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Langues nationales et lutte contre l’incivisme : Cas de la divagation des animaux dans la ville de Ouagadougou (Burkina Faso)

Publié le lundi 20 mars 2017 à 00h17min

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Langues nationales et lutte contre l’incivisme : Cas de la divagation des animaux dans la ville de Ouagadougou (Burkina Faso)

Depuis la chute du Mur de Berlin accompagnée des Conférences nationales en Afrique, le monde et l’Afrique sont entrés dans une nouvelle ère démocratique. Le Burkina Faso, malgré un « retour » à une démocratie, suite aux évènements des 30 et 31 octobre 2014, n’est, depuis, qu’un vaste champ d’expérimentations, d’applications et d’exacerbations d’actes d’incivisme de tous genres et de tous acabits. En effet, le Burkina post 30 et 31 octobre 2014 a mal à son civisme. Quand ce ne sont pas des élèves qui giflent leurs professeurs ou les pourchassent comme du gibier, ce sont les usagers de la route qui foncent sur les forces de l’ordre.

La route du développement passe par le développement de la route, dit-on. A Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, cette réalité a même été comprise par les animaux qui disputent quotidiennement l’occupation de la voie publique aux humains. Malgré les campagnes de sensibilisation, la coercition, les difficultés liées à l’application et au respect du mot d’ordre des « trois luttes » occasionnent des situations dommageables pour les populations et leurs biens.

Pour analyser et comprendre la persistance de la divagation des animaux en milieu urbain, un contact fut noué avec quelques acteurs de l’élevage en milieu urbain. Un échantillon de dix (10) éleveurs dont la moitié se situe au cœur de la ville de Ouagadougou (Nonsin, Kamsoghin, Niongsin, Cissin) et le reste dans la périphérie (Tanghin, Tampouy, Taabtenga) a été mis à contribution. La particularité de ce public cible, c’est qu’aucune femme n’en fait partie. Toutes illettrées, ces personnes se livrent à l’élevage de chevaux (une personne), de porcs (deux personnes), de bœufs (trois personnes) et de moutons (quatre personnes).

Les dernières campagnes d’abattage des chiens errants, la capture et la vente d’autres animaux (bovins, caprins, ovins) par l’autorité communale n’ont en rien endigué la situation. L’option de cette solution radicale, épileptique et sans effet sociétal, sous-entend-elle que toutes les pistes de solutions ont été utilisées ? Dans un pays où cohabitent une soixantaine de langues, peut-on gagner une telle lutte en faisant fi des langues nationales ?

A travers cet article, il s’agit de s’interroger sur les causes de l’échec de la lutte, pour in fine proposer à l’autorité communale, voire déconcentrée, de faire de la langue nationale la charpente de sa politique contre la divagation des animaux dans la commune de Ouagadougou.

1. Bref aperçu des « trois luttes »

Pays sahélien, enclavé et pauvre, le Burkina Faso tire la majeure partie de sa subsistance de ses ressources terrestres. Les changements climatiques conjugués à l’action de l’homme sur la nature hypothèquent dangereusement l’auto-développement des populations dont le destin est intimement lié à la terre. Cette situation a conduit les autorités d’alors à lancer le mot d’ordre intitulé « les trois luttes ».

Lancé par le Président du Conseil National de la Révolution (CNR), le capitaine Thomas SANKARA lors de l’inauguration de l’Inspection générale des Eaux et Forêts, en avril 1985, il préconise une lutte contre les feux de brousse, la coupe abusive du bois, accompagnée de campagnes de sensibilisation pour le développement de l’utilisation du gaz pour la cuisine et la divagation des animaux. La charge est revenue aux Comités de Défense de la Révolution (CDR) de traduire ce mot d’ordre dans la réalité, non sans parfois quelques mesures coercitives.

Si de nos jours, il est difficile de dresser le bilan de ce mot d’ordre, le constat qui se présente, c’est que le chemin devant nous conduire à sa satisfaction est toujours d’actualité. A l’image de la plupart des projets en Afrique, un bilan des « trois luttes » n’a jamais été réalisé. Pour notre part, la lutte contre la divagation des animaux dans la ville de Ouagadougou constitue notre préoccupation.

1.1.La divagation des animaux : état des lieux dans la commune de Ouagadougou

La divagation des animaux dans la ville-Capitale est un spectacle faisant partie du quotidien des populations ; toute chose qui n’est pas sans conséquences sur les hommes et leurs biens. Les récentes statistiques recueillies auprès de l’Observatoire de Sécurité de la Commune de Ouagadougou (OSCO) − structure qui traite et analyse les données statistiques à partir des sources des acteurs de la sécurité comme les Sapeurs-pompiers, la Police Nationale (PN), la Gendarmerie, la Justice, les services de santé, etc. − font ressortir en 2013, quatre cent quarante-trois (443) cas d’accidents de la route ayant occasionné dix (10) morts, deux cent un (201) blessés et d’importants dégâts matériels. Et en 2014, toujours dans la capitale burkinabè, l’OSCO a enregistré cinq cent soixante-dix-neuf (579) cas ayant occasionné treize (13) morts, deux cent dix-sept (217) blessés et également d’importants dégâts matériels. Un pourcentage (1,7%) non négligeable de ces accidents est imputable à la divagation des animaux. Pour la seule ville de Ouagadougou, les indicateurs relèvent une hausse considérable de 13,3% au compte de l’année 2014. A ces statistiques, nous occultons les cas de morsure de chiens enragés ou pas et le taux des maladies pulmonaires occasionnées par la promiscuité avec les animaux.

1.2. Les causes de l’échec de la lutte contre la divagation des animaux

Sur le plan législatif, le Burkina Faso dispose de textes en matière de répression des actes délictuels en relation avec les conséquences de la divagation animalière. Malheureusement, cette législation est mal connue pour plusieurs raisons au nombre desquelles, nous citons la mauvaise diffusion, l’inaccessibilité des recueils et la complexité dans la connaissance du texte juridique.

Les entretiens ont permis de dégager des causes liées à la pratique de l’élevage en milieu urbain. Et ces causes justifient l’échec de la lutte contre la divagation des animaux dans la ville de Ouagadougou.

 Des causes socioéconomiques

Les entretiens font ressortir que l’ensemble de notre population cible s’adonne à l’élevage en ville pour des raisons financières, voire coutumières pour le cas de l’éleveur de chevaux. Ces éleveurs ont connaissance des nuisances que leur pratique occasionne, tout en avouant leur incapacité à y apporter une quelconque solution. Pour ces personnes, leur activité est le seul canal qui leur permet de subvenir aux besoins de leurs familles. Si la divagation animalière n’est pas un phénomène récent, il y a que depuis les évènements des 30 et 31 octobre, le pouvoir d’achat du Burkinabè s’est effondré ; ce qui pousse les éleveurs à libérer les animaux de jour, tout comme de nuit pour la recherche de leur pitance.

 De la gouvernance locale

Dans sa quête perpétuelle du développement, chaque société se doit de trouver les meilleures formules organisationnelles qui puissent lui permettre d’atteindre ses objectifs. C’est ainsi que face à la crise de gouvernabilité des Etats africains, la décentralisation, selon Elong Mbassi, J. P. (2004) est apparue comme une des réponses et une condition nécessaire à l’enracinement de la démocratie et du développement. Mais cette nouvelle gouvernance met du temps à trouver ses marques du fait de certains facteurs comme le faible niveau des acteurs locaux et des autorités locales qui sont chargés d’exercer les compétences décentralisées par l’Etat. En effet, pendant longtemps, l’on a toujours cru bon de prendre les décisions pour les populations et sans aucune concertation.

Pour le cas nous concernant, la seule solution servie était de procéder à l’abattage des animaux ou à leur capture. Pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène de la divagation des animaux dans la capitale burkinabè, nous nous sommes aussi intéressé au budget de la commune de Ouagadougou pour les années 2014 et 2015. C’est ainsi qu’au compte des droits de fourrière - ligne budgétaire abritant les prévisions et les revenus générés par la vente des animaux capturés - lors de l’année budgétaire 2014, la ligne a enregistré un excédent de recette de 192 %, et en 2015, cet excédent s’est accru de 387%. Mieux, entre 2014 et 2015, les prévisions de recouvrement sur la vente des animaux capturés a été revue à la hausse. Ces pourcentages attestent de l’existence du phénomène et du manque de réponse appropriée pour l’endiguer.

Il n’existe pas de politique communale claire de lutte contre la divagation des animaux dans la ville de Ouagadougou. L’autorité communale se contente de communiqués radiophoniques pour prévenir la population du lancement des campagnes d’abattage systématique des animaux. A défaut, il n’est pas rare d’assister à des courses-poursuites entre policiers municipaux et animaux. Ces derniers ainsi capturés sont vendus au profit de la recette communale. Les résultats de ces stratégies de lutte ne sont que temporaires, car durant cette période, les éleveurs enferment leur bétail.

Si ces stratégies ont le mérite de faire casser le thermomètre, elles ne font aucunement baisser la température. On ne cherche pas à résoudre le problème, on ne fait que le déplacer. Pour corroborer nos recherches, nous avons émis le souhait de connaître la part contributive au budget de la commune générée par la vente des animaux capturés. Mal nous en a pris, car sous nos tropiques, il est plus facile de connaître le sexe des anges que de pouvoir entrer en possession de certaines informations dites sensibles comme l’est le budget de la commune de Ouagadougou.

 Des causes politiques

Les personnes qui s’adonnent aux activités en relation avec l’élevage appartiennent pour la plupart à des familles nombreuses, donc à forte potentialité électorale. Un locataire ne peut pas se livrer à cette activité. Naturellement, l’on est enclin de se demander pourquoi ces personnes connues et reconnues ne sont nullement inquiétées ? Cette complaisance de l’autorité peut s’expliquer par le fait qu’elle ne souhaite pas se mettre à dos ce vivier électoral.

Nos échanges ont aussi permis de déboucher sur un autre aspect lié à l’élevage et à la divagation des animaux : la défiance vis à vis de l’autorité. Certains éleveurs reconnaissent avoir été des acteurs de l’insurrection d’octobre 2014 et affirment que ceci leur sert de passe-droit car les politiciens sont responsables de leur situation de pauvreté.

2. Les langues nationales : la solution ?

Les derniers évènements majeurs qu’a connu notre pays doivent interpeller l’autorité communale à privilégier la sensibilisation pour toute question touchant à la société ; d’où la nécessité de faire de la communication le principal levier pour l’adhésion des populations aux politiques communales.

Le multilinguisme et la diversité culturelle de l’Afrique constituent des atouts qui doivent enfin être mis à profit. Au Burkina Faso, et à Ouagadougou en particulier, le multilinguisme est de règle. Il n’est ni une menace ni un fardeau. Par conséquent, le choix des langues, leur reconnaissance et leur place dans les systèmes de communication peuvent favoriser les changements de comportement de masse.
Notre enquête a permis de savoir que notre public cible est constitué exclusivement de personnes non instruites en français. De même, ces personnes, même si elles reconnaissent que la divagation des animaux due à la pratique de l’élevage est répréhensible par la loi, n’ont pas la moindre idée des sanctions qu’elles encourent. La répression ayant montré ses limites, nous proposons une approche participative, basée sur la communication et dont le mérite est d’instaurer un véritable climat de confiance entre les parties. En outre, elle permet un travail en profondeur au niveau du terroir, en offrant à chacun la possibilité de participer activement et d’exprimer son point de vue.

A travers notre modeste contribution qui se veut un plaidoyer pour un meilleur cadre de vie, nous pensons qu’il est impérieux pour l’autorité communale de s’approprier les propos de Ki (2007 :4) pour lequel toute politique qui se veut endogène doit choisir « de situer la citoyenneté et le citoyen au centre d’une redéfinition des responsabilités […] dans des domaines aussi vitaux comme […] la protection du cadre de vie. » Pour ce faire, nous préconisons en ensemble d’actions de communication pouvant impacter positivement les comportements, et ainsi endiguer cette pratique :
 le plaidoyer : une approche à long terme et nécessitant des efforts soutenus. Pour obtenir ce changement de comportement escompté, le concours des leaders religieux et/ou coutumiers peut s’avérer déterminant.

-la communication de masse : même si elle ne fait pas partie des approches participatives, cette stratégie a été pendant longtemps mise à contribution, mais ses résultats se sont avérés insatisfaisants. Aussi est-il nécessaire d’évaluer les actions menées car cette forme de communication est la plus usité pour informer, sensibiliser un nombreux public. Pour cela, la Radio Municipale de Ouagadougou (RMO) peut être d’une contribution stratégique.

- la communication de proximité : cette approche participative a un coût. Dans un pays où l’efficacité des OSC (Organisation de la Société civile) n’est plus à démontrer, ces dernières peuvent servir de pierre angulaire dans le dialogue avec les éleveurs et le suivi des actions devant amener au changement de comportement.

- la communication institutionnelle : cette forme de communication peut contribuer à endiguer la pandémie de la divagation animalière dans la ville de Ouagadougou. Emanation de la population suite aux dernières élections municipales, l’autorité communale doit enfin asseoir et affirmer sa politique de gestion de la commune. La lutte contre la divagation des animaux devrait être une priorité de l’équipe communale. La communication institutionnelle ayant vocation à « mobiliser », il s’agira de sensibiliser sur les textes de loi régissant les aspects liés à la pratique et aux conséquences de l’élevage en milieu urbain. Elle peut servir aussi de cadre pour des échanges d’expérience entre acteurs concernés par la sensibilisation.

Conclusion

Cette réflexion a permis d’appréhender la réalité de la divagation des animaux dans la ville de Ouagadougou. Le constat marqué par l’incivisme d’une partie de la population conjugué au laxisme et à la démission des autorités laisse perplexe quant à une quelconque volonté de faire de la ville de Ouagadougou un espace exemplaire. La spécificité des personnes s’adonnant à l’élevage en milieu urbain nécessite la mise en place d’un schéma de sensibilisation dont le socle reposera sur l’usage des langues nationales. Pour permettre aux populations d’avoir accès à l’information et mieux les sensibiliser, il est proposé des modes de communication propres à des Etats démocratiques. Plutôt que d’opter pour une politique de répression tous azimuts, ces modes de communication, si elles sont appliquées, permettront un rapprochement entre les populations elles-mêmes et les autorités, de découvrir les réalités qui existent dans les zones urbaines, mais aussi de pousser les éleveurs à adopter un comportement citoyen.

Dr Oumar LINGANI
Chercheur au CNRST/INSS
Chercheur associé à l’université de Paris 10
Contact : 00 (226) 78 84 56 04
olingani@yahoo.fr

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