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« Nous travaillons à faire d’Internet un, interopérable et sûr », Pierre Dandjinou, Vice-président de l’ICANN pour l’Afrique

Publié le dimanche 3 septembre 2017 à 19h48min

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« Nous travaillons à faire d’Internet un, interopérable et sûr », Pierre Dandjinou, Vice-président de l’ICANN pour l’Afrique

En marge de la 3e édition du séminaire international de formation des formateurs de la gouvernance de l’internet et des systèmes d’information organisé à Ouagadougou du 28 août au 1er septembre 2017, nous avons rencontré M. Pierre Dandjinou. Il est le Vice-président pour l’Afrique de la société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet (ICANN en anglais). Avec lui, nous avons abordé les questions relatives aux missions de cette institution mondiale, aux noms des domaines et aux enjeux de la gouvernance de l’internet. Lisez !

Lefaso.net : Présentez-nous l’ICANN ?

P.D. : L’ICANN, c’est l’entreprise internationale qui s’occupe de l’internet. Elle s’occupe de la coordination des systèmes des ressources critiques de l’internet, c’est-à-dire les noms de domaine, les adresses IP. Elle est basée à Los Angeles.

Vous êtes en effet le Vice-président de l’institution en Afrique. Parlez-nous un peu des actions que vous menez sur le continent ?

Nous nous assurons que la voix de l’Afrique soit entendue au niveau de la coordination des systèmes d’information (noms de domaine et adresses IP) et que les Africains participent davantage à l’ICANN et aillent vers le business de l’industrie de l’internet. Une grande partie de nos efforts est tournée vers le renforcement des capacités. Qui dit renforcement de capacités, dit accompagnement des Africains qui sont intéressés par la gestion des ressources internet (les ingénieurs réseaux, les ingénieurs informatiques et les ingénieurs systèmes) pour qu’ils aient les compétences qu’il faut pour gérer une entreprise qui se spécialise dans ce domaine.

Nous donnons des formations en matière de business, marketing, etc. Nous apprenons aux gens à sécuriser leurs systèmes de noms de domaine (DNSS). Nous avons aussi un autre volet qui permet à un pays d’héberger les copies de la racine. On a 13 gros serveurs qui constituent ce qu’on appelle la racine de l’internet. Théoriquement lorsque vous faites une recherche sur internet, tout doit aller à ces serveurs avant de vous revenir. Sur les 13 serveurs, les Etats-Unis abritent 11 serveurs pour des raisons historiques car c’est là qu’internet est né, l’Europe et l’Asie du sud-est abritent chacun un serveur. Les copies de ces serveurs sont disponibles et nous accompagnons les pays africains pour faire la requête nécessaire et installer ces serveurs. Sur les 54 pays de l’Afrique, nous avons une douzaine qui héberge des copies de ces serveurs. L’intérêt de tout ça, c’est que cela réduit le temps et les frais d’accès.

Nous accompagnons aussi les registrants, ces revendeurs des noms de domaine. Il y a un business autour de cette activité. Je dois avouer que ça marche beaucoup ailleurs. Au niveau africain, nous devons encore faire des efforts pour mieux faire connaitre ce secteur, encourager les gens à mettre en place des sites web, des applications et à développer des contenus africains.

Au niveau mondial, nous avons trois réunions annuelles. La dernière grande réunion a eu lieu à Johannesburg (Afrique du Sud), il y a deux mois. La prochaine réunion aura lieu à Abu Dhabi. Lors de ces rencontres, 2000 à 3000 personnes discutent des politiques à mettre en place concernant les différents aspects de l’internet. Nous suivons aussi les décisions du Board (conseil d’administration) composé à peu près de 25 personnes qui viennent du monde entier. L’écosystème de l’internet est fait de telle sorte que plusieurs acteurs collaborent. C’est un modèle multi acteurs où chacun doit avoir sa place. A ICANN, les gouvernements, les hommes d’affaires et la société civile ont leur place. Nous avons une façon de travailler qui va de la base vers le sommet.

Pendant deux décennies, l’ICANN a été sous la tutelle du département américain du commerce. A quand remontent les tractations pour une telle émancipation et quelles étaient les enjeux ?

Tout est parti de ce débat de la gouvernance de l’internet il y a une dizaine d’années lorsque les Etats se sont retrouvés au cours d’un sommet pour parler de la société de l’information. Ils se sont rendu compte qu’internet était incontournable. Ils ont également commencé à se poser des questions sur comment internet marche et qui en est responsable. Ils ont compris que la culture d’internet était liée aux Américains. Elle était basée sur la chose suivante : « Premier arrivé, Premier servis ». Les pays se sont dit qu’il fallait trouver un moyen pour que tout le monde puisse héberger les serveurs.

L’ICANN présentait tous les ans un rapport aux États-Unis. Les pays ont également estimé que cela ne devrait plus continuer de cette façon. Ce qui était intéressant, c’est que trois ans plus tôt, les Américains ont surpris le monde entier en marquant leur accord pour laisser la gestion de l’internet à un groupe multi-acteurs. Ils ont demandé que ce groupe vienne avec une proposition de gestion Ce qui a été fait et du coup l’année dernière, les Etats-Unis ont été d’accord avec ce plan de gestion proposé par les États.

Ça a été une période de Transition pour l’ICANN. Nous avons modifié ses textes fondamentaux pour mettre en place des structures qui correspondent à ce que la communauté souhaitait. Aujourd’hui, les Gouvernements sont à l’intérieur de l’ICANN. Leurs représentants ont des réunions sur différentes thématiques notamment la gestion des données personnelles, les problèmes de droits humains, les problèmes afférant à la gestion des noms de Domaines, etc.

Certains spécialistes pensent que les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance de la NSA ont été le déclic de cette démarche d’émancipation de l’ICANN vis-à-vis des Etats-Unis d’Amérique.

Snowden a dit certainement ce que tous les autres pays savaient. Tous les pays font de l’espionnage ne serait-ce que pour la sureté de l’Etat. Les révélations de Snowden ont fait un tollé mais ce n’était pas nécessairement l’ICANN qui était visé. Ces révélations ont peut-être amené les gens à se poser les bonnes et à s’organiser davantage. Mais il faut dire que le fait que les Américains aient laissé la main et que l’ICANN soit plus libre de ses actions, c’était quelque chose de prévu. L’ICANN a été fondée en 1997. C’était une volonté du gouvernement américain de transférer la gestion des noms de domaine et des numéros au Privé. Et maintenant la façon dont cela allait se faire n’était pas très bien clair. En 1998, lorsque l’ICANN a été officiellement créée il était question que les USA voient comment laisser progressivement la main aux autres Etats. La décision des États-Unis n’était donc pas vraiment une surprise. Maintenant on peut se poser la question si les révélations de Snowden n’ont pas amené les Américains à lâcher du lest.

Comment se porte l’ICANN après cet épisode de transition ?

L’ICANN d’aujourd’hui, c’est beaucoup plus de personnes qui travaillent. Il y a cinq, six ans de cela, l’institution comptait 125 personnes dont une bonne partie provenant des États-Unis. Aujourd’hui, elle compte plus de trois cent personnes dans le monde entier. Nous avons mis un Hub à Singapour qui compte une trentaine de personnes. Nous avons également un Hub en Turquie. L’Afrique dépend de ce Hub-là qui compte une vingtaine de personnes. L’ICANN n’a pas de problèmes financiers. Notre rôle s’est approfondi et s’est diversifié. L’ICANN se porte bien et elle travaille à faire d’Internet un, unique, interopérable et sûr. On ne doit pas couper Internet. Ça doit pouvoir marcher 7j/7, 24h/24.

En Afrique la plupart des entreprises utilisent plus les noms de domaine avec les extensions génériques tels que « .com », « .fr » ou « .net » plutôt qu’avec les extensions locales. Qu’est-ce qui explique ce choix ?

On aurait pu poser la question autrement. Pourquoi tant d’Africains utilisent les serveurs de messagerie tels que Hotmail, Gmail, Yahoo ? Il y a deux catégories de noms de domaine : il y a les noms de domaine pays (exemple : « .bf » pour le Burkina Faso, « .fr » pour la France, « .gh » pour le Ghana). Il y a également les noms de domaine avec une extension de type générique (.com, .org, .net). C’est davantage une question de choix stratégiques. Beaucoup d’Africains estiment que ça ne leur coute rien d’avoir un nom de domaine avec une extension générique et que les extensions locales coûtent chères et exigent beaucoup de paperasses.

C’est sûr, il y a également des problèmes de maintenance. Nous devons trouver un modèle de gestion. Il y a aussi la concurrence. Nous avons le « .afrique ». Aujourd’hui, la grande question qui va se poser c’est « Est-ce que je prends le .bf ou le .afrique ? » On peut faire son choix. Il faut que l’usager trouve son compte en choisissant l’un ou l’autre. Il faut informer les gens pour qu’ils sachent pourquoi aller par exemple sur le « .bf » ou le « .afrique ». Je le reconnais, on n’a pas assez fait de sensibilisation. Mais aujourd’hui nous poussons les registres des pays à informer davantage les clients pour qu’ils sachent exactement ce qu’ils gagnent à être au niveau national ou au niveau international

En choisissant, les noms de domaine génériques, quelles sont les conséquences pour l’économie numérique des Etats africains ?

L’ICANN n’est pas là pour demander à un pays de faire ceci ou cela. Nous avons mené une étude récemment pour voir quel est l’état des lieux des noms de domaine en Afrique. Oui, l’Afrique évolue mais la situation est différente d’un pays à l’autre. Il y a cinq millions de noms de domaines qui sont utilisés en Afrique pour une population de plus d’un milliard de personnes. L’Afrique du Sud à elle seule a près de la moitié. C’est vrai qu’il y a des problèmes et internet n’est pas encore perçu comme un business. On va sur Facebook et sur Google mais il faudrait que l’Afrique pense également à avoir ses moteurs de recherche.

Vous prenez part depuis le 28 août à un séminaire de formation des formateurs de la gouvernance de l’internet et des systèmes d’information organisé par l’ITIC. Quel peut être l’intérêt d’une telle formation dans un continent où la connectivité est faible ?

L’ICANN participe pour la troisième fois à cet atelier de formation des formateurs de la gouvernance de l’internet et des systèmes d’information. Nous sommes également l’un des sponsors de cette activité. Nous croyons en la nécessité de renforcer les capacités des acteurs au niveau des pays africains. Cette gouvernance de l’internet va au-delà de ce que je disais tout à l’heure. Elle va au-delà des noms de domaine et des adresses IP. Cette gouvernance de l’internet est liée aux enjeux de la Société de l’information, à l’utilisation d’internet, aux dangers qu’il peut représenter, à la sécurisation des données personnelles, etc. Nous avons sélectionné des représentants de pays africains et nous abordons avec eux plusieurs facettes de cette gouvernance. Ce qui est intéressant, c’est que ces stagiaires doivent savoir davantage sur les enjeux et les défis afin d’être des relais de retour dans leurs pays.

Qu’est-ce qui explique le retard des pays d’Afrique francophone par rapport à leurs voisins anglophones dans le domaine de la gouvernance de l’internet ?

Est-ce un retard structurel ? Je ne sais pas trop. Dans notre étude, nous avons remarqué que sur les 54 pays africains, les pays francophones sont en retard en termes l’utilisation de noms de domaine et certaines évolutions par rapport aux pays anglophones. Je crois que c’est dû à la façon dont on a géré les choses depuis les indépendances et depuis une quinzaine d’années. Mais, cette situation n’est pas irrémédiable. Aujourd’hui les régulateurs commencent à comprendre qu’il ne s’agit pas que de réguler les télécommunications. Aujourd’hui, il y a l’internet, les contenus, le paiement électronique, etc. C’est aussi en faisant ce travail de relais dont j’ai tantôt parlé que l’Afrique francophone va comprendre petit à petit les enjeux et aussi participer au niveau international dans la résolution des problèmes. Nous devons être des contributeurs, des acteurs et non des consommateurs.

Quelles sont les perspectives au niveau de l’ICANN ?

Nous avons plusieurs chantiers en tout. Nous avons lancé le grand programme des nouveaux noms de domaine depuis trois ans. Aujourd’hui, nous sommes à 1 320 nouveaux noms de domaine qui ont été délégués. Maintenant, nous travaillons pour la prochaine phase. Et je sais que l’Afrique attend cette phase parce qu’elle n’a pas vraiment participé à la présente phase qui tire à sa fin. Globalement, lorsque nous avons demandé les nouveaux noms de domaine pour accréditation, nous avons reçu 1 930 candidats dont 17 provenaient de l’Afrique du Sud.

L’autre chantier de l’ICANN, ce sont les contrats qu’on gère entre les registres. Il y a également le côté traitement des données personnelles. L’Union européenne a sorti toute une stratégie et nous sommes en train de réfléchir aux impacts que celle-ci va avoir sur la banque de données que nous avons au niveau de l’ICANN et de ses démembrements.
Le reste concerne le fonctionnement de l’Institution par rapport aux nouvelles dispositions qui ont été prises depuis la transition que nous avons connue.

Votre dernier mot

L’ICANN va continuer à apporter son soutien aux acteurs mais nous pensons que tout ça doit être relayé afin que les pays comprennent davantage les enjeux, fassent ce qu’il faut faire pour représenter l’Afrique valablement aux discussions sur la gouvernance de l’Internet au niveau mondial et au niveau de l’ICANN. Notre souhait c’est que nous transformions positivement l’écosystème de l’Internet en Afrique.

Entretien réalisé par Herman Bassolé
Lefaso.net

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