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Affichages publics et gestion des langues au Burkina Faso : le cas des panneaux des services de l’Etat dans les centres urbains

Publié le lundi 29 janvier 2018 à 10h28min

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Affichages publics et gestion des langues au Burkina Faso : le cas des panneaux des services de l’Etat dans les centres urbains

Notre objectif, à travers cet article, est d’examiner les panneaux d’indication ou de sensibilisation des services de l’Etat afin de relever les différentes catégories qui les constituent, en nous référant aux messages qui y sont inscrits. Une analyse critique sur le choix des langues pour les inscriptions sur lesdits panneaux viendra clore cette réflexion sur l’affichage public des services de l’Etat au Burkina Faso. Nous avons, par souci de délimitation de notre sujet, circonscrit notre terrain de recherche aux deux plus grandes villes du Burkina Faso : Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.

Introduction

La ville, selon de nombreux sociolinguistes, est le lieu par excellence de l’unification linguistique et un indicateur fiable de la configuration linguistique d’un pays. Au Burkina Faso, les différentes politiques linguistiques ont largement favorisé le français (langue officielle du pays) comme la langue véhiculaire autour de laquelle s’opère l’unification linguistique du pays. Ce statut a naturellement conféré à cette langue une valeur d’une importance nettement au-dessus de la soixantaine de langues nationales burkinabè sur le marché linguistique. Elle demeure la seule langue officielle et langue de l’administration du pays, la principale langue d’accès aux épreuves des examens et celles des concours de la fonction publique, etc.

Les langues nationales restent officiellement exclues d’un certain nombre de privilèges au niveau scolaire et professionnel, quoique de nombreux Burkinabè aient appris à lire, à écrire et à compter dans ces langues à travers les différentes campagnes d’alphabétisation initiées par l’Etat lui-même et certains de ses partenaires techniques et financiers. Cette politique de gestion des langues du pays est entre autres clairement perceptible à travers la politique d’affichage public qui, jusqu’à un passé récent, était exclusivement dominée par le français.

Il est en effet, de plus en plus fréquent ces dernières années, en parcourant les villes de Ouagadougou ou de Bobo-Dioulasso, d’apercevoir des panneaux d’affichage sur lesquels des services de l’Etat sont indiqués à travers plusieurs langues : le français et une ou les trois langues nationales les plus parlées du pays. Cela est tout à fait nouveau et dénote de la prise de conscience de nos autorités quant à la place que devraient occuper nos langues dans le paysage linguistique du pays au regard de sa configuration.

I. Les différentes catégories d’affichages

Nous avons, à travers nos observations dans les deux grandes villes ci-dessus citées, relevé trois configurations différentes de panneaux d’indication ou de sensibilisation des services publics. Nous tenons à préciser que nos observations sur le terrain n’ayant pas couvert l’étendue géographique des deux villes concernées, la présente réflexion ne prétend pas à l’exhaustivité quant aux différentes catégories de panneaux ci-dessous citées :

1. Les panneaux monolingues

Ils sont, au stade actuel de la configuration des panneaux d’indication ou de sensibilisation, de loin les plus nombreux dans les deux principales villes du pays. Les inscriptions sur cette catégorie de panneaux sont essentiellement en français.

2. Les panneaux bilingues

Nous avons enregistré deux types de panneaux bilingues :

2.1. Les panneaux bilingues à langues superposées
Sur cette catégorie d’enseignes bilingues, les services sont indiqués à travers deux langues. Le français y occupe toujours la position dominante, celle de la langue de référence à traduire. La langue nationale (mooré, dioula ou fulfuldé) est inscrite en dessous du français dans une position de langue traduite. Ci-dessous un exemple de panneau bilingue français-dioula :

2.2. Les panneaux bilingues à une langue par face

Ce sont les panneaux dont les deux faces (le recto et le verso) servent à véhiculer le même message d’un service de l’Etat, mais dans deux langues différentes. Le recto est généralement en français et le verso dans une des langues nationales. L’exemple ci-dessous, que nous avons photographié à la direction régionale de l’action sociale des Hauts-bassins, sise à Bobo-Dioulasso, véhicule un message de sensibilisation contre la pratique de l’excision. Le même message y est inscrit en français et en dioula.

3. Les panneaux de quatre langues et plus

C’est la catégorie de panneaux qui semble faire tâche d’huile ces dernières années dans la capitale burkinabè. Grâce à l’appui technique du Ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation, ils sont de plus en plus nombreux les services de l’Etat qui bénéficient de panneaux d’indications se distinguant par des inscriptions superposées des mêmes informations en français et dans les trois principales langues nationales du pays que sont le mooré, le dioula et le fulfuldé. Le français, en tant que langue officielle du pays, y occupe la position de langue dominante, celle qui est traduite dans les trois autres langues.

Nous avons même découvert dans la ville de Ouagadougou un panneau de six langues : celui indiquant la direction des examens et concours du ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation.

II. Repenser la politique d’affichage public pour qu’elle soit plus inclusive

Malgré le poids démographique imposant des langues nationales, le français demeure la seule langue des privilèges au niveau administratif. Pourtant, elle n’est accessible qu’à une minorité de Burkinabè qui est à même de s’en servir comme code d’orientation ou d’information. Le rapport de l’OLF 2014 estime en effet à 22% la population francophone du Burkina Faso. Pour Diao-Klaeger S. (2015 : 508), « Déclarer le français comme langue officielle du pays ne veut pourtant pas dire que toute la population ou même qu’une majorité parle ou maîtrise le français ». Ce qui lui fait dire qu’il faut considérer ces chiffres avec une extrême prudence, au regard des réalités du terrain. Pour la même période (2014), le taux d’alphabétisation des adultes âgés de 15 ans et plus au Burkina Faso serait de 34,5% (Voir INSD 2015). Au regard de ce qui précède, nous estimons qu’il faille prendre des mesures idoines pour que le français ne soit pas la seule langue d’accès à l’information administrative, en se référant aux inscriptions sur les panneaux des services de l’Etat.

Cela devrait pouvoir se faire en toute complémentarité avec les trois langues nationales véhiculaires (mooré, dioula et fulfuldé) sur tout le territoire national. La cohabitation entre ces langues nationales et le français est d’autant plus nécessaire que chaque année l’Etat burkinabè et ses partenaires injectent des sommes colossales pour sortir de l’ignorance, à travers les langues nationales, un nombre élevé de Burkinabè qui croupit toujours dans l’obscurantisme. Si l’on doit continuer à apprendre à lire, à écrire et à compter aux populations dans leurs propres langues et ne pas créer les conditions qui puissent leur permettre d’utiliser ces connaissances pour des besoins d’ordre pratique (accès aux services de l’Etat, auto-orientation, respect de consignes, à travers les indications sur les panneaux, etc.), cela pourrait s’apparenter à une marginalisation de nos propres langues par la minorité francophone à son propre profit.

Lorsque nous proposons le mooré, le dioula et le fulfuldé comme langues d’affichages à côté du français, nous ne nous inscrivons pas dans une logique de marginalisation des autres langues du pays, mais dans une logique de réalisme, au regard de l’envergure nationale des trois premières citées. En effet, ces trois langues véhiculaires, à quelques exceptions près, couvrent à elles seules tout le territoire burkinabè, comme langues premières ou langues secondes des populations.

Du reste, dans les régions du pays où l’on rencontre certaines langues régionales dominantes comme langues d’alphabétisation d’envergure, l’on pourrait encourager les structures privées y représentées à prendre en compte ces langues dans le cadre des informations, des slogans et des panneaux d’indication. C’est déjà le cas à l’Est du pays, et surtout dans sa capitale Fada Ngourma, où nous avons relevé un certain nombre de structures locales dont les inscriptions sur les panneaux d’indication sont à la fois en français et en gulmancema (cf. panneau ci-dessous). Il faut signaler au passage que la région de l’Est est l’une des régions du Burkina où le taux d’alphabétisation est assez élevé, et cela grâce à l’association Tin-Tua dont la notoriété dépasse les frontières nationales.

Conclusion
Les inscriptions sur les panneaux des services de l’Etat demeurent largement dominées par la seule langue officielle du pays qu’est le français, quoique langue d’usage d’une minorité de la population. Les langues locales burkinabè y occupaient une position marginale jusqu’à un passé récent où les trois langues véhiculaires que sont le mooré, le dioula et le fulfuldé, y ont fait leur entrée et continuent de bénéficier d’une considération de plus en plus accrue de la part des autorités de l’Etat. Ce clin d’œil fait aux langues nationales dans les affichages publics est à saluer à sa juste valeur et mérite d’être poursuivi dans une tendance extensive sur tout le territoire national. Certes toutes les langues nationales du pays ne peuvent pas servir, à côté du français, de canaux d’indication ou de sensibilisation des services de l’Etat, mais au regard des pratiques langagières des populations et de la configuration linguistique du pays, on peut affirmer sans risque de se tromper que de par leur statut de langues véhiculaires, le mooré, le dioula et le fulfuldé couvrent l’essentiel du territoire national et peuvent à ce titre assumer une certaine légitimité auprès des populations pour figurer à côté du français comme langues des affichages publics de l’Etat sur toute l’étendue du pays. La réflexion sur les affichages pourrait se poursuivre à travers des sujets comme ceux portant sur les variétés des langues concernées, le respect des normes dans les transcriptions, etc.

Daouda Traoré
DLLN / INSS / CNRST
Ouagadougou, Burkina Faso
daodatraore@yahoo.f

Références bibliographiques

- Institut national de la statistique et de la démographie (INSD), 2015, Enquête multisectorielle continue (EMC) 2014, Alphabétisation et scolarisation, Ouagadougou, Burkina Faso, Site internet : www.insd.bf
- L’observatoire de la langue française (OLF), 2014, La langue française dans le monde, Paris, Nathan.
- Sabine Diao-Klaeger, 2015, Le français dans le monde : Afrique, in Manuel de linguistique française, Berlin / Boston, Walter de Gruyter, pp. 505-524.

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