est pratiquement les mêmes défis auxquels nous faisons face : le manque de financement. À mon avis il faut en tant que cinéaste, être inventif quand l’argent fait défaut. Il faut de la volonté, du courage, de la passion et avec la caméra que vous êtes en train d’utiliser pour filmer (Canon 5D mark 4), on peut faire un film. Le plus important, c’est d’accorder le temps nécessaire pour écrire une histoire percutante. Je reconnais cependant que le cinéma est un art qui demande beaucoup d’investissement financier.

Dans vos films, vous évoquez souvent la condition de la femme. Peut-on vous qualifier de réalisatrice féministe ?

Je fuis les cages. Je suis de ceux et celles qui cassent les codes. Je n’aime pas les cages parce que ce sont des prisons. Je reconnais qu’en tant que femme, il y a des sujets qui me parlent, qui me touchent. Mais, ce n’est pas pour autant que je ne ferai pas un sujet qui concerne les hommes. Le féminisme a pris une connotation assez négative sous nos cieux si bien que j’ai souvent l’impression que quand on taxe une femme de féministe, on devient une cible à fuir ou à abattre. Nous avons toutes et tous hérité d’un système social avec ses forces et ses défauts. Je crois que nous devons avoir le courage en tant qu’hommes et femmes qui constituent cette société, de voir nos « laideurs » et de les corriger. C’est ainsi que nous bâtirons un Burkina Faso meilleur pour la génération future.

Le cinéma nourrit-il son homme ?

Le cinéma peut nourrir son homme. Mais étant donné que nous n’avons pas une réelle industrie cinématographique, ce n’est pas souvent facile. Le challenge que nous devons relever, c’est surtout créer ce marché pour que les cinéastes puissent vivre de ce métier, ainsi que tous ceux qui gravitent autour de cette industrie. Je parle des techniciens, des comédiens. Il faut que tout le monde trouve son compte.

Il y a des défis à relever pour que le cinéma puisse fonctionner comme à l’époque de la Sonacib (Société nationale d’exploitation cinématographique du Burkina, ndlr) où l’Etat était le leader, avec de nombreuses salles. Pour qu’un film puisse être rentable, il faut notamment que le film passe en salles plusieurs fois avec des entrées conséquentes, pour pouvoir générer des bénéfices. C’est difficile de nos jours parce que les salles n’existent pratiquement plus. Avec l’arrivée du numérique, la consommation des productions audiovisuelles se métamorphose. Il faut réinventer tout le schéma de marchandisation de contenus cinématographiques. Je ne sais pas si dans cinq ou dix ans, la génération actuelle aura envie d’aller en salle. Et si elle ne va pas en salle, où est-ce qu’on va la trouver pour lui faire consommer nos films ? Peut-être sur internet, des applications à concevoir. Peut-être, qu’il faut créer des plateformes comme Netflix par exemple. Toujours est-il qu’il faut inciter les gens à aller au cinéma, avec une stratégie de marketing d’appoint. Il faut également s’attacher le service d’un distributeur, qui connaît bien son travail de distribution et qui a un bon réseau de diffusion de contenus.

Après les salles, il y a les télévisions qui peuvent également être des sources de diffusion des films et d’entrées financières. Mais, ces télévisions refusent la plupart du temps de payer les droits de diffusion. Il y a aussi des festivals à l’international qui sont des canaux de diffusion des films. Certains payent les droits de diffusion, ce qui est bon pour la production. Quand on gagne des prix, ça peut permettre au réalisateur et à la production de gagner en notoriété. Ce qui peut aider à ouvrir les portes de financiers dans le futur.

Votre court-métrage « Patriotes » est en compétition au Fespaco. Quelle a été votre réaction quand vous l’avez appris ?

C’est mon premier film en compétition au Fespaco. Les autres étaient en panorama à l’époque. « Patriotes » est né de la volonté et du soutien du cinéaste Gaston Kaboré ainsi que de techniciens. Nous avons d’abord commencé par une longue formation en perfectionnement en réalisation de film. Il y avait notamment deux équipes : l’équipe de ceux qui écrivent, c’est-à-dire les scénaristes, et l’équipe des réalisateurs. La suite de la formation nous a conduits à choisir le scénario de l’un des scénaristes pour le réaliser. L’idée était de segmenter les corps pour que nous soyons complémentaires.

C’est suite à cette formation que j’ai décidé de mettre en scène le scénario de Léon Kaboré. Mais avant cela, nous avons retravaillé le scénario. Nous avons travaillé dans les conditions d’un tournage professionnel. Ce qui a donné le film « Patriotes ».

De quoi parle le film ?

Ce film narre l’histoire d’un soldat qui refuse de sombrer. Face à la situation difficile que nous vivons, des hommes et des femmes ont décidé de ne pas baisser les bras, de tenir bon face à l’adversité.

Comment s’est passé le tournage ?

C’est un projet qui a pris beaucoup de mois parce que nous avons commencé par la formation à proprement parlé. Après la formation, nous sommes passés à la mise à disposition des histoires et ensuite à leur réécriture. Nous avons pratiquement travaillé pendant cinq à six mois et pour le tournage, nous avons fait pratiquement trois à quatre jours.

Des anecdotes ?

Le jour où nous étions en train de tourner Patriotes, c’était le jour où le Burkina Faso jouait son match de classement contre le Cameroun à la CAN. Le Burkina menait le Cameroun. Quand il y avait du bruit, on était obligé d’attendre que le calme revienne avant de poursuivre le tournage. Quand on entendait les gens crier, on se disait que c’était un but marqué par le Burkina. Et paf, entre-temps, le Cameroun a pris le dessus. Même si on était en tournage, cette défaite subite nous a néanmoins perturbés. On a tout de même continué le travail sereinement.

Apolline Traoré est la seule réalisatrice burkinabè en lice pour l’Etalon d’or de Yennenga dans la catégorie long-métrage. Un mot sur cette ambassadrice du cinéma burkinabè ?

Apolline Traoré est une aînée que j’admire. Je salue vraiment son abnégation à faire des films depuis des années. Et moi, je ne lui souhaite que le meilleur à cette édition du FESPACO.

Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes filles qui aimeraient emboîter vos pas ?

Rêvez, foncez, battez-vous. C’est tout.

Quelles sont les qualités que doit avoir un réalisateur pour rester au top dans la durée ?

La détermination, l’abnégation, l’apprentissage continue. Il faut s’auto-former pendant que l’on se bat pour trouver des financements. Pendant que ça stagne, il faut continuer à apprendre, à se nourrir de connaissances. Il faut lire et regarder beaucoup de films. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde où le savoir est la chose la mieux partagée et c’est tant mieux.

Votre mot de fin…

À l´orée de la 28e édition du Fespaco, j’invite les Burkinabè à prendre d’assaut les salles de ciné pour voir nos films. Il n’y a pas meilleure récompense que de voir son public se déplacer pour voir ses films. C’est cela qui nous donne le courage de nous lever pour faire un autre film, parce qu’on se dit que notre public nous attend. C’est stimulant.

Propos recueillis par Fredo Bassolé
Lefaso.net

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