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Burkinabè réduits en esclaves au Koweït : « Le vrai problème, c’est l’ambassade », affirme un rescapé

Publié le mercredi 15 juin 2016 à 01h00min

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Burkinabè réduits en esclaves au Koweït : « Le vrai problème, c’est l’ambassade », affirme un rescapé

Ils ont cédé aux promesses mirobolantes d’un réseau mafieux de passeurs depuis le Burkina qui leur a promis fortune au Koweït. Des centaines de jeunes Burkinabè s’y sont rués. Ce n’était qu’un mirage et pire, ils sont réduits à l’esclavage dans ce pays du Golf où ils sont bergers pour l’essentiel dans le désert. Beaucoup d’entre eux qui ont financé leurs voyages à coup de millions ne cherchent plus qu’à retourner au pays natal. Impossible. Un d’entre eux, Hamadou Boly a quand même réussi à se défaire de ses chaines après une année. Il nous parle de la mésaventure koweitienne, dénonce le silence coupable de l’ambassade du Burkina au Koweït et prévient les jeunes encore tentés par un échec programmé.

Lefaso.net : Comment êtes-vous arrivé au Koweït ?

Hamadou Boly : Il y a des gens qui m’ont parlé du Koweït. On m’a fait savoir que là -bas on y gagnait bien sa vie. Avec un bon salaire, 600 000 F CFA au minimum par mois. On m’a promis un métier de chauffeur, et j’ai remis mon permis de conduire mais quand je suis arrivé c’était autre chose. Mon patron m’a accueilli à l’aéroport et m’a conduit dans le désert pour que je garde des animaux, avec un salaire de 60 dinars, un peu plus de 100 000 f CFA.

Pour le voyage, j’ai même eu des problèmes. Sur mon passeport c’était écrit sexe féminin. Au Maroc on m’a arrêté, j’y ai passé quelques jours avant de continuer.

Vous avez donc gardé le bétail au lieu de conduire un véhicule ?

Quand mon patron m’a dit ce que je devrais faire, j’ai refusé, parce que ce n’est pas ce qui était prévu au début et j’ai menacé de repartir. Ma chance c’est que je parle parfaitement l’arabe. C’était le 5 mai à 16h. On m’a abandonné avant de revenir me chercher à 22 h.

Face à mon refus, on m’a amené des voitures, une 4x4 et une V8 pour me tester. C’est là que je les ai convaincus et ils m’ont ramené en ville.

Ce fut ma chance, mais d’autres n’ont pas cette grâce. J’ai des amis qui ont financé leur voyage entre 1 et 3 millions pour finalement se rendre compte sur place que ce n’est pas l’Eldorado.

Mais en réalité, il y a des gens au Koweït qui manifestent le besoin de main d’œuvre. Ils achètent le billet d’avion et s’occupent des documents. Mais il y a un réseau ici qui prend l’argent auprès des candidats, à coup de millions. Donc une fois au Koweït quand on se rend compte des conditions et qu’on veut repartir, le patron refuse parce qu’il s’est occupé de tout et tu lui appartiens, au moins pour deux ans.

Vous avez donc fait ce qui était convenu au départ, mais dans quelle condition travailliez-vous ?

Il y avait au moins huit véhicules. Chaque matin, je devrais les laver tous. Pendant que mes voisins lavaient avec des machines, c’est avec un seau que je me débrouillais. Je déposais la femme du patron à 6h à son école. Sans manger, et je revenais aux environs de 14h.
Une fois à la maison, je faisais d’autres travaux, comme par exemple aller acheter des condiments au marché ... j’étais considéré comme un esclave au service de toute la famille. J’ai vécu cette situation pendant 6 mois avant de m’enfuir.

Il y a un système de deux visas au Koweït. Un visa avec un numéro 18, un autre 20. Le 20 signifie que le détenteur travaillera uniquement dans une maison, il ne peut donc pas travailler ailleurs, à un autre poste. Sinon, on t’arrête. La plupart des Burkinabè qui partent au Koweït ont un visa 20. Des pays comme le Togo ont d’ailleurs interdit leurs citoyens de voyage au Koweït avec un visa 20. Dans tous les pays du golfe, c’est seulement au Koweït qu’il y a cette séparation.

Dans quelles conditions les Burkinabè travaillent-ils là-bas ?

Les Burkinabè font vraiment pitié. Les chauffeurs valent encore mieux, ceux qui s’occupent des animaux dans le désert souffrent le martyre, ils sont confrontés à tout. Le soleil, le vent, pendant la saison du froid c’est encore pire. En plus l’arabe n’a aucun sentiment. Il peut te jeter dans le désert ne même pas t’apporter à manger. Ceux qui veulent se plaindre ou tentent de se sauver sont menacés de mort souvent avec des armes. Il arrive qu’ils mettent leur menace à exécution.

Surtout les élèves qui font l’école franco-arabe au Burkina sont les cibles. Les ‘’démarcheurs’’ leur disent qu’on veut des imams au Koweït, et que s’ils arrivent ils peuvent travailler tout en continuant les études, alors que c’est tout autre chose. Il y a beaucoup de Burkinabè qui ne veulent même plus l’argent, mais cherchent juste à rentrer au Burkina. Tous sont des esclaves, parce que c’est l’arabe qui les a fait venir avec le visa 20.

J’ai un ami qu’on a fait venir pour garder les animaux. Son patron lui a demandé de dépecer un mouton. On ne peut le faire tout seul, parce que les moutons sont de grande taille. Il n’a pas pu. Son patron et d’autres personnes l’ont battu copieusement avec une barre de fer. Il a failli perdre la vue.

C’est cette situation qui m’a tellement révolté et m’a encouragé à partir. Mais ce ne fut pas facile non plus. On m’a retenu en garde à vue pendant 3 semaines à la police, parce que mon patron a signalé mon absence. Il y a un autre Burkinabè qui a voulu revenir, on l’a arrêté, il y a trois mois qu’il est en prison.

Aviez-vous pensé vivre cette situation ?

Pas du tout. On m’a juste dit que mon travail consisterait à amener les enfants à l’école et en retour, je toucherais 600 000f CFA par mois.

J’étais à la merci de toute la famille et à n’importe quelle heure, on poussait ma porte, sans clé. Ils m’interdisent même de décrocher un appel téléphonique. J’étais contrôlé, comme un esclave.

A combien estimez-vous le nombre de compatriotes qui sont dans cette situation au Koweït ?

Ils sont très nombreux. Mais je n’ai pas un chiffre exact, mais nous avons un groupe d’échanges sur WhatsApp ou nous partageons nos problèmes. Rien que dans le groupe, nous sommes une centaine. Quand on écoute certains problèmes, on a les larmes aux yeux.

Le Burkina Faso a pourtant une représentation diplomatique au Koweït, portez-vous vos préoccupations à l’ambassade ?

Le vrai problème, c’est l’ambassade. Quand on souffre et qu’on va à l’ambassade, on s’attend au moins à être écouté. Quand j’ai eu des problèmes avec mon passeport- au moment de partir- on m’a dit d’aller signaler à l’ambassade. Sur place, on m’a fait savoir que je ne devrais pas abandonner mon travail et que je devrais supporter. Je n’ai même pas eu le temps d’expliquer et on m’a dit de laisser tomber et qu’ils ne sont pas là pour s’occuper de ces problèmes.
Des africains qui n’ont pas de représentation diplomatique au Koweït s’adressent à d’autres ambassades, comme celle de la Centrafrique et ont gain de cause.

Notre ambassade est juste là pour l’enregistrement des Burkinabè et l’argent qui va avec. Pourtant quand on arrive à l’aéroport, c’est le patron qui vient nous accueillir et nous conduit directement dans le désert. Beaucoup de Burkinabè ne savent même pas qu’il y a une ambassade du Burkina au Koweït. Quand on a un problème, elle n’écoute même pas et les agents disent qu’ils ne sont pas à l’origine de notre venue. C’est peut-être vrai, mais on est tous Burkinabè. Peut-être que c’est moi qui ne connait pas le rôle de l’ambassade, mais je pensais que quand un ressortissant a un problème, l’ambassade peut s’impliquer et aider à le résoudre. L’ambassade du Burkina au Koweït ferme les yeux sur les problèmes des Burkinabè.

J’ai pourtant vu des Ethiopiens, des égyptiens, les soudanais, quand ils ont le moindre problème, leur ambassade les aide. Chez nous c’est autre chose.

Quel message avez-vous à l’endroit des jeunes qui sont tentés par une aventure au Koweït ?

Je leur dirai de faire très attention. Il n’y a que des regrets. Ceux qui sont restés là-bas n’ont que ce message. Ils veulent que tous sachent ce qu’il se passe sur place. C’est mieux de se débrouiller ici au Burkina, que d’aller se mettre en retard au Koweït. Nous sommes tous découragés, quand on va à l’aventure pour chercher un mieux-être et que ça se passe ainsi, ce n’est pas facile.

Je connais par exemple un jeune qui a financé son voyage à hauteur de plus de 2 millions. Il était chauffeur de citerne au Burkina. Il n’avait pas moins de 200 000 f par mois. Les démarcheurs lui ont dit qu’au Koweït il pouvait gagner 800 000 f par mois. Il a déchanté une fois au Koweït, il ramasse des sacs vides et aide à les vendre.

Ce sont donc de petits emplois, mais généralement ils sont bergers dans le désert. Quand ils tombent malades, bien que les soins soient gratuits, on ne les amène pas à l’hôpital. Pourtant quand c’est un animal qui est malade, on l’amène directement chez le vétérinaire.

J’ai l’impression que l’ambassade n’a que faire des problèmes des Burkinabè. Je ne peux pas comprendre que les Burkinabè ne trouvent pas une oreille attentive auprès de leur ambassade et soient obligés d’aller s’adresser à d’autres ambassades.

Pensez-vous y repartir ?

Il n’y a pas quelqu’un de normal qui sort de cette situation et qui pense à repartir. Les arabes ne connaissent pas de droits de l’homme. Ailleurs, même si tu ne fais pas fortune, tes droits sont quand même respectés. Au Koweït, on te tue et il n’y a pas de problème.

Entretien realisé par Tiga Cheick Sawadogo (tigacheick@hotmail.fr)
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