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Enfants talibés et enfants de la rue : Karim Ouédraogo rappelle la nuance

Publié le jeudi 6 août 2020 à 14h36min

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Enfants talibés et enfants de la rue : Karim Ouédraogo rappelle la nuance

Dans cette tribune, l’élève inspecteur d’éducation spécialisée, Karim Ouédraogo rappelle la nuance entre les enfants talibés et les enfants de la rue. Cette contribution fait suite polémique née de la confusion de ces deux termes. L’auteur propose, à travers des sources d’informations accessibles, un regard critique.

Depuis quelques temps une certaine polémique est née sur la question des talibés et l’opération de retrait des enfants en situation de rue. La pomme de discorde est due au fait qu’une confusion est faite sur les enfants talibés et les enfants de la rue.

Les maitres coraniques étant montés au créneau ont rencontré la faitière des organisations musulmanes à savoir la Fédération des Associations Islamiques du Burkina (FAIB). Dans leur plaidoirie, il était question de ne pas faire la confusion entre les talibés et les enfants en situation de rue. En tant que professionnel du social, il sied d’éclairer l’opinion sur la situation vécue par les talibés en vue de mesures idoines à prendre.

Avant tout propos, il convient de clarifier les concepts qui entourent la question des talibés. Selon le Petit Larousse 2014, le terme talibé désigne, en Afrique, tout élève d’une école coranique. Il faut le reconnaitre que le phénomène des talibés ne concerne que le continent dans sa partie ouest. En clair, le terme talibé désigne tout enfant qui fait des études coraniques, auprès d’un maître coranique, au niveau d’un foyer coranique et qui y est logé.

Le terme foyer ou centre est plus utilisé pour désigner les conditions d’apprentissage qui ne font pas appel à des infrastructures classiques des écoles et qui ne respecte pas ou qui n’a pas un programme pédagogique bien structuré.

Quant au maître coranique, c’est l’enseignant. Le maître de l’école coranique, au-delà de l’enseignement, il joue un rôle de logeur, de tuteur et d’éducateur de l’élève coranique. Il est parfois appelé marabout.

Mendicité : Pour le Petit Robert 2014, le mot mendicité dérive du latin « mendicitas » et désigne l’action de mendier pour vivre. La mendicité consiste donc à demander l’aumône, la charité. Selon le lexique des concepts usuels du secteur de l’Action sociale, la mendicité est une pratique qui consiste à demander l’aide d’autrui sans contrepartie en vue de satisfaire généralement des besoins de toute nature. Les définitions étant faites, on peut s’interroger sur l’origine d’un tel phénomène.

Selon le rapport d’analyse sur la mendicité dans la ville de Ouagadougou de l’Institut national de statistiques et de la démographie (INSD) réalisé en avril 2011 à sa page 31, l’origine de la mendicité des enfants remonterait au début du XIXème siècle dans le royaume peulh de Macina sous Sékou Ahmadou. A cette époque, la mendicité des enfants se pratiquait dans le cadre de l’enseignement religieux obligatoire pour tous les enfants en âge d’aller à l’école. Cependant, il faut reconnaître, de nos jours, qu’au regard des conditions de vie des enfants mendiants, se pose un problème de dignité humaine.
Au Burkina Faso, le phénomène de la mendicité des talibés est très présent. Il se constate surtout dans les grandes villes. D’une manière générale, la mendicité des enfants est une pratique couramment observée dans de nombreuses villes africaines.

La question à se poser est le rapport entre les talibés et les enfants de la rue. Les foyers coraniques sont considérés comme un facteur favorisant la présence des enfants dans la rue. En effet, selon une étude réalisée par l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF) en 2005, citée par WANGRE N. J. et MAIGA A. (2008), environ 44,04% des enfants en situation de rue de la commune de Ouagadougou proviennent des foyers coraniques. Il en découle que les foyers coraniques constituent le principal pourvoyeur d’enfants en situation de rue. Ils constituent donc un risque pour l’enfant, car l’exposant à des vices et à la déviance.

Aussi, l’analyse des résultats du recensement des enfants en situation de rue au Burkina Faso, réalisé en 2011 par le Ministère en charge de l’action sociale, montre que la mendicité est la principale occupation des enfants en situation de rue. Elle est pratiquée par 54,62% des enfants recensés. L’étude indique que plus de 61,72% des garçons recensés pratiquent la mendicité comme activité principale et la majeure partie des enfants concernés sont issus des foyers coraniques, donc des talibés. De ce point de vue, il est évident qu’il est difficile de faire la distinction entre les talibés et les enfants de la rue.

En s’intéressant aux conditions de vie des enfants talibés, le constat est établi qu’elles sont précaires. La plupart des enfants sont logés chez les maîtres coraniques. La majorité des talibés mange chez le maître, mais est obligée de mendier pour compléter sa ration. A ce niveau, il ressort que la ration proposée par le maître est insuffisante pour les talibés. Pour manger à leur faim, ils sont obligés de demander la générosité d’autrui à travers la mendicité. La fréquence de cette pratique est fonction des donateurs. Du reste, les talibés consacrent plus de temps à la mendicité qu’à leurs études. Les talibés rencontrent fréquemment des problèmes de santé. Les maladies les plus fréquentes sont les maux de ventre, les maux de tête et les plaies baignâtes. Nous n’occulterons les scènes de violences subies dans la rue.

Bien qu’il existe des dispositions juridiques qui condamnent la mendicité au Burkina Faso, il faut souligner le caractère difficile de la répression de la mendicité surtout lorsqu’elle est le fait d’un enfant en raison du caractère social que revêt l’infraction. La mendicité n’est pas une infraction choquante comme les crimes ou délits « violents » si bien que les populations s’en accommodent. La mendicité est donc perçue comme une nécessité de survie pour les enfants « Talibés » et dans ce sens les personnes dont l’obligation de faire l’aumône fait partie du vécu quotidien le perçoivent comme un « mal nécessaire ».

En somme les talibés peuvent être considères comme des « enfants dans la rue » à ne pas confondre avec « les enfants de la rue ». Les talibés passent leur journée dans la rue mais retournent le soir venu dans leur foyer. Par contre les enfants de la rue vivent en permanence dans la rue et ont rompu les liens avec la famille. Cependant, il faut le reconnaitre les deux groupes d’enfants fréquentent le même espace social.

Karim OUEDRAOGO
Elève inspecteur d’éducation spécialisée
Tel : 70 71 88 01/66 40 50 38
Email : aorema222@gmail.com

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