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Kosyam : La gendarmerie démantèle un réseau de trafic de femmes vers le Liban

Publié le dimanche 11 janvier 2015 à 14h47min

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Kosyam : La gendarmerie démantèle un réseau de trafic de femmes vers le Liban

La compagnie de gendarmerie du Kadiogo a animé, ce samedi 10 janvier 2015 à Ouagadougou, une conférence de presse relative à la découverte d’un trafic de femmes du Burkina Faso vers le Liban. La responsable du trafic, une Burkinabè de 35 ans, Aicha –c’est son nom- a été interpellée et son domicile perquisitionné.

« Suite à une plainte reçue d’un citoyen de Ouagadougou, la brigade ville de gendarmerie de Kossyam a engagé une enquête qui a permis d’aboutir à un résultat ». C’est en ces termes que le Commandant de la compagnie de gendarmerie du Kadiogo, Capitaine Issa Paré, a introduit au cours du point de presse animé ce samedi, l’affaire de trafic de femmes du Burkina Faso vers le Liban. Et le Commandant de la brigade ville de Kossyam, Adjudant-Chef Major Abdoulaye Savadogo, de donner les détails : « Au cours de la semaine passée, nous avons reçu une plainte d’un citoyen qui est venu nous voir pour signifier que sa femme était portée disparue depuis un moment mais qu’il venait finalement d’avoir les informations la concernant et qu’elle se trouverait en tout cas dans un pays. Après avoir enregistré la plainte, nous avons informé Monsieur le Procureur du Faso et nous nous sommes mis à la tâche, ce qui nous a permis effectivement de mettre effectivement la main sur la personne qui a fait partir la femme de son foyer ». Cette personne, auteur du trafic, se nomme Aicha -c’est ainsi qu’elle s’est présentée à la presse-.

Pendant son interpellation, la gendarmerie a effectué une perquisition à son domicile, ce qui a permis de mettre la main sur un important lot de documents concernant les femmes envoyées illégalement au Liban et de découvrir quatre autres femmes en instance de départ pour Beyrouth puisque leurs papiers de voyage étaient au complet. La trafiquante assure que depuis février 2014, date du début de son activité, à son interpellation, elle a fait partir au total 39 femmes au Liban. Mais, au vu de l’importance des documents en sa possession, la gendarmerie pense que ce nombre n’est pas exhaustif. Mais, comment Aicha procède-t-elle pour avoir les femmes et les acheminer ensuite au pays du cèdre ?

L’adjudant-Chef Major Savadogo explique : « Elle est au Burkina mais elle a un partenaire dans le pays en question. Son rôle est de recruter les filles à zéro franc. Si elle arrive à avoir une fille qui est intéressée par l’aventure, elle demande simplement à cette dernière d’apporter son extrait d’acte de naissance, un casier judiciaire, un certificat de nationalité et quatre photos d’identité. Et c’est elle qui se charge de faire le passeport. Une fois le passeport obtenu, elle scanne le passeport qu’elle envoie à son partenaire qui se charge de faire le visa et le lui envoie pour que la fille parte. Quand la fille arrive au Liban, elle est confiée à une famille pour un contrat de trois ans. A l’issue des trois ans, il y a des filles qui reviennent et d’autres, non. Il y en a qui reviennent très malades et finissent par mourir ».

Une question de plus et elle demande à parler à son avocat

Mais, quand l’on a posé la question à Aicha concernant la nature de l’activité qu’elle mène, elle s’est empressée de dire que ce n’est pas une activité mais une aide qu’elle apporte aux dames désireuses d’aller travailler au Liban. « Ce n’est pas une activité. Moi, je vis au Liban. Quand les filles veulent y aller pour travailler dans les maisons, je les mets en contact avec des patrons ». Après les premiers mots arrachés d’Aicha sur la nature de son activité, les journalistes lui adressent une autre question de savoir si elle était permanemment en contact avec les femmes qu’elle envoyait au Liban. Elle tente dans un premier temps de répondre par l’affirmative avant de s’arrêter en posant une doléance. « Est-ce que moi je peux avoir un avocat pour ne pas répondre ? », a-t-elle coupé court. Les journalistes n’étant pas des représentants du parquet, ni des juges, les échanges ne se sont pas poursuivis. Après le bref entretien avec Aicha, c’est une victime du trafic, Habiba Zongo, que les journalistes ont la chance d’avoir comme interlocutrice.

Très loquace, elle va livrer en quelques minutes son témoignage, embarrassant quelque peu les gendarmes qui entendent poursuivre leur enquête : « Elle est venue nous dire qu’elle a un boulot pour nous au Liban. Elle nous a montré le contrat ici, on a une journée de repos tous les dimanches. Arrivée, on a vu que c’était le contraire. Quand on l’appelle, elle nous dit non, c’est comme ça, on est venu pour travailler. Quand on amène le contrat au bureau, on nous dit non, que le contrat n’est pas valable, qu’on est venu pour travailler, soit on travaille, soit on laisse, que c’est comme ça. Aicha nous disait que chaque fin du mois elle allait se promener pour nous rendre visite. Arrivée, on a vu que c’était vraiment le contraire. Même si tu n’arrivais plus à travailler, tu veux retourner dans ton pays, elles disent non, à moins que tu n’appelles tes parents pour qu’on te fasse un billet pour que tu rentres. Soit tu restes pour travailler, soit tes parents paient ton billet pour que tu rentres. Arrivée là-bas, ça devient comme ça ».

Même à son chien, elle ne conseillera pas ça

Pour Habiba Zongo. Ce n’est ni moins, ni plus que de l’esclavage. Et elle s’explique : « C’est de l’esclavage. Tu n’as pas le droit de sortir de la maison. Quand tu te lèves le matin, c’est peut-être à minuit que tu vas dormir, tu vas te réveiller à cinq heures. Tu n’as même pas le temps. Les dimanches, tu ne te reposes pas, c’est le travail ou rien ». Et à l’écouter, elle n’oubliera pas de sitôt sa douloureuse expérience du Liban. « Même à mon chien, je ne conseillerai pas d’aller au Liban. Même si l’avion vient devant ma porte, moi-même je vais sortir pousser l’avion parce que je ne suis pas prête. Même si on va me payer un million, je ne suis pas prête à mettre le pied là-bas ».

Il y a deux ans Habiba Zongo est rentrée de Liban grâce au fils de son patron qui lui a payé par pitié le billet d’avion. Elle assure qu’elle a eu la chance de tomber dans une bonne famille. Car, selon ce qu’elle a entendu, d’autres auraient vécu des situations plus dramatiques : des femmes enceintes à leur départ du Burkina sans le savoir, auraient été obligées d’avorter en terre libanaise pour pouvoir continuer à y travailler ; d’autres auraient été violées par leurs patrons. Toujours selon Habiba Zongo, le salaire des trois premiers mois de chaque femme envoyée au Liban revient à Aicha. Le salaire mensuel est de 100 000 F CFA.

Mais, il n’y a pas que le Liban où des filles ou femmes seraient illégalement envoyées pour travailler. Selon le Capitaine Paré, le trafic se ferait aussi envers d’autres pays comme le Qatar, la Chine ou même l’Europe. Et d’appeler les populations à collaborer avec la gendarmerie pour éclaircir ces situations. Il a souhaité aussi que l’on ne fasse pas d’amalgames en s’en prenant aux communautés vivant au Burkina Faso des pays vers lesquels les femmes sont convoyées car ces pays ne sont peut-être pas au courant de ce qui se passe.

Pour la poursuite de l’enquête sur le cas du trafic de femmes vers le Liban, le Commandant de la Compagnie de gendarmerie du Kadiogo a indiqué que d’autres administrations nationales, notamment le département des Affaires étrangères, y allaient être associées. Aicha, à l’origine du trafic, est née en Côte d’Ivoire, y a grandi avant de venir s’installer au Faso. L’âge de ses victimes est compris entre 18 et 35 ans.

Grégoire B. Bazié
Lefaso.net

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