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Affaire forêt de Kua : « Le gouvernement doit concilier plusieurs impératifs », selon Siaka Coulibaly

Publié le samedi 25 mai 2019 à 12h00min

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 Affaire forêt de Kua : « Le gouvernement doit concilier plusieurs impératifs », selon Siaka Coulibaly

Les problématiques posées par l’affaire de la forêt de Kua sont décortiquées dans cet article par Siaka Coulibaly, activiste de la démocratie, des droits humains et de l’environnement.

Il avait paru plus sage de ne pas augmenter la tension autour du projet de construction du nouvel hôpital de Bobo Dioulasso, prévu pour être implanté à Kua, et qui suscite de vives réactions sur l’ensemble du territoire. Cette affaire vient confirmer la tendance de la vie publique burkinabè et constitue une nouvelle édition de l’ingouvernabilité en cours depuis quelques années dans ce pays. En grande partie, la confusion est entretenue par le gouvernement fébrile à l’excès, hyper sensible aux miasmes des fréquentes hystéries collectives. Le gouvernement renvoie une position ambiguë et contradictoire entre des agents des eaux et forêts qui déterrent des bornes sur le site du projet et le ministre des Affaires étrangères qui maintient les options déjà faites.

Cette image brouillée de la communication politique gouvernementale a eu pour conséquence qu’une partie de l’opinion opposée au projet, a adopté une posture politique cristallisée. Le projet de construction de l’hôpital est maintenant symboliquement rattaché au gouvernement et le caractère social du projet est relégué au second plan.

On a bien vite oublié que le gouvernement est là pour assurer le bon fonctionnement de l’État et qu’il détient la responsabilité du bien-être des populations. Aujourd’hui, défendre le projet d’hôpital à Kua revient à prendre des risques d’opinion, tant les idées reçues se sont imposées, fondées sur des informations inexactes. Encore une fois, les décisions sur les choix nationaux doivent, plus que jamais, être exemptes de passion irraisonnée et être fondées sur des considérations pragmatiques.

Cette histoire confirme aussi que dorénavant, au Burkina Faso, le fait commande au droit et qu’il suffit de se munir des moyens de la violence illégale pour obtenir du succès dans sa cause, aussi inéquitable, injuste et illicite soit-elle. Ce constat est en train d’être illustré par le projet du nouvel hôpital de Bobo-Dioulasso, financé par la coopération tout fraichement renouée avec la République populaire de Chine. Quelle est la situation réelle autour de ce projet qui suscite autant de passions ?

Le changement de partenariat au développement

Le projet était, à l’origine, celui d’un hôpital de référence que les autorités taiwanaises avaient accepté de financer au profit de la ville de Bobo Dioulasso. Finalement, un établissement de ce type a été érigé à Ouagadougou, baptisé alors du nom du chef de l’État de l’époque. Après le retour de la RPC, celle-ci s’est engagée à poursuivre tous les projets qui avaient été conclus avec Taïwan. Le changement de type d’hôpital qui représente une réduction de l’investissement sur ce grand centre de santé, peut aussi avoir des justifications très objectives pourtant. Donc, allons pour un deuxième CHU à Bobo Dioulasso.

Il est vital de relever que la ville de Bobo Dioulasso souffre depuis très longtemps d’une insuffisance de l’offre de services de santé appropriés. Le CHU existant peine à satisfaire les besoins croissants des populations en services de santé. L’avantage du nouvel hôpital, c’est d’être un investissement clé en mains à la fois pour la construction des infrastructures et une assistance illimitée du fonctionnement. Il faut rappeler les difficultés budgétaires actuelles qui ont rendu très insuffisants la capacité d’accueil et un fonctionnement acceptable du premier CHU de la ville, l’hôpital Souro Sanon.

Un deuxième hôpital d’envergure est une nécessité incontournable pour la ville pour alléger les souffrances de la population de Bobo Dioulasso, indépendamment des positions politiques. De ce point de vue, il faut un autre hôpital important à Bobo Dioulasso, urgemment.

Le choix du site

L’hôpital de référence devait être implanté à Borodougou, à une dizaine de kilomètres du centre-ville. A partir du changement de l’hôpital de référence au CHU, l’éloignement n’est plus justifié parce que ce n’est plus le même public qui fréquentera l’hôpital. L’hôpital de référence recevrait une clientèle riche venue le plus souvent d’en dehors de Bobo Dioulasso, tandis que le CHU est presqu’un centre social où tous les citoyens peuvent venir recevoir des soins.

Dans le même temps, le CHU doit être géographiquement le plus proche possible de la population, ce qui a dû justifier en partie le choix de Kua qui est maintenant un quartier à part entière de Bobo Dioulasso et le site le moins éloigné du centre-ville, parmi tous ceux qui avaient été visés préalablement.

Avec la construction du second CHU, il est plus que probable que les autorités scientifiques de la santé vont spécialiser les deux hôpitaux. Il importe alors de prendre en considération les besoins des populations des quartiers excentrés de Bobo Dioulasso comme Kôdéni (route de Banfora), si elles devaient, pour des raisons de spécialisation, se rendre au nouvel hôpital. D’où, Kua est plus indiqué que Borodougou, ou Nasso par exemple.

Les sites possibles du nouvel hôpital (Nasso, Belleville, Borodougou et Kua), quand il a été décidé d’en faire un CHU, ont tous fait l’objet d’études d’impact environnemental et social, et Kua était apparu comme le meilleur choix, le seul obstacle étant le caractère de forêt classée. Est-ce un obstacle insurmontable pour un investissement aussi important, pour y répondre, il faut regarder de près ce qu’il en est du caractère forestier de Kua.

L’argument environnementaliste ou écologique

Quand on parle de la forêt de Kua, classée depuis 1938, beaucoup pensent à la forêt de Bangreweogo de Ouagadougou. Il n’en est rien. La forêt de Kua n’en a plus, en grande partie, que le nom. La végétation s’est réduite autour du cours d’eau sous l’effet de dégradations multiples opérées par les activités humaines qui ont eu lieu sur ce site, du fait de sa proximité avec les quartiers traditionnels de Bobo Dioulasso. Les autorités (ministère et collectivité) ont laissé, pendant des décennies, la forêt être attaquée par plusieurs types d’activités humaines, y compris certaines illégales comme la coupe de bois de chauffe qui a largement désertifié la forêt.

Principalement, ce sont les champs de culture qui occupent la partie aujourd’hui concernée par le projet d’hôpital. Avant de lancer des campagnes de soutien à la forêt, qu’on fasse d’abord l’inventaire de cette forêt. Qu’en reste-t-il concrètement aujourd’hui ? Et c’est là où on devrait appliquer le rappel du doyen Yacouba Sawadogo qui a dit, à propos de cette forêt, que c’est la première pharmacie que la nature a offerte aux hommes. Combien d’espèces végétales peut-on encore trouver dans ladite forêt actuellement ?

En demandant de ne pas toucher à la forêt, les néo-écologistes devraient citer les espèces de pharmacopées qui sont exploitées et renouvelées dans cette forêt. Existe-t-il un programme de régénération des sols ou du couvert végétal en cours dans cette forêt ? Ce sont de telles données qui devraient être évoquées dans le débat.

Au lieu de cela, des personnes n’ayant pas assez sérieusement étudié le sujet, se lancent dans une campagne idéaliste sur fond d’incantations de bonnes intentions et de patriotisme. Où étaient-ils quand la forêt était pillée de ses ressources naturelles ? Doit-on couvrir les faiblesses de la protection de l’environnement en jouant sur le juste sentiment écologique des Burkinabè ?

Maintenant que l’idée de changer de site est quasiment admise (partie chinoise), par la violence, la question clé doit être posée aux tenants de la « préservation ». Qui va payer les nouvelles études pour un nouveau site ? Mais surtout, dans combien de temps ces nouvelles études seront disponibles, puisqu’il va falloir étudier plusieurs sites en vue d’une comparaison d’efficacité socio-économique et environnementale ? Il semble bien que l’opinion forgée pour rejeter le site de Kua ne veut pas considérer les facteurs objectifs du projet.

Les vrais risques de Kua


Dans la bronca irrationnelle sur l’affaire dite de Kua, les vrais risques sont passés au second plan. Ces risques réels pourraient servir de ligne d’action à ceux qui veulent préserver l’environnement à partir du dossier de l’hôpital, même au cas où ce site viendrait, contre toute approche utilitariste, à être abandonné.

L’une des peurs qui ont nourri la résistance d’une partie de l’opinion, notamment à Bobo Dioulasso même, c’est le risque que le déclassement de la forêt ne devienne la voie ouverte à un bradage des terres actuellement protégées par la loi. Une fois déclassée pour permettre la réalisation de l’hôpital qui n’occupera que seize hectares du domaine, le reste pourrait être cédé par les responsables des collectivités à travers des opérations peu transparentes.

Le sentiment de protection de patrimoine est celui qui a dominé dans cette affaire chez les Bobolais. Et le risque est bien réel. On le sait, de nombreux actes frauduleux ont déjà eu lieu sur l’espace de la forêt classée. Si le conseil municipal de Bobo Dioulasso avait précisé ne donner son accord que pour le déclassement d’une partie seulement de la forêt, sa bonne foi aurait été évidente et beaucoup d’appréhensions seraient tombées.

Les populations, rudement et assez souvent échaudées par les multiples scandales autour des lotissements, se sont naturellement hissées contre le projet de déclassement de la forêt au souvenir des « affaires » sombres liées à la terre. Les défenseurs du patrimoine et de la transparence dans la gestion des biens collectifs pourraient porter leur intérêt sur cet aspect des choses, tout au long du projet, pour empêcher les dommages collatéraux du déclassement.

Un autre risque certain est celui de la contamination de la nappe phréatique sur les lieux de l’hôpital. On le sait, les hôpitaux génèrent des déchets de nature atomique. Les eaux usées et les déchets des centres de santé sont hautement toxiques, c’est connu. Des précautions importantes doivent donc être prises pour empêcher les pollutions de l’environnement, comme cela n’a pas été le cas pour le CHU Yalgado par exemple.

Il est autorisé de penser qu’un hôpital moderne ne saurait être conçu en ne prenant pas en considération ce type de risque. Néanmoins, les vrais défenseurs de l’environnement sont interpellés ici. Quel que soit l’endroit où l’hôpital sera implanté, le risque de pollution existe. Il faudrait alors monter les dispositifs adéquats de veille et d’action sur le risque environnemental de l’hôpital.

Au total, l’attention dans cette affaire se déporte sur le gouvernement burkinabè qui a à concilier plusieurs impératifs. Le gouvernement doit considérer, de front, les engagements diplomatiques, la poursuite de l’augmentation de l’offre de santé publique, la responsabilité des politiques publiques, l’opinion des populations et les positionnements politiques.

Rappelons-le, le chef de l’État, lors de la campagne électorale de 2015, avait formulé plusieurs promesses pour Bobo Dioulasso et toute la région des Hauts Bassins, dont aucune n’a encore été mise en pratique. L’hôpital pourrait bien être sa dernière chance de sauver sa parole à Bobo Dioulasso.

SiakaCoulibaly
Activiste de la démocratie, des droits humains et de l’environnement

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