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Comment élire un candidat crédible disposant d’un projet de société réaliste dans le contexte africain ?

Publié le lundi 29 décembre 2014 à 00h06min

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Comment élire un candidat crédible disposant d’un projet de société réaliste dans le contexte africain ?

Le président français Jacques Chirac disait « la démocratie est un luxe pour l’Afrique… ». Nous étions nombreux à nous indigner face à cette affirmation en son temps. Mais à beau y réfléchir, il convient de se demander s’il est possible de concilier analphabétisme, pauvreté, multiplicité des groupes ethniques et démocratie dans le contexte africain ? La résolution de cette équation complexe revient à nous africains car nous connaissons plus que quiconque notre réalité et les contraintes internes et externes qui jalonnent les processus d’élection surtout présidentielle en Afrique.

Le Burkina Faso vient de prendre un tournant décisif vers une démocratie réelle après cette insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 mais le chemin reste long et truffé d’embuches. En effet, comment s’assurer que ceux qui se sont enrichis de façon illicite sur le dos du peuple ne s’accaparent du pouvoir grâce à leur pouvoir financier dans un contexte de pauvreté généralisé et d’analphabétisme au regard de la faiblesse de la justice ?

En dehors du contexte particulier du Burkina Faso après le long règne du président Blaise Compaoré caractérisé par un laisser aller et une corruption généralisée, même en Occident, le pouvoir financier (le monde des finances) continue d’avoir une nuisance non négligeable sur la qualité de la démocratie. L’élection de l’ancien président italien Silvio Berlusconi et la gestion de son pouvoir constituent un exemple édifiant. Il en est de même dans une moindre mesure pour l’ancien président français Nicolas Sarkozy.

La nuisance du pouvoir financier sur la démocratie ou sur la gestion du pouvoir est encore très grande en Afrique compte tenu de l’analphabétisme, de la pauvreté et surtout du potentiel économique africain (richesse minière et forestière, une population jeune, etc.) très convoité par les grandes firmes internationales ainsi que les grandes puissances étatiques. Tout se passe comme si ces firmes internationales ou les grandes puissances étatiques finançaient leur candidat et attendaient de lui un retour sur investissement une fois élu. En plus de ce tour de passe au niveau international, les populations africaines surtout du Burkina Faso en majorité pauvres et analphabètes sont très vulnérables face au pouvoir financier. Force est de constater que les belles idées de développement mobilisent moins les populations que les espèces sonnantes trébuchantes encore mieux les « feuilles » c’est-à-dire les billets de banque.

Le niveau de richesse d’un candidat et sa largesse sont très déterminants pour mobiliser les électeurs en Afrique. Malheureusement très peu se demande comment ces candidats riches adulés ont accumulé leur richesse ? Dans la plus part du temps ces candidats ce sont enrichis de façon illicite sur le dos des pauvres populations qui les acclament naïvement grâce à la passivité ou la complicité de la justice. Les campagnes politiques sont souvent en Afrique, le théâtre de toute sorte de corruption à travers la distribution de gadgets, de vivres et même de l’argent. Les populations en majorité très pauvres contribuent très peu au financement des partis pire elles attendent de leur parti politique même la prise en charge de leur frais de déplacement pour assister aux réunions et meeting voir pour aller voter.

A la nuisance du pouvoir financier sur la démocratie, il convient d’ajouter celle des divergences régionales et ethniques dans ces jeunes Etats issus de la colonisation où cohabite une multiplicité d’ethnies (comparable à une mosaïque de micro-nations, une soixantaine au Burkina Faso). Les peuples de ces micro-nations sont contraints de vivre ensemble, d’avoir un destin commun malgré leurs différences qui sont souvent exploitées de façon machiavélique par les politiciens sans projet de société digne de ce nom et sans scrupule pour étancher uniquement leur soif du pouvoir.

Ces politiciens sont incapables de constater que l’innovation dans une localité ou une nation vient souvent de l’étranger… Le brassage bien géré des peuples étant ainsi un potentiel de développement important à ne pas négliger dans la politique. L’essor de la Côte d’Ivoire en est un exemple comparé à d’autres pays de l’Afrique disposant du même potentiel économique mais qui ont très peu promu le brassage des peuples. L’histoire nous montre également que la puissance actuelle des Etats Unis d’Amérique réside en partie dans ce brassage des peuples. Je me demande comment ces politiciens peuvent espérer réussir l’Unité Africaine alors qu’ils n’arrivent même pas à gérer les différences ethniques et régionales au sein de leur jeune et petit Etat d’origine.

Dans un tel contexte, il me semble bien que la démocratie apparait comme un luxe en Afrique. Il nous revient de démontrer le contraire grâce à notre ingéniosité. J’estime pour ma part très impérieux de réviser le code électoral pour minimiser l’influence du pouvoir financier sur le processus d’élection des présidents. N’étant pas du domaine, je voudrais jeter pèle mêle quelques idées dans l’espoir que les spécialistes du domaine trouveront des éléments utiles pour doter le Burkina Faso d’un code électoral qui permettra d’élire un candidat crédible disposant d’un projet de société réaliste.
1. Autoriser les candidatures indépendantes : cela se justifie par l’insuffisance de la démocratie au sein des partis politiques limitant ainsi l’émergence de leaders endogènes autres que les fondateurs des partis.
2. Conditionner l’acceptation des candidatures par le dépôt d’un projet de société assorti d’un plan quinquennal chiffré ainsi que les mécanismes de financement dudit plan.
3. Inclure si possible dans les critères de recevabilité de chaque candidature, la qualité du projet de société assorti d’un plan quinquennal et la capacité du candidat à défendre son projet de société. L’évaluation pourrait être conduite par un collège constitué de façon équilibrée par les représentants des institutions habilitées, de la société civile, les responsables religieux et coutumiers.

Les critères d’évaluation du projet de société ainsi que ceux relatifs à l’évaluation de la capacité du candidat à défendre son projet de société doivent être définis à l’avance et connus de tous (à inclure dans le code électoral). Les critères comme (i) lien du projet de société/plan quinquennal avec la devise du pays, (ii) le niveau de prise en compte de l’accès des populations surtout les pauvres aux services sociaux de base, (iii) l’adéquation disponibilité financière et coût des interventions prévues, (iv) la moralité du candidat, (v) la capacité d’expression, (vi) la pertinence des réponses, etc. pourraient être envisagés. Cette phase pourrait être médiatisée pour permettre à la population de s’imprégner d’avance des projets de société en vue pour les élections futures. Le public pourrait également interagir avec les candidats au cours de certaines séquences (TV et NTIC).

Au terme de ces « primaires » pour la sélection des candidats, il parait logique de retenir les candidats qui auront rempli les critères juridiques standards de recevabilité des candidatures et qui auront la moyenne au cours de l’évaluation ci-dessus décrite.
4. Lier la subvention de l’Etat aux candidats retenus à la note reçue à l’évaluation ci-dessus décrite.
5. Limiter le budget des campagnes politiques surtout présidentielles au niveau de chaque candidat (plafond à définir). Ce plafond devrait prendre en compte surtout les frais de reproduction et de diffusion du projet de société dans les différentes localités. Doter également la(ou les) structure(s) chargée(s) de contrôler le respect de cette limitation de moyens nécessaires pour suivre et contrôler les dépenses des partis politiques ou des candidats indépendants.
6. Proscrire les gadgets ou tout cadeau en nature ou financier aux électeurs pendant les campagnes politiques. Donner la possibilité à tout citoyen de dénoncer cela.
7. Obliger ou inciter les candidats à diffuser au maximum leur projet de société par les différents canaux de communication tout en mettant l’accent sur les documents écrits dans les différentes langues. Le plan quinquennal pourrait se décliné par entité territoriale afin de faciliter son appropriation par les populations surtout rurales.
Cette démarche aura l’avantage (i) d’inciter les candidats à s’engager par écrit à travers un projet de société assorti d’un plan quinquennal, (ii) d’assurer une large diffusion des projets de société/plans, (iii) d’obliger les candidats à faire une planification réaliste qui fait surtout défaut en Afrique et (iv) d’améliorer le suivi évaluation des mandats des élus en donnant des repères aux populations à travers des projets de société/plans écrits afin de renforcer la veille citoyenne.

Cette démarche est très nécessaire dans le contexte africain caractérisé une ingérence extérieure importante dans la vie politique, une multiplicité des groupes ethniques (obligés de cohabiter dans de jeunes Etats) avec une population jeune, pauvre et analphabète en majorité. La responsabilité de l’élite intellectuelle est très grande et vivement attendue pour faire de ce processus une sélection objective des meilleurs candidats disposant de projets de société réalistes prenant en compte priorités, les contraintes internes et externes de l’Afrique. J’espère que l’on ne me dira pas que c’est de l’utopie parce qu’on l’a jamais vu ailleurs. Tout commence par un essai quelque part un jour... N’est-il pas là une originalité qui mérite d’être essayée à cette étape particulière où le Burkina Faso cherche difficilement son chemin vers une démocratie réelle ?

Dr SOURA Yorba
Médecin, Economiste de la santé
Consultant indépendant
Actuellement en mission au Bénin
Email : souraba@yahoo.fr
Téléphone : +229 67 48 43 81

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