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Projet de révision du statut de l’opposition : Abdoul Karim Sango y voit une instrumentalisation de la loi

Publié le lundi 4 novembre 2013 à 02h47min

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Projet de révision du statut de l’opposition : Abdoul Karim Sango y voit une instrumentalisation de la loi

Pour Abdoul Karim Sango, le projet de loi du gouvernement visant une modification du statut de l’opposition annonce la fin du statut de l’opposition. En tout cas, c’est la teneur de son analyse dont voici l’intégralité.

« Requiem pour la loi sur le statut de l’opposition !

Quand finira t-on d’instrumentaliser les lois dans notre cher Burkina Faso ? Tous les étudiants qui débutent leur première année de droit apprennent que les lois ont un caractère impersonnel et général. Autrement dit, une loi ne peut être faite selon la tête du client, un peu comme au marché de Rood Woko « selon qu’on est blanc ou noir, le prix d’une marchandise peut changer ». Hélas c’est à ce jeu malsain que nous invite les gouvernants de la quatrième République avec l’adoption du projet de loi portant modification de la loi sur le statut de l’opposition. Si la modification peut être jugée nécessaire par endroits, on ne peut s’empêcher de noter qu’elle va semer davantage de confusion.

I. Une modification jugée nécessaire par endroits

En effet, le projet de loi qui bientôt sera adopté par les députés vise à semer davantage de confusion au sein de l’opposition et à vider l’institution chef de file de l’opposition de tout son sens. La modification de l’article 4 de la loi sur le statut de l’opposition, si elle peut avoir des mérites par endroits, risque de faire reculer gravement notre système démocratique en panne. En 2009, lors de l’adoption de cette loi, le CGD nous avait demandé de procéder son commentaire. En son temps, nous avions effectivement relevé le caractère inapproprié de la disposition qui oblige chaque parti de l’opposition à faire une déclaration d’affiliation auprès du chef de file de l’opposition, lui-même chef d’un parti politique. Evidemment, cette disposition piège avait été introduite pour diviser l’opposition. Dans un pays comme le nôtre où les égos des hommes politiques sont si hypertrophiés et inversement proportionnels à leur capacité réelle de mobiliser les populations autour d’un projet politique, on pouvait comprendre qu’une telle disposition ferait plus de mal que de bien. En revanche proposer qu’un parti d’opposition fasse une déclaration d’affiliation au Ministre en charge de la police des partis (MATS) nous paraissait juste et fondé, avec obligation pour celui-ci de faire ampliation de la liste des partis de l’opposition au chef de file. De même, la disposition selon laquelle tout militant de l’opposition n’a pas le droit d’occuper une des hautes fonctions de la République relevait purement et simplement d’une aberration juridique et violait par là même le principe d’égalité et de non discrimination dans l’accès aux emplois publics, fussent-ils des emplois à la discrétion du gouvernement. Inutile de rappeler ici que l’accès aux emplois publics dans un Etat de droit démocratique doit se faire en raison des compétences techniques et morales des candidats. Du reste, toute personne accédant à un emploi public de quelque nature que ce soit à une obligation de loyauté au gouvernement en place. Une des faiblesses de notre gouvernance administrative de ces dix dernières années dénoncée dans plusieurs rapports (MAEP, Collège des Sages, Comité national d’éthique…) est relative à la politisation outrancière de notre administration. En décidant d’abroger une telle disposition, on peut dire que le gouvernement fait œuvre utile.

II. Une modification consacrant la confusion des rôles

Mais là où on ne suit plus le gouvernement et on peut se permettre d’affirmer qu’il y a instrumentalisation de la loi, c’est quand le projet de statut de l’opposition vise à permettre qu’un parti se réclamant de l’opposition puisse en même temps être membre d’un gouvernement. Dans un monde aussi ouvert que le nôtre, les yeux du monde nous regardent, nous devons éviter ce type « d’africaneries » ! Sans entrer dans un grand débat juridique, le bon sens recommande qu’on ne puisse à la fois être de la majorité et de l’opposition. Le gouvernement comprend l’ensemble des partis ou regroupement de partis qui soutiennent les politiques mises en œuvre. Cela est d’ailleurs matérialisé dans les parlements des Etats modernes, la majorité occupe une aile tandis que l’opposition va occuper l’autre. L’opposition est constituée de l’ensemble des partis ou regroupements de partis politiques qui s’opposent en critiquant la mise en œuvre des politiques publiques par le gouvernement. Et c’est le rôle de l’opposition que de critiquer en présentant des alternatives à la politique du gouvernement. On ne saurait avoir un gouvernement efficace sans une opposition forte. C’est en cela que la loi sur le statut de l’opposition participe des principes élémentaires de civilité démocratique. On l’a encore vu aux Etats Unis lors de la dernière crise du budget, le président Obama a convoqué le chef de l’opposition et celui de la majorité pour leur demander de sauver l’Amérique en sortant des combines politiques. Nous devons sortir définitivement de la politique du tube digestif comme aimait à le dire mon très regretté grand frère Issa Tiendrebeogo. Vouloir être de l’opposition et être dans un gouvernement relève purement et simplement d’une logique de politique alimentaire. Dans un précédent article et répondant à l’UNDD, nous avions indiqué que les Burkinabè ne veulent plus de cette façon de faire la politique. Tout parti politique qui va dans un gouvernement est de fait exclu de l’opposition. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut plus recouvrir cette qualité. On l’a vu avec l’ADF/RDA même si ce parti n’est pas allé au bout de sa logique. Il est resté membre de la majorité présidentielle. Si aux termes de la loi, une distinction entre partis de l’opposition et ceux de la majorité ne peut plus être faite, le chef de file de l’opposition devrait purement et simplement renoncer à ce statut car vidé de toute substance. L’opinion nationale et internationale appréciera : le pouvoir de la quatrième République veut d’une opposition à sa solde, taillée sur mesure. Nous osons croire qu’en ces temps de confusion généralisée dans notre pays, la sagesse prévaudra pour ne pas sombrer encore une fois dans l’instrumentalisation de la loi. A ce propos un auteur écrivait que le pouvoir d’aujourd’hui doit ménager l’opposition, car il est lui-même l’opposition de demain ».

Abdoul Karim SANGO

Juriste

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