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Tombe de Thomas Sankara : La famille induite en erreur ?

Publié le vendredi 13 juin 2014 à 00h12min

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Tombe de Thomas Sankara : La famille induite en erreur ?

Le 31 avril 2014, le Tribunal de grande instance de Ouagadougou déclarait son incompétence quant à la demande de la famille Sankara d’exhumé les restes de Thomas Sankara pour qu’elle ait la certitude que c’est bien lui qui s’y repose, après un test ADN. Depuis lors, les avocats de la famille ainsi que tous les activistes du sankarisme, ont crié à un déni de justice. Mais le jugement N° 373 du 30 avril 2014 sur lequel « Complément d’Enquête » a pu jeter un œil fait apparaître clairement que Me Sankara, Me Farama et compagnie ont frappé à la mauvaise porte pour régler cette affaire. Explications.

Que réclamait la famille Sankara ? Par acte d’assignation en date du 15 octobre 2010, la veuve de l’ancien président et ses enfants, Philippe et Auguste, assignaient l’Etat burkinabè devant le Tribunal de grande instance de Ouagadougou pour qu’il ordonne l’identification du corps qui se trouve dans la tombe érigée par le gouvernement au cimetière de Dagnoën et qui est présentée comme étant celle de l’ancien chef de l’Etat. La famille Sankara souhaitait également qu’un expert compétent, habilité à procéder à des missions d’identification par empreintes génétiques soit commis pour effectuer des prélèvements sur la dépouille reposant dans la tombe pour les comparer à l’ADN de ses enfants, afin de prouver que c’est bien lui qui se trouve dans la tombe. Ils souhaitaient que les frais de l’expertise soient supportés par l’Etat burkinabè, de même que les dépens, etc.

La famille se fonde sur une décision du Comité des droits de l’homme des Nations Unies du 5 avril 2006 qui enjoignait l’Etat burkinabè « d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils, consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara, et une indemnisation pour l’angoisse que la famille avait subie. »

Pour faire aboutir leur action, ils s’appuient sur une communication du Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies d’avril 2006 qui enjoint l’Etat burkinabè « d’assurer un recours utile et effectif à Mme Sankara et ses fils consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie ; que dans son mémorandum sur les mesures de mise en œuvre des recommandations du comité, le gouvernement du Burkina Faso a indiqué avoir pris ou compte prendre en compte un certain nombre de mesures ; que précisément, il a indiqué que le gouvernement est prêt à indiquer officiellement à Mariam Sankara et à ses enfants la tombe de Thomas Sankara qui se trouve au sein du cimetière de Dagnoën, au secteur 29 de Ouagadougou… » .

Mariam Sankara et ses enfants reconnaissent également avoir eu l’occasion de se rendre à l’endroit indiqué par le gouvernement comme étant le lieu où est inhumé l’ancien président. Mais pour être sûrs que c’est bien le père de la révolution qui est inhumé dans cette sépulture, ils sollicitent une expertise par la méthode des empreintes génétiques, aux fins de comparer celle du corps à celui d’un ou de deux de ses enfants. Et comme le gouvernement du Burkina Faso se dit disposé à prendre toutes les mesures nécessaires pour donner suite aux recommandations du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU, ajoutent les demandeurs, il faut que ce soit lui qui prenne en charge les frais de l’expertise.

La mort de Thomas Sankara relève du pénal

Il rappelle d’abord les faits. Sur saisine des demandeurs courant année 2003, explique-t-il par la voix de son conseil, le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies a retenu contre l’Etat du Burkina Faso la violation des articles 7 et 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de son protocole facultatif. En avril 2006, le Comité a invité l’Etat burkinabè à assurer un recours utile et effectif à madame Sankara et ses fils, consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara et une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie.

Puis l’Etat Burkinabè plaide immédiatement l’incompétence de la chambre civile du Tribunal de grande instance pour connaitre de l’action. Ses avocats soutiennent que la mort de Thomas Sankara relève du domaine pénal. De ce fait, disent-ils, l’identification du corps par l’expertise et tous les actes qui s’y rapportent relèvent de la juridiction pénale. Selon eux, cette compétence se fonde sur les articles 156 à 158 du code de procédure pénale qui donne au juge d’instruction le pouvoir d’ordonner une expertise d’office ou à la demande du ministre public ou à la demande des parties. « Il s’agit d’une compétence exclusive », relèvent-ils en substance. Et aucune disposition de l’article 21 de la loi 10-93 ADP du 17 mai 1993 portant organisation judiciaire au Burkina Faso qui énonce des attributions de la chambre civile ne mentionne que cette juridiction soit compétente pour ordonner une expertise relevant d’une affaire pénale. Ils font également remarquer que les défendeurs ne citent non plus aucune disposition légale ou jurisprudentielle reconnaissant au juge civil une telle compétence.

Selon les explications d’un juriste, le juge civil aurait été en effet compétent si les demandeurs réclamaient une indemnisation. Or dans cette affaire, il n’en est rien. La chambre civile du TGI, nous a-t-il expliqué, n’est pas qualifiée pour juger l’Etat et lui ordonner tel ou tel chose, sauf lorsqu’il s’agit de dédommagements.

Pour en revenir aux arguments avancés par les avocats de l’Etat, l’action est irrecevable en raison de la nature de la demande et pour autorité de chose jugée. Sur le fondement de la nature de la demande, les avocats de l’Etat avancent que de jurisprudence constante, une mesure d’expertise doit avoir pour objet d’éclairer la lanterne du juge et amener celui-ci à prendre une décision et qu’aux termes de l’article 192 du code de procédure civile, « les faits dont dépend la solution du litige peuvent, en tout état de cause à la demande des parties ou d’office, être objet de toutes mesures d’instruction légalement admissible, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer ».

En somme, lorsque le juge requiert un expert, l’avis de ce dernier doit servir à trancher un litige, c’est-à-dire prendre une décision. Si la famille réclamait une indemnisation par exemple et que pour cela devait obligatoirement passer par une exhumation du corps, le TGI aurait pu trancher. Mais dans le cas présent, il est seulement demandé au juge d’ordonner une expertise sans plus, alors que l’action tendant à solliciter une mesure d’expertise ne saurait valablement constituer une action autonome.

Le comité des Nations Unies satisfait

L’Etat a également fait remarquer qu’après la décision du Comité des Nations Unies, le rapporteur nommé expressément pour suivre la mise en œuvre des décisions du Comité a trouvé satisfaction quant à la mise en œuvre des décisions. « Me Sankara, Me Farama… qui représentent veuve Mariam Sankara et ses enfants, (demandeurs) ne prouvent pas que le Comité des Nations Unies ait recommandé à l’Etat burkinabè de procéder par test ADN à l’identification du corps de Thomas Sankara », assure en substance l’Etat burkinabè. Et il ajoute que c’est parce que le Comité n’a pas accédé à cette demande que les requérants se sont tournés vers le Tribunal de grande instance, alors qu’ils avaient saisi le Comité, juridiction supranationale, en arguant qu’ils avaient épuisé les voies de recours interne. C’est pourquoi, Me Antoinette Sawadogo dont le cabinet défend l’Etat, a souhaité que les demandeurs soient déclarés irrecevables en leur action.

Pour ce qui est de l’argument fondé sur l’autorité de chose jugée, l’avocat de l’Etat fait valoir que suite à une plainte avec constitution de partie civil formulée par les demandeurs le 30 septembre 2002, pour défaut de produire le corps de Thomas Sankara, le juge d’instruction, dans son ordonnance du 03 février 2003, a jugé la plainte sans objet. L’ordonnance du juge d’instruction est donc passée en force de chose jugée. L’avocat de l’Etat ne perçoit donc dans la présente action de la famille Sankara qu’un moyen détourné de la précédente plainte. Pour lui, les « notions de non production de corps » et « identification du corps » ne sont qu’un jeu de mots ayant la même finalité, celui faire échec à l’application de l’autorité de chose jugée.

L’Etat burkinabè plaide en outre la nullité de l’assignation pour défaut d’indication du domicile des demandeurs. Il indique à ce sujet que selon l’article 81 du code de procédure civile, si le requérant est une personne physique, l’acte d’huissier indique que dans le cas d’espèce, l’assignation du 15 octobre 2010 ne mentionne pas le domicile des demandeurs.

L’Etat burkinabè plaide par ailleurs le mal-fondé de la demande, en indiquant que le rapporteur commis au suivi des constatations des recommandations du Comité soumet à une session du Comité son rapport pour validation ou contestation. Et pour ce qui concerne la communication 1159/2003 présentée au Comité au nom de Mariam Sankara et autres, le rapporteur au suivi a soumis au Comité son rapport, lequel a été adopté lors de la 92ème session du Comité tenue du 17 mars au 4 avril 2008. Le rapporteur du Comité a même adressé ses félicitations à l’Etat burkinabè concernant la suite donnée à ces constations le 21 avril 2008. Il a également rappelé à madame Sankara que le recours « utile » recommandé par le Comité à l’Etat burkinabè ne faisait pas expressément mention d’une exhumation, alors que les demandeurs « tendent pourtant d’en faire une interprétation pernicieuse ». « La recommandation du Comité fait expressément état de l’indication du lieu de sépulture et non d’une quelconque expertise », assure le conseil de l’Etat burkinabè, qui note qu’après les recommandations du Comité adoptées en avril 2006, Madame Sankara a volontairement décidé, le 1er octobre 2007, de se rendre sur la tombe de Thomas Sankara pour y déposer une gerbe de fleur et qu’il y a donc lieu de rejeter la demande comme étant mal-fondée. En clair, si Mariam Sankara et fils n’étaient pas satisfaits du travail livré par le rapporteur au Comité, ils pouvaient le contester et le rapport n’allait pas faire l’objet d’adoption lors de la 92ème session.

Emettant des doutes sur les intentions et motivations réelles de Philippe et Auguste, les fils du défunt président qui auraient, déjà, satisfait aux prélèvements biologiques nécessaires à un test ADN, l’Etat demande au tribunal, en se fondant sur les articles 219 et 224 du code de procédure civile, d’ordonner leur comparution personnelle.

Mesure d’instruction in futurum

Selon nos informations, le TGI s’est déclaré incompétent en motivant sa décision en s’appuyant sur l’article 21 de la loi 10-93 ADP du 17 mai 1993 portant organisation judiciaire du Burkina Faso et sur les articles 192, 193 et 194 du Code de procédure civile. Sur sa compétence, le TGI explique qu’aux termes de l’article 21 de la loi 10-93 ADP du 17 mai 1993 portant organisation judiciaire du Burkina Faso la chambre civile a compétence exclusive pour connaitre de manière générale de « toutes les affaires pour lesquelles compétence n’est pas expressément attribuée par la loi à une autre juridiction ». Ce qui, ajoute le juge, « pose une limite à la compétence générale de la chambre civile du tribunal de de Grande Instance, constituée par l’attribution expresse par la loi de la compétence à une autre juridiction dans certaines matières. »

Grosso modo, le juge explique également que, dans ce cas de figure, ce n’est que lorsqu’il est saisi d’un cas de litige que le tribunal peut « ordonner à la demande d’une partie ou des parties, ou d’office, une mesure d’instruction afin de disposer d’éléments suffisants pour statuer. » En d’autres termes, le tribunal n’est pas compétent pour ordonner un test ADN juste pour le principe de le faire dans ce cas d’espèce. Il aurait pu l’être si ce test devait servir à éclairer le juge et l’aider à trancher un litige.

En outre, se fondant sur l’article 194 du Code de procédure civile, les demandeurs ont manifesté leur volonté d’obtenir une mesure d’instruction in futurum. C’est-à-dire une sorte d’expertise préventive, qui ordonne la révélation d’informations susceptibles d’être utilisées dans un procès futur ou, si vous voulez, apporter des preuves au cas où il y aurait un jour un procès. « …En l’étape actuelle, la Chambre civile du tribunal de céans n’est saisie d’aucun litige dont la solution dépendrait de l’expertise demandée », répond en substance le TGI. Mieux, ajoute le juge, « il résulte de manière non équivoque de la lettre de l’article 194 du code de procédure civile que la loi a entendu exclure de la compétence de la Chambre civile du Tribunal de grande Instance l’appréciation d’une demande tendant à obtenir des mesures d’instruction in futurum » …

Et comme l’article 394 du Code de procédure civile indique que « la partie qui succombe » supporte les dépens (frais liés au procès), ce sont les demandeurs, donc Mariam Sankara et fils, qui paieront les frais engendrés par le procès.

Voilà qui est donc clair. Et tout porte à croire que, plus que la recherche de la vérité dans cette affaire, les avocats ont politisé l’affaire. Se sont-ils trompés sciemment de juridiction ? Ou est-ce de l’incompétence ? La question reste posée.

Lazare Douamba

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