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Siaka Coulibaly, analyste politique : « Le retour de l’ancienne majorité est intrinsèquement lié à l’échec de la transition »

Publié le vendredi 10 juillet 2015 à 02h52min

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Siaka Coulibaly, analyste politique : « Le retour de l’ancienne majorité est intrinsèquement lié à l’échec de la transition »

La situation politique que traverse le Burkina depuis fin juin, marquée par la crise entre le Premier ministre Zida et le RSP, se caractérise par le flou qu’elle suscite auprès du citoyen lambda. A trois mois de l’échéance, la transition est mise à rude épreuve et de nombreuses interrogations sont faites sur les issues possibles de cette crise et leur impact sur la date des élections du 11 octobre 2015.
Sur cette actualité vive, le Président du Conseil d’administration du Centre de suivi et d’analyse citoyens des politiques publiques (CDCAP), par ailleurs leader de la Coalition citoyenne pour le Suivi de la Transition et des Elections (COSTE), Siaka Coulibaly, que nous avons approché en fin de matinée du mercredi 8 juillet 2015, donne sa lecture sans complaisance de la situation

Lefaso.net : Quelle est votre analyse sur la crise actuelle entre le Premier ministre et le RSP et la position de certains partis politiques de l’ex-CFOP-BF qui disent s’en tenir à la décision de la hiérarchie militaire ?

Siaka Coulibaly : La crise que nous vivons à l’heure actuelle et qui oppose le Premier ministre Zida à son régiment d’origine, le RSP, et même à toute l’Armée maintenant, à mon avis, est une crise majeure qui a miné toute la transition. Dès décembre, les premiers épisodes de la crise ont commencé avec l’irruption du RSP dans le Conseil des ministres et depuis lors, la transition et les Burkinabè sont toujours en haleine de cette affaire. Aujourd’hui, malgré les interventions du Président de la transition, apparemment, la crise n’a pas désamorcé, ne serait-ce qu’en tenant compte des propos du Premier ministre lui-même, à son retour d’Abidjan, il tient à montrer à montrer sa légitimité en mobilisant certaines OSC pour démontrer qu’il a toujours la légitimité et que pour cela il veut rester, il manifeste aussi son intention ferme de ne pas démissionner. De cette façon, si on sait qui est le RSP, force militaire la plus opérationnelle du pays, force militaire qui a imposé Isaac Yacouba Zida à la tête du pays en octobre 2014 ; est-ce qu’il peut résister au RSP ? Ça, c’est la question.
Ensuite, s’il ne peut pas résister au RSP, tout le temps que nous prenons, c’est peut-être du temps perdu ou c’est du temps qui va envenimer la situation socio-politique. Puisque Zida n’est pas à mesure de résister au RSP, à mon avis. Donc, je me demande comment les responsables de la transition réfléchissent pour ne pas trancher dans le vif maintenant. Ceci dit, et en toute objectivité, je ne pense pas qu’il…, même si on a de l’affection pour le Premier ministre Zida, il sera difficile à mon avis qu’il puisse se maintenir, si le RSP maintient sa décision de le voir quitter et de voir quitter tous les militaires du gouvernement, parce que c’est ce mot d’ordre-là qu’ils ont émis. Le Chef d’Etat-major qui a participé à la réunion des chefs d’unité a bien pris acte de la volonté que toute l’Armée entière, de voir les militaires se retirer du gouvernement. Donc, moi je crois que c’est juste une question de jours ; incessamment le Président du Faso sera obligé de se soumettre à la demande du RSP, sinon, on peut voir une crise majeure se déroulée et compromettre la transition. Donc, c’est aussi dans cette perspective qu’il faut analyser les évènements.

Lefaso.net : Il y a un soutien de la part d’OSC à Zida ….

Siaka Coulibaly : Certains veulent y voir une preuve de légitimité. Moi, je considère qu’à l’étape actuelle, cette transition a perdu du soutien de la part des citoyens et des OSC, si on considère le mouvement qui a lieu le 30 octobre et le nombre de personnes qui sont sorties ce jour-là pour mettre fin au régime de Blaise Compaoré. Au fur et à mesure qu’on avançait dans la transition, le nombre de soutiens manifestes diminuait aux autorités de la transition, et cela a été aussi attesté par des sondages qui ont été faits et qui montrent que les Burkinabè sont découragés de la conduite des affaires de l’Etat par les autorités de la transition. Les gens qu’on a vu hier (l’entretien a eu lieu le 8 juillet) accueillir le Premier ministre est sans commune mesure avec le nombre qui est sorti le 28 octobre, estimé par les médias internationaux à un million de personnes (avec des outils scientifiques qu’ils utilisent) et le 30 octobre également. Donc, on peut considérer qu’il n’y a une portion de gens qui continuent à apporter leur soutien au Premier ministre Zida. Si on prend les acteurs institutionnels, je veux parler de l’Armée, mais aussi des partis politiques. Donc, à ces deux niveaux, il y a une opposition à ce que le Premier ministre continue à exercer ses fonctions. Et cela n’est pas fortuit, parce que tous ceux qui réfléchissent à une bonne gestion de l’Etat ne se ruent pas sur le mot d’ordre de dissolution du RSP. Aucun parti politique sérieux ne peut demander la dissolution du RSP, si on sait comment fonctionne l’Etat. L’Etat, c’est la force publique, s’il n’y a pas de force publique, il n’y a pas d’Etat. On prend le cas de l’Etat de Palestine, qui est un Etat proclamé aux Nations-Unies mais qui ne peut pas imposer sa volonté parce qu’il n’a pas d’Armée. Donc, vous ne pouvez pas avoir un Etat sans une Armée, sans une force publique. Donc, les partis politiques ne peuvent pas soutenir la résistance du Premier ministre et de ses partisans qui demandent la dissolution. On peut penser à la réforme du RSP et c’est ce qui se dit le plus souvent dans les milieux où les gens réfléchissent sérieusement. Personne ne nie que le RSP n’a été un problème pour la démocratie, personne ne peut nier cela aujourd’hui. Mais il faut situer les choses dans leur juste proportion ; sanctionner ceux qui ont posé des actes négatifs, réformer les dispositions qui permettaient au RSP d’être une force attentatoire à la démocratie. Ça c’est possible. Il faut rouvrir des réflexions, sur la base du rapport qui a été produit par la commission dirigée par le général Diendéré. On poursuit les réflexions en ajoutant d’autres dimensions démocratiques par exemple. Et, on peut reformer le RSP parce que, je crois qu’aujourd’hui, avec tout ce qui s’est passé, le RSP est lui-même conscient qu’il doit être réformé. Donc, il ne faut pas passionner la question et, de façon inconsidérée, lancer des mots d’ordre qui ne font qu’envenimer la situation politique.

Lefaso.net : Faire partir le Premier ministre maintenant ne serait-il pas compromettre la date des élections du 11 octobre 2015 ?

Siaka Coulibaly : Ceux qui disent cela, c’est ceux qui ne sont pas informés du dispositif qui conduit aux élections. Dans notre pays, les élections sont organisées par la Commission électorale nationale Indépendante (CENI) qui n’a rien à avoir avec le gouvernement. Cette commission (CENI) est à pied d’œuvre pour l’organisation, déjà très avancée. Au moment où nous parlons, il y a une formation des formateurs des membres des bureaux de vote qui se déroule à Splendid Hôtel pour huit jours. Nous avons rendu une visite d’information et de travail au président de la CENI, le 24 juin 2015, qui nous a dit ne pas être inquiets sur la faisabilité des élections. C’est la CENI qui organise les élections, le gouvernement n’ rien à voir. Ensuite, deuxième élément, les partis politiques sont en campagne ; c’est-à-dire qu’ils croient que le 11 octobre c’est la date des compétitions et, ils se sont prononcés également sur la situation en disant que pourvu que le 11 octobre soit maintenue. Le reste… Voilà, ce sont tous ces éléments qui permettent de dire qu’un changement de gouvernement n’influence en rien le processus électoral. De plus, l’Etat burkinabè est tombé le 30 octobre ; vous voyez combien de jours on a mis pour relancer la machine ? Deux, trois jours et c’est reparti. En quoi est-ce qu’un changement de gouvernement peut compromettre la marche de l’Etat ? Je ne vois pas. On dissout le gouvernement aujourd’hui, on nomme un autre Premier ministre le même soir et le lendemain soir le gouvernement est publié et le surlendemain les départements ministériels continuent à travailler. Je ne vois donc pas en quoi cet argument tient dans la situation où nous sommes aujourd’hui.

Lefaso.net : Certains estiment que le ton du discours tenu par le Premier ministre à son retour d’Abidjan n’est pas approprié à la situation ; qu’est-ce que cette intervention de Isaac Yacouba Zida vous laisse comme analyse ?

Siaka Coulibaly : Comme je l’ai dit plus haut, il n’intervient pas de façon à apaiser la crise. Je crois que le RSP a exprimé sa volonté d’y voir les militaires partir. Mais, le RSP a écouté ceux qui essaient d’intervenir, notamment le Président du Faso, peut-être les Ambassades même si elles ne disent rien officiellement, le RSP écoute ça. Je ne crois pas que ce soit le moment de mettre au foudre, en faisant des déclarations incendiaires … Je ne suis pas à la place du Premier ministre mais je pense que ce ne sont pas des propos qui sont de nature à ramener le calme. Même s’il n’est pas Premier ministre, Isaac Yacouba Zida peut très bien jouer des rôles dans le pays ; personne ne lui nie ses civils et politiques. Il ne faut pas prendre la question du gouvernement comme une question de vie ou de mort. Le politicien doit être comme le joueur de cartes ; quand on bat les cartes et on les distribue et que vous regardez les cartes et que vous savez que vous ne pouvez pas gagner ce jeu, et que vous dites, c’est bon vous avez gagné et on rebat les cartes … Ainsi de suite, c’est comme cela que fonctionne le politicien. Peut-être que ne peut pas exiger cela du Premier ministre, comme il n’est pas un politicien professionnel. On l’a juste connu le 31 octobre. Donc, c’est peut-être cela qui explique qu’il commet un certain nombre d’erreurs que je qualifie d’élémentaires dans la conduite des affaires de l’Etat… Ce n’est pas connaître la nature de la politique du Burkina, qui est beaucoup plus complexe que les gens ne le voient. Les quelques partisans qui sortent, en réalité, c’est parce qu’ils n’influencent as grande chose que personne ne s’en occupe d’abord. Ceux qui pèsent vraiment sur la vie politique réfléchissent, mènent des pourparlers, envisagent des solutions, et dans le calme.

Lefaso.net : Des OSC indexent aussi l’ancienne majorité de tirer les ficelles, de connivence avec le RSP, quelle est votre analyse ?

Siaka Coulibaly : C’est une possibilité. Si vous regardez l’échiquier politique national aujourd’hui, la liaison entre les agissements du RSP et une éventuelle restauration du pouvoir déchu, ce n’est pas loin, c’est vrai. Mais, à qui la faute ? Si vous analyser dans le fond, le réveil du CDP, le retour de l’ancienne majorité est intrinsèquement liée à l’échec de la transition, parce qu’elle n’a pas pu mener les actes qu’il fallait. Du coup, la nature a ses règles…. Et, on ne peut pas vouloir aujourd’hui à l’ancienne majorité d’être euphorique comme le revoit dans leurs meetings, d’être confiante dans le fait qu’ils peuvent reprendre le pouvoir. Et ça, c’est parce que la transition n’a pas réussi à impulser les reformes qu’il fallait qui, peut-être, n’exclut pas (parce que je ne suis pas partisan de l’exclusion), mettre en place une politique stable d’abord et équitable pour tous. C’était le rôle de la transition comme cela. Si on fait le bilan aujourd’hui, au niveau de la justice (prenons la justice économique), pas un rond n’a été recouvré par la transition, suite à la gestion du régime passé. Aucun présumé coupable de crimes de sang, en politique, n’a été interpellé. Les partis politiques n’étant pas dissouts, ils sont donc libres de mener leurs activités. Mais, pourtant estime-t-on qu’il faut les exclure de la compétition ? Je crois que ce n’est pas assez cohérent comme politique et ça dénote d’un amateurisme de la part des autorités de la transition et je l’ai dit maintes fois.
Donc, si ce que le RSP exige aujourd’hui, et au plan formel, on ne peut pas faire la liaison entre le RSP et l’ancienne majorité, parce que le RSP ne demande qu’une chose : que les militaires rejoignent les casernes. Ce que les civils démocrates ont exigé également dès le début de la transition. Le 31 octobre, quand il y a eu les contradictions entre le Général Honoré Nabéré Traoré et le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida, par rapport à la paternité du pourvoir, dans le journal de 20 heures, la Télévision Canal 3 m’a interviewé par téléphone, en me posant la question de savoir qu’est-ce que je pense du fait que le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida a supplanté le Général pour prendre les rênes de l’Etat ? J’ai répondu que l’Armée est une institution bien organisée, et que si cela se passe c’est qu’ils ont dû s’entendre à l’intérieur pour cela. Deuxième chose, je disais que je ne comprenais pas pourquoi il y a cette agitation de la part des militaires parce que le type de transition que nous allons avoir, c’est une transition civile. Donc ça ne sert à rien de prendre les rênes pour quelques jours (c’est ce que j’avais dit parce que pour moi, il n’était pas question de voir des militaires encore dans la transition). Aujourd’hui, qu’on exige que Zida retourne dans les casernes, ça met l’eau à mon moulin. Si c’est le RSP qui l’exige (c’est le même RSP qui nous a envoyés Zida), tant mieux ! Moi, je ne peux pas exiger que les militaires ne soient pas impliqués dans la politique et être contre ce que le RSP demande ; il faut être logique. Il y a des gens qui parlent de démilitariser la vie politique et qui veulent que Zida reste au pouvoir, quelle contradiction ?

Lefaso.net : N’est-ce pas une immixtion de la part du RSP dans la politique, en demandant la démission du Premier ministre (est-ce que cela relève de ses compétences) ?

Siaka Coulibaly : Mais c’est déjà fait. Comme je l’ai dit, c’est le RSP qui nous a envoyés Zida par force. Autrement, d’après ce que j’ai recueilli comme explications, le CFOP-BF, ayant été dans l’incapacité en interne de s’entendre sur la façon de diriger les quelques jours de début de la transition, a fait appel au Général Honoré Nabéré Traoré, en tant qu’institution et lui a demandé de prendre ses responsabilités. Pourquoi Zida est-là aujourd’hui, parce qu’à l’intérieur de l’Armée, le RSP est la section la plus opérationnelle, la plus armée, la plus offensive. Donc, le RSP, à partir du moment où on a remis le pouvoir aux militaires, s’est saisi de cette offre politique qui est faite à l’Armée. Et c’est comme que Zida est arrivé. Le reste a été juste une question d’habillage (le fait qu’on ait impliqué le Balai Citoyen à la dernière minute est une façon d’habiller la situation). Mais la réalité est que c’est le RSP qui a imposé Zida. Si on a accepté cela, pourquoi aujourd’hui, on ne veut pas accepter que le même RSP retire les éléments qu’il a avancés ? Ça aussi, c’est un élément de logique que les gens doivent poursuivre. Nous, nous voulons, de toute façon, que l’Armée ne se mêle pas de la politique, et pour nous, le fait de retirer le Premier ministre va dans ce sens. Donc, je ne peux pas être contre la revendication du RSP.

Lefaso.net : Au stade actuel, quel peut-être votre message au regard de la situation ?

Siaka Coulibaly : Je sais que ce sont des mots d’ordre difficiles mais, à mon avis, la dissolution du gouvernement par le Président du Faso, est un acte qui va nous apporter beaucoup plus de sérénité dans le temps qui nous reste, parce que ça va désamorcer la ‘’bombe RSP’’. Puisqu’il demande que les militaires se retirent du gouvernement. Si on le fait, le RSP n’a plus d’arguments pour intervenir dans les affaires politiques de notre pays. Donc, à mon avis, c’est assez évident comme décision à prendre. Maintenant, je ne sais pas quelle raison, quels arguments, le Président du Faso se donne pour, jusqu’à présent, ne pas aller dans ce sens. Du coup, ça nous met dans une situation où personne ne peut être à l’aise pour travailler, les esprits ne sont pas tranquilles, au niveau économique ça mine encore plus une économie que la transition n’a pas su relever. Donc, cette situation est plus mauvaise pour nous qu’une dissolution du gouvernement, à mon avis.
Mais, ceci dit, et en termes de message, c’est de demander aux acteurs de se mettre à la hauteur des responsabilités ; ils n’ont qu’à abandonner les aspects individuels des choses. Je ne peux jouer un rôle que si les évènements me le permettent. Mais ne peut pas dire moi, un tel, j’exige d’être ceci ou que ce soit comme cela. Il s’agit de l’Etat, et l’Etat ce n’est pas une seule personne, ce n’est pas un seul groupe ; c’est tout le monde, même ceux qui n’ont pas voix au chapitre. Donc, ceux qui ont la responsabilité de conduire les affaires de l’Etat doivent tenir compte de l’intérêt supérieur du pays, des générations futures, pour se comporter dans la règle publique et faire des renoncements quand il est nécessaire de le faire.

Entretien réalisé par Oumar L. OUEDRAOGO
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