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Justice et sécurité : Pourquoi la solution "Koglwéogo" doit être provisoire, pas définitive

Publié le mercredi 4 mai 2016 à 01h24min

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Justice et sécurité : Pourquoi la solution

De l’aveu même des autorités au sommet de l’Etat burkinabè, deux causes principales seraient à l’origine du fait koglwéogo : la faillite de l’Etat qui a des difficultés pour assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire, et le manque de confiance des citoyens en la justice.

Encore qu’il soit nécessaire et urgent de s’interroger sérieusement sur les causes de ces deux causes à leur tour, sans remonter à l’infini ( pourquoi le manque de confiance, et pourquoi les difficultés de l’Etat ?) si l’on veut résoudre les problèmes soulevés par les koglwéogo, laissons ces questions de côté, aux bons soins des autorités dont nous ne doutons pas un instant qu’elles s’en occupent ou s’en occuperont

Arrêtons-nous en revanche sur le problème de fond qui inquiète le citoyen que je suis (j’avoue avoir attribué un sévère 1/10 à la gestion des koglwéogo par le gouvernement actuel, contre un 10/10 pour la liberté d’expression : c’est donc grâce au 10/10 que je peux fustiger le 1/10) : si telles sont les causes principales du fait koglwéogo, la faillite de l’Etat et le manque de confiance en la justice, personne ne peut imaginer et admettre d’autres usage et utilité des koglwéogo que provisoires. Or le gouvernement et l’Etat burkinabè sont au contraire en train d’installer ces "gardiens de la brousse" dans la durée pour les pérenniser...

Où est donc le problème ? Il n’est pas les koglwéogo eux-mêmes. Car si ceux-ci existent, c’est qu’ils méritent d’exister, au regard des causes et raisons mentionnées. Pas plus que leurs dérives ne constituent un problème : pour le dire avec un peu de cynisme, c’est même à ces dérives que les koglwéogo doivent leur efficacité qui les rend si séduisants pour beaucoup et pour l’Etat. Ces dérives, du reste, ne surprennent que ceux qui ont oublié que nos gardiens de la brousse ne sont pas des juges ni des gendarmes ou policiers qui eux-mêmes ne sont pas toujours irréprochables bien qu’ils aient été formés : il suffit de constater les polémiques actuelles autour des procédures judiciaires...

Mais applaudir les koglwéogo au point de les pérenniser et, donc, de les instituer, sous prétexte de les former pour les perfectionner et améliorer, au lieu de commencer par améliorer et perfectionner l’Etat lui-même (comment l’Etat pourra-t-il perfectionner les koglwéogo si lui-même a des failles ??), c’est maintenir pour toujours la faiblesse de l’Etat et s’accommoder du manque de crédibilité de la justice et de ses failles (surtout si l’on ne s’enquiert pas des causes des deux causes désignées dans le diagnostic afin de proposer le ou les remèdes adéquats).

Le problème que ne sont pas les koglwéogo, mais qu’ils soulèvent, est donc le problème de l’Etat burkinabè dans ses prétentions à être un Etat, et à se penser comme tel. Que notre État nous annonce sa faillite et sa démission pour toujours en matière de sécurité et de justice, en sous-traitant ces deux domaines essentiels avec des milices de la brousse, tout en recrutant des fonctionnaires qu’il renumère pour s’occuper de sécurité et de justice, voilà qui ne peut rassurer un citoyen. Car rien, absolument rien ne prouve que dans les localités, même urbaines, où les koglwéogo n’existent, ne servent et ne sévissent pas, la sécurité et la justice soient assurées.

Si l’Etat accueille favorablement les koglwéogo et même les installe dans la durée, au risque de les professionnaliser, et s’il s’en accommode parce qu’il n’a pas les moyens matériels et humains, il sera inévitablement confronté à ce même problème de moyens le jour où, qui sait, ces koglwéogo armés, tellement efficaces et faisant le travail des fonctionnaires à leur place, exigeront salaires et renumérations même symboliques.

Enfin, en creusant encore davantage derrière le fait koglwéogo, le problème qu’il soulève et pose est celui de la faiblesse de nos institutions (justice et sécurité en l’occurrence), faiblesse qui est nourrie et entretenue par une tendance singulière au Burkina : créer pour les institutions des parallèles qui, souvent, finissent par être plus efficaces et plus fortes que les institutions originales et républicaines. C’est le cas avec les koglwéogo vis-à-vis de la justice et de la sécurité ; c’est le cas de l’autorité traditionnelle lorsqu’elle est réduite à la seule autorité du Mogho Naba de Ouaga vis-à-vis de l’autorité républicaine du président du Faso ; c’était exactement le cas du RSP vis-à-vis de l’armée républicaine.

Ce sont les institutions parallèles qui affaiblissent l’Etat, lequel se dote désespérément de béquilles parallèles comme d’autant de remontants pour soulager et atténuer sa faiblesse, mais ce faisant, ne fait que s’affaiblir toujours davantage : c’est le cercle vicieux de l’affaissement / affaiblissement de l’Etat dans la culture du parallélisme. Mais l’on peut aujourd’hui craindre que ce minimum d’Etat ou cet Etat minimal cantonné dans les villes, que révèle le fait koglwéogo, et qui résulte de la faiblesse de l’Etat, ne vienne contredire l’idéologie social-démocrate et socialiste affichée de la majorité politique qui nous gouverne. Car le minimum d’Etat est un principe ultra-libéral, pas social-démocrate et encore moins socialiste

La faiblesse de l’Etat et de certaines de ces institutions n’a donc pas pour seule et unique cause l’existence et la présence de quelque(s) homme(s) dit(s) fort(s), puisque l’on constate que l’homme qui rêvait d’en être n’est plus là, alors que l’Etat continue visiblement de s’affaiblir (en écrivant cela j’espère que les supporters de Blaise Compaoré, pour une fois, esquisseront pour moi une danse du ventre !). Par où je soutiens que l’origine du pathétique affaiblissement / affaissement de l’Etat burkinabè se trouve dans cette parallélisation de la République, dans ce para-républicanisme...

De même que je soutiens fermement ici que les failles juridico-judiciaires que certains dénoncent en ce moment ne viennent pas de nulle part, ex nihilo : elles sont des effets de système ou de structure, précisément d’un système juridique et politique que beaucoup de juristes burkinabè n’ont pas eu le courage de dénoncer et combattre sous Blaise Compaoré ; un système qu’ils ont au contraire conforté par leur silence ou leur soutien plus ou moins affiché.

Sauf à laisser croire que ces failles juridico-judiciaires sont imputables encore et toujours à la révolution de 2014, à la Transition et aux OSC vigilantes (ce serait intellectuellement petit et malhonnête de le soutenir), tous ceux que ces failles révoltent en ce moment devront donc reconnaître les vertus de toute insurrection, y compris intellectuelle, qui consiste à simplement dire non à l’inacceptable en vue d’un changement et d’une amélioration : c’est le seul point commun que je perçois entre les insurgés de 2014 et les procéduriers indignés d’aujourd’hui. Les polémiques et débats actuels sur les procédures judiciaires en cours ne sont pas que juridiques, ils sont aussi politiques et intellectuels. C’est grâce à l’insurrection de 2014 que nous pouvons aujourd’hui voir et dénoncer des failles dans notre système juridico-judiciaire, certainement pas grâce à un baby-sitting intellectuel de l’ancien régime en matière de Droit...

Revenons à nos koglwéogo. S’ils sont une solution aux problèmes de sécurité et de justice, ils ne peuvent être qu’une solution provisoire, le temps pour l’Etat de reprendre le contrôle des choses, jusque dans les campagnes (au passage, faisons remarquer que beaucoup de campagnes non plus n’ont pas de dispensaires, alors que le gouvernement offre gratuitement certains soins, dont le dépistage des cancers de l’utérus et des seins : comment des millions de villageois(es) pourront-ils en bénéficier ?? Verrons-nous un jour des koglwéogo de la santé, en plus de ceux de la sécurité ?)

Remède provisoire, qui peut durer 3 ou 5 ans, voire plus, mais qui doit nécessairement prendre fin (on devrait faire savoir aux koglwéogo qu’un jour l’Etat réoccupera le terrain de la sécurité et de la justice, au lieu de cela l’Etat lui-même les conforte dans leur illusion d’une société humaine sans criminalité ni déviance, sans réaliser que le jour où ils élimineront tous les déviants ni eux-mêmes ni la justice n’auront plus de raison d’être !) ; car ce n’est pas aux koglwéogo de remplacer l’Etat, mais l’Etat qui devra reprendre l’exemple de rigueur des koglwéogo et assurer la sécurité jusque dans les campagnes s’il est un Etat et pas un groupuscule de fonctionnaires citadins uniquement budgétivores.

Solution provisoire, parce que nous sommes toujours dans une période de transition depuis la Révolution d’octobre 2014, mais une transition qui doit prendre fin pour que nous puissions mesurer et dire qu’il y a eu progrès et amélioration depuis la Révolution. Les koglwéogo sont précisément le marqueur et le baromètre de ce progrès et du renforcement de l’Etat, en ce sens : installer partout et pérenniser ces gardiens de la brousse indique clairement que l’Etat a choisi de ne pas avancer d’un pas dans l’amélioration de la sécurité et de la justice, alors même qu’il continue de recruter des fonctionnaires dans ces domaines, et qu’il échoue à faire mieux que des gardiens de la brousse ; remplacer les koglwéogo sera au contraire la preuve que l’Etat est bien là et se porte mieux que par le passé, et qu’à travers ses fonctionnaires il fonctionne. À cet égard, ce sont les dérives et les atrocités commises parfois par les koglwéogo qui, parce qu’elles heurtent toute conscience humaine et civilisée, devraient piquer l’Etat, qui se dit et se veut état de droit, à reprendre les choses en mains dans les meilleurs délais.

Des gardiens de la brousse, koglwéogo, c’est bien, pourvu qu’ils ne nous fassent pas oublier de vivre dans un État moderne à développer et dépaupériser. Mais des gardiens du Faso et de la République, des KOGLBAYIRI, hommes de loi et de sécurité compétents et dévoués, c’est encore mieux, et plus rassurant...

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

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