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La démocratie participative locale : le budget participatif, une autre réalité de la citoyenneté active

Publié le lundi 9 mars 2020 à 07h30min

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La démocratie participative locale : le budget participatif, une autre réalité de la citoyenneté active

Résumé

Le Burkina Faso a connu sa première expérience de décentralisation avec la ville de Bobo-Dioulasso érigée en commune en 1926. Malgré les progrès enregistrés sous l’impulsion de la décentralisation intégrale consacrée en 2006, la participation des populations au processus de prise de décisions reste encore marginale car la démocratie représentative symbolisée par des « représentants » - conseillers municipaux- élus via des élections régulières et décidant pour des citoyens « représentés » accentue l’écart, la distance, la manque de confiance entre gouvernants et gouvernés. Ceci est imputable a plusieurs facteurs au nombre desquels, la non implication des populations locales aux questions budgétaires. Le Burkina Faso post-insurrectionnel mérite une autre forme de gouvernance locale qui peut être portée par le budget participatif.

Introduction

La décentralisation, composante de la démocratie, est un système d’organisation et d’administration territoriale conférant à des collectivités (dites locales ou territoriales) le pouvoir de s’administrer librement et de gérer leurs affaires propres. Ce type d’organisation implique un transfert de pouvoir, de compétences et de ressources.

Au Burkina Faso, le processus de décentralisation remonte à l’année 1926, date de la création de la première commune (Bobo-Dioulasso). C’est donc à tort que l’on situe le processus au début de la décennie 1990 qui a coïncidé avec le vent de la démocratisation qui a notamment soufflé sur les pays d’Afrique. Le processus a abouti -de nos jours- à la division du pays en collectivités régionales, communales et à la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales.

Malgré ces dispositions législatives censées tracer les sillons, la décentralisation au Burkina Faso, entre blocages de fonctionnement de conseils municipaux, mesures de mise sous délégation spéciale, révocation de maires, difficultés de mobilisations des ressources financières et crises de tous genres, tarde à être le levier du développement durable. Le corollaire de ces situations ci-dessus évoquées, c’est qu’il entame la confiance du citoyen et le détourne de la marche et de la gestion de la collectivité territoriale.

Pour susciter une participation citoyenne à la gestion de la cité, un concept est en vogue depuis un certain temps dans nombre de villes de par le monde, le budget participatif. Le budget participatif, processus mettant le citoyen au centre du processus de décisions, ne peut-il pas être la recette miracle censée mettre sur orbite la décentralisation burkinabè pour en faire un instrument de développement des collectivités territoriales ?

1. Focus sur le processus de décentralisation au Burkina Faso

Le terme de décentralisation englobe une variété de concepts. Généralement, c’est le transfert d’autorité et de responsabilité de fonctions publiques, de l’administration centrale vers les organisations subordonnées ou quasi autonomes ou vers le secteur privé.

Il y a différents types de décentralisation qui peuvent revêtir plusieurs aspects dans différents pays ou au sein d’un même pays ou d’un même secteur. Dans le cas burkinabè, la décentralisation a pour objectif majeur de rapprocher gouvernants et gouvernés. On distingue la décentralisation administrative, la décentralisation politique, la décentralisation spatiale, etc. C’est ainsi que :

- la décentralisation administrative qui se manifeste à travers la déconcentration, la délégation vise à faire la répartition, à différents échelons de gouvernement, de responsabilité et de ressources financières, pour assurer la fourniture de services publics ;
- souvent liée au pluralisme politique, la décentralisation politique confère aux citoyens ou à leurs élus, des pouvoirs de décision ;

- la décentralisation spatiale s’entend comme la distribution des investissements effectués par l’Etat, des installations, des infrastructures et d’autres ressources de façon à renforcer dans tout le pays la situation économique des villes de taille moyenne ou de petite importance, au lieu de concentrer ces investissements sur une ou deux des plus grandes villes.

La décentralisation au Burkina Faso, depuis l’indépendance, le 5 août 1960, a été riche en enseignements. Les deux seules communes de la colonie étaient Bobo-Dioulasso et Ouagadougou, érigées toutes deux en communes mixtes par arrêté du gouverneur général en date du 4 décembre 1926 avec effet à compter du 1er janvier 1927.

Après l’indépendance, la loi n°21-60-AN du 2 février 1960, votée par l’Assemblée nationale institue 53 collectivités rurales de deux types : les collectivités de plein exercice dont le président est élu au sein du conseil de collectivité, et les collectivités de moyen exercice dont la présidence est exercée par le chef de circonscription administrative. Les conseillers ruraux étaient élus au suffrage universel direct.

En 1991, le Burkina Faso renoua avec le processus de démocratie locale après l’interruption occasionnée par le Soulèvement populaire de 1966. La constitution, adoptée par le référendum du 2 juin 1991, consacre l’organisation du Burkina Faso en collectivités territoriales et énonce la participation démocratique des populations à la libre administration des collectivités territoriales.

Les principes fondamentaux de la décentralisation édictés par l’article 143 de la Constitution du 2 juin 1991 sont : l’intangibilité de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale, l’exclusivité du transfert de compétences et de ressources, la progressivité dans le transfert et l’articulation des politiques locales avec la politique nationale.

Depuis 2006, la décentralisation intégrale dont l’objectif est de faire du citoyen la pierre angulaire de la réflexion et de l’action pour le développement a consacré la partition de tout le territoire en collectivités locales. Pour appuyer ce processus, l’Etat apporte sa contribution sur onze blocs de compétences transférées aux collectivités territoriales par le mécanisme de transfert de ressources et de compétences.

Le contexte mondial actuel se singularise par un marasme financier dont les répercussions se ressentent durement sur les strates les plus défavorisées de la société. Au plan national, l’insurrection populaire de 2014 a été l’évènement symptomatique de la crise de confiance entre gouvernants et gouvernés.

De plus en plus, les conflits d’ordre politique, des dérives autocratiques et technocratiques empêchent la bonne marche des mairies, tout comme les répercussions du contexte économique mondial qui privent de fait les collectivités décentralisées de ressources financières indispensables à l’exécution des plans de développement. En résumé, l’on assiste à une démocratie en déficit de représentativité.

2. La démocratie participative locale

La démocratie participative se définit à travers les outils qui sont à son service et en relation avec l’objectif que sa prescription poursuit. Pour G. Courtemanche (2003), la démocratie participative tend à corriger les lacunes de la démocratie représentative en démocratisant la démocratie. Elle peut être perçue aussi comme le renforcement de la participation citoyenne à la prise de décision, au-delà de la participation aux élections. La démocratie participative se veut un palliatif, voire le complément, à la démocratie représentative qui prévaut dans nos cités.

Définir la démocratie participative est nécessaire pour une appréhension du concept de budget participatif. « Ensemble des procédures, instruments et dispositifs qui favorisent l’implication directe des citoyens au gouvernement des affaires publiques (S. Rui, 2013) », le budget participatif est un instrument de démocratisation de la gestion publique. Le renforcement de la démocratie, favorisé par la participation populaire, directe et universelle par le biais du budget participatif, se présente comme l’antithèse des pratiques institutionnelles qui bannissent toute forme de participation citoyenne.

2.1. La question du budget dans nos communes

Des textes règlementaires précisent et encadrent l’élaboration et l’exécution du budget. Donc il ne s’agira pas ici de jeter l’anathème sur les maires ou sur les conseils municipaux qui avancent sur un terrain déjà débroussaillé. Néanmoins, il sied de savoir que le maire est la cheville ouvrière de l’élaboration de l’avant-projet de budget « en complicité » avec ses services techniques et financiers. Donc de façon caricaturale, il lui est loisible de proposer de son chef les activités à réaliser. Autrement les populations attendent passivement que les gouvernants décident de l’attention à donner à leurs diverses requêtes.

En somme, de son élaboration sur jusqu’à son exécution, le citoyen lamda, principal pourvoyeur des ressources financières de la commune, n’est à aucun moment associé, même si les conseillers municipaux sont censés être leur porte-paroles.

Ce mode de gestion budgétaire montre ses limites car de plus en plus de voix citoyennes s’élèvent pour le fustiger. La résultante est la baisse de la collecte des ressources financières due à une crise de confiance entre l’autorité communale et la population qui ne se retrouve pas le plus souvent dans la plupart des activités menées par le maire.

Le but de cet article est d’interpeller les gouvernants de la cité sur l’impérieuse nécessité de réviser le code général des collectivités en vue d’accorder au citoyen un droit de regard sur la gestion des collectivités.

2.2. Le budget participatif, une autre réalité de la citoyenneté active

Le présent écrit n’a nullement pour but de faire l’apologie du budget participatif qui a aussi ses limites. Il s’agit à travers le budget participatif de rappeler que l’on ne peut faire le bonheur de quelqu’un à sa place et que seule la participation communautaire a l’avantage de mieux répondre aux besoins de la population qui s’en sentira valorisée et responsabilisée.

Basé sur les principes de l’inclusion et la participation, l’équité, la redevabilité, la transparence, la durabilité, l’efficacité et l’engagement civique, le budget participatif « renvoie à un processus de planification, de mise en œuvre et de suivi budgétaires qui met les citoyens au centre du processus de décisions. Il leur donne l’occasion de décider de l’allocation des ressources, de faire une priorisation des différentes politiques sociales de la collectivité locale et de contrôler l’exécution des dépenses. Grâce à ce mécanisme, les politiques menées par la collectivité locale sont plus conformes aux besoins et préoccupations des groupes les plus vulnérables » (B. Gueye, 2008, p.19).

A travers ces lignes, nous tenterons de nous prononcer sur l’intérêt véritable du budget participatif pour la communauté, l’individu et le pays.

Le budget participatif, générateur d’une communauté prospère et soudée

Une des particularités du budget participatif est qu’il répond le mieux aux aspirations populaires en faisant de la communauté la boussole de ses projets de développement. En effet, les décisions sont prises par la communauté pour la réalisation de projets impactant directement les citoyens. Conséquemment, toutes les décisions ne se prendront plus dans des bureaux à Ouagadougou ou dans les mairies sans concertation avec les bénéficiaires.

L’opportunité sera ainsi offerte à la communauté de s’occuper des questions comme celles en rapport à la vie socioscolaire, sanitaire, aux travaux d’intérêt commun, etc. dont elle limitera les dépenses par les contributions individuelles.

En assumant ainsi une part importante de son destin, la communauté réalisera un plus grand nombre de projets et ainsi forcer la prospérité, tout en étant utile au plus vulnérables. Les décisions auront l’avantage d’être prises à l’échelle locale et de renforcer les liens communautaires. Tout ceci rendra la communauté plus forte, plus solidaire, donc résiliente.

Le budget participatif, facteur de valorisation et de responsabilisation du citoyen

Le budget participatif est l’opportunité pour le citoyen de se valoriser en rendant service à sa communauté. Sur le plan individuel, la place que l’on acquiert dans sa communauté est à l’aune des œuvres utiles posées envers cette entité. En retour, celles-ci forcent la considération et la reconnaissance communautaires. Cette marque de considération peut se transformer en stimulus qui galvanisera beaucoup plus l’individu.

Le budget participatif, source de stabilité des institutions étatiques

L’Etat joue un rôle-pivot dans le processus de décentralisation à travers les textes de lois, les transferts de ressources et de compétences. En encourageant le budget participatif, l’Etat dégagera plus de moyens susceptibles de lui permettre de se concentrer sur des domaines tels que la défense du territoire ou des questions en relation avec la justice. Le pays s’en trouvera ainsi plus fort avec une population consciente de son rôle et de ses capacités à participer aux actions de développement.

Conclusion

Le problème majeur du processus de décentralisation demeure aujourd’hui l’insuffisance des différents textes d’application qui promeuvent la participation citoyenne à la gestion de la cité. D’où la nécessité d’innover à travers le budget participatif qui favorise l’exercice d’une citoyenneté active, véritable force de proposition. Dans un climat sécuritaire et financier délétères, le budget participatif se présente comme est un espace de formation et d’élaboration d’une éducation civique, un espace collectif où les individus s’approprient leur devenir.
La décentralisation est un défi collectif. Il appartient donc à chacun de jouer sa partition pour que ce défi soit relevé afin que la gouvernance locale soit une alternative crédible et que les résultats soient palpables dans le domaine de l’éducation au profit de tous.

Bibliographie

GUEYE Bara, 2008, Le budget participatif en pratique : un guide destiné aux acteurs locaux, IED-Afrique, 60 p.

RABOUIN Luc, 2006, Réinventer la démocratie. Le Budget Participatif : de Porto Alegre à Montréal, Département de science politique, Université de Montréal, 154 p.
RUI Sandrine, 2013, « Démocratie participative », in I. CASILLO et alii. (dir.), ‘Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation’, Paris, GIS Démocratie et Participation. Disponible sur : http://www.dicopart.fr/it/dico/democratie-participative.

COURTEMANCHE Gil, 2003, La seconde révolution tranquille. Démocratiser la démocratie, Montréal, éditions Boréal, 176 p.

Dr Oumar LINGANI
Chargé de recherche en Sciences du langage
Chercheur au CNRST/INSS
Chargé de cours l’UFA
Expert en linguistique
Spécialiste en Budget participatif
Membre du réseau africain du Budget participatif
Chercheur associé à l’université de Paris Nanterre
DR/RSI du Centre, Plateau-central et Centre-sud
Contact : 00 (226) 78 84 56 04
olingani@yahoo.fr

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