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Les effets pour la cause

Publié le dimanche 20 octobre 2013 à 23h38min

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Les effets pour la cause

Le sommet extraordinaire de l’Union africaine convoqué le 12 octobre pour débattre sur l’opportunité pour les pays africains de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI) au motif qu’elle ne poursuit que des chefs d’Etats africains, continue de susciter moult commentaires sur le continent africain.

Sayouba Traoré, qu’on ne présente plus aux « Fasonautes », s’exprime sur le sujet.

Pour une fois, devons-nous remercier la réunion des grands chefs africains, dite sommet de l’Union Africaine ? Car, en voulant nous faire prendre les effets pour la cause, ils nous disent cadeau ce qu’ils sont. Etat des lieux que leur diatribe contre la CPI ne parvient pas à masquer. Et par leur demande incongrue d’une immunité pour les malfaiteurs, ils nous livrent gratis leurs intentions pour des lendemains qui ne chanteront pas. Toutes choses merveilleusement immorales. Revue d’étape.

Pour l’observateur quelque peu attentif, une réunion des présidents africains ne déçoit jamais. On dirait qu’ils font tout pour nous faire rire. Ne voila-t-il pas que
le dernier sommet de l’Union africaine accuse la Cour pénale internationale de racisme, au prétexte que cette vénérable cour ne fait des misères qu’aux grands chefs au teint bien noir et bien ciré. Pour une fois qu’un privilège est réservé aux Africains ! C’est comme au théâtre. On rit d’abord, puis on réfléchit aux mots des comiques. On commence par se convaincre que des gens aussi sérieux ne peuvent accuser sans preuve. S’ils le disent, c’est donc qu’il y a une raison. En tout cas quelque chose qui pourrait ressembler à un début de preuve.

Que le lecteur se rappelle le sommet de l’OUA d’Alger en juillet 1999. C’est ce sommet qui avait accouché d’une déclaration "condamnant l’usage du coup d’État comme mode d’accession de pouvoir en Afrique". Une fameuse affaire. A cette occasion aussi on avait beaucoup rigolé. Aujourd’hui encore l’effet du gag est garanti. D’ailleurs, tout le monde peut en faire l’expérience. Il faut tenir la photo du sommet d’une main et la déclaration dans l’autre main. Et on découvre avec bonheur que c’est l’Afrique des « généraux, des colonels, des capitaines » qui dénonce les coups d’Etats. Ainsi donc, une réunion de putschistes s’est appliquée à composer une résolution disant que les coups d’Etat, ce n’est vraiment pas bien. Ni gentil, ni convenable. On le voudrait bien, mais on ne peut pas continuer à rire tout le temps. Car après le spectacle vient toujours le temps des questionnements.

Il faut savoir que l’Afrique, c’est vraiment le continent des coups d’Etats. Des chercheurs se sont amusés à recenser "plus de 70 coups en cinquante ans". Il y a même eu des années fastes. "Neuf coups d’Etats ont été effectués ces dix dernières années (en Mauritanie, Niger, Madagascar, Guinée, Togo, Guinée Bissau et Centrafrique), contre 14 au cours des années 1990, 19 dans les années 1980 et 26 dans les années 1970, qui ont constitué « l’âge d’or » des coups d’Etats en Afrique." Et certains pays sont plus chanceux que d’autres. "Le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, a ainsi connu huit coups d’Etat entre 1966 et 1993, dont certains se sont succédé au cours d’une même année… Autre pays important de la région, le Ghana, a enregistré quant à lui cinq coups d’Etat en l’espace de quinze ans (le dernier datant de 1981), autant que les Comores et le Burundi. L’Afrique de l’Ouest est la région du continent ou se concentrent ces changements brutaux, même si certains pays ont en été épargné. Le Burkina-Faso (4 coups d’Etats, entre 1980 et 1987), le Niger (4) ou encore la Guinée Bissau (3)."
Et là, on ne parle des coups d’Etat réussis. On ne parle pas des putschistes velléitaires qui se sont dégonflés dans un silence honteux. On ne parle pas non plus des tentatives qui ont été étouffées en cachette.

Avant, la réunion des grands chefs africains s’appelait OUA. Puis ils ont eu honte de cet "O" qui ressemblait furieusement au "Zéro". On a donc dit UA. Avant, un chef d’Etat venait au sommet en grande tenue d’apparat. Et bien évidemment il arborait les insignes du grade le plus élevé de son armée. Mobutu s’est réveillé un matin et a déclaré qu’il en avait marre de mégoter : il voulait être Maréchal ! Et comme ses soldats étaient compréhensifs, il l’est devenu. Bokassa ne pouvait pas se laisser doubler : il est devenu Empereur. Certains semblent ne s’être jamais rassasiés de défilés militaires, de manifestations guerrières et de décorations rutilantes. Puis un jour, les grands chefs blancs ont décrété que ce genre de bouffonneries n’amusait plus. Pour les francophones, c’est François Mitterrand qui a froncé les sourcils au sommet de La Baule. Chez les anglophones, on fait plus soft. Le Commonwealth sait se faire comprendre sans déclarations tonitruantes.

Aujourd’hui, on fait donc plus discrets dans les palais africains. On devient un putschiste honteux. Mais ça ne veut pas dire qu’on a renoncé aux pouvoirs musclés. Le sang, la sueur et les larmes, mais dans les coulisses. On ne s’affiche plus militaire, sans toutefois devenir totalement civil. Il faut bien garder la haute main sur une soldatesque pouvant, à l’occasion, se montrer remuante. Et puis, ces choses-là se mesurent en termes de forces de frappe. En ces matières hautement sensibles, qui donc peut être mieux renseigné qu’un ancien putschiste ? On devient donc un pouvoir "élu démocratiquement à vie" et vivant sous bonne garde. Du reste, le citoyen sait de façon intuitive qu’il vaut mieux éviter d’aller chatouiller ce genre de démocrate. Surtout, ne pas chercher des problèmes en voulant se mêler de ce qui ne vous regarde pas. Quand bien même on sent que cela vous regarde un peu.

Affabulations ou exagérations de journaliste en mal de copie ? Malheureusement non ! Pensez donc aux élections africaines, et les angoisses qui ponctuent l’attente des résultats du scrutin. Regardez un peu du côté de Conakry ! Soit on s’entre-tue dans la phase préparatoire du scrutin, soit on s’entre-tue le jour de la votation, soit on s’entre-tue à la proclamation des résultats. Parfois, le bonheur est total, les festivités ne connaissant pas de trêve : on s’entre-tue tout du long. L’exercice est facile. Il suffit de regarder la carte du continent. On va plus vite en comptant les rares pays ayant un régime politique passablement acceptable.

Puisqu’il est question de droit, un peu de technique, même si cela peut sembler risqué pour le profane. Nous allons nous contenter d’un extrait des textes régissant cette saisine. Autrement dit, qui peut s’adresser à la CPI, comment, et pour juger qui ?
"En vertu de l’article 13 du Statut de la Cour pénale internationale (CPI), il existe trois modes de saisine de la Cour :
 un Etat Partie défère au Procureur une situation dans laquelle des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis (art. 14) ;
 une même situation est déférée au Procureur par le Conseil de Sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ;
 le Procureur lui-même décide d’ouvrir une enquête sur un tel crime (art. 15).
Des organisations internationales, des individus, des organisations non-gouvernementales ou encore des Etats qui ne seraient pas parties au Statut de la Cour peuvent donc tenter de prendre contact avec le Procureur et essayer de le persuader d’initier une enquête ou des poursuites.
Des quatre premières affaires pendantes devant la CPI, seules les deux premières méthodes de saisine ont été utilisées. L’Ouganda, la République démocratique du Congo (RDC) et la République Centrafricaine (RCA) ont saisi de leur propre chef le Procureur de la CPI conformément à l’article 14 du Statut pour des crimes commis sur leurs territoires. Dans le cas du Soudan, c’est le Conseil de Sécurité qui a déféré l’affaire au Procureur par sa résolution 1593 du 31 mars 2005.
"

Les spécialistes vont certainement s’y retrouver. Pour notre part, nous allons prudemment nous en tenir aux faits. "À ce jour, la Cour a ouvert une procédure d’enquête dans sept cas, tous en Afrique : l’Ouganda, la République démocratique du Congo, la République de Centrafrique, le Darfour (Soudan), la République du Kenya, la Libye et la Côte d’Ivoire. La Cour a mis en accusation seize personnes, dont sept sont en fuite, deux sont décédées (ou supposées telles), quatre sont en détention, et trois se sont présentées volontairement devant la Cour. Une enquête est ouverte sur le Mali."

Voyons maintenant ces situations au cas par cas. C’est l’Etat ivoirien qui a demandé à la CPI d’ouvrir une enquête sur les violences postélectorales, indiquant que les tribunaux ivoiriens ne seraient pas capables d’engager des poursuites contre les responsables au plus haut niveau pour les crimes les plus graves commis dans le pays. Même chose pour la République démocratique du Congo, l’Ouganda, la République centrafricaine, le Mali. Les spécialistes disent que ces situations ont été "référées par des États". Autrement dit, c’est bien un gouvernement africain qui a saisi la CPI. Le Darfour, le Soudan et la Libye ont été référées par le Conseil de sécurité de l’ONU.

On va tenter de résumer. Si un Etat estime qu’il n’a ni les moyens ni les compétences nécessaires pour agir, il peut s’adresser à la CPI. Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont les textes : "La Cour est conçue pour compléter les systèmes judiciaires nationaux : elle ne peut exercer sa compétence que lorsque les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou la compétence pour juger de tels crimes. L’initiative en matière d’enquête et de jugement de ces crimes est donc laissée aux États." Ce que les pays africains ne se sont pas privés de faire. Donc, si on ne s’est pas égaré en chemin, les Etats Africains ont saisi par eux-mêmes la CPI. Puis aujourd’hui, ils se plaignent des poursuites qu’ils ont eux-mêmes déclenchées. De qui se moque-t-on ? Pour ce qui est de la Guinée Equatoriale, on frôle l’absurde. Le lecteur doit savoir que ce pays n’est pas partie à la CPI.

Les choses ne naissent pas sans raison. En tout cas, c’est ce que les maîtres nous ont appris en sciences nat. Pourquoi donc toutes les oppositions africaines réclament-elles une instance autonome comme notre CENI pour conduire les scrutins ? On voit bien que le chef d’orchestre naturel d’une élection, c’est le ministère de l’Intérieur. Mais qui donc serait suffisamment fou pour faire confiance à un gouvernement africain pour obtenir des élections propres ? Pourquoi c’est chez nous que les discours interminables sur la lutte contre la corruption s’égrènent à l’infini ? Des discours jamais suivis d’effet. Personne ne veut montrer son champ avec la main gauche. Nul n’aime entendre dire du mal de sa patrie ; ça n’existe pas ! Mais il y a des moments où l’on doit se montrer réaliste. Cela fait mal à entendre, mais c’est là notre vraie nature aujourd’hui. Voilà pourquoi on nous désigne avec la main gauche. La CPI n’a pas inventé les turpitudes des potentats qui nous gouvernent. Et si les juristes internationaux ont jugé utile de créer une CPI, c’est bien parce qu’il y avait une raison valable. Les journaux sont remplis de nos malheurs. L’image des longues files de gens fuyant leur pays n’est pas une invention. Les camps de réfugiés non plus.

Et puis, il faut que nous soyons cohérents avec nous-mêmes de temps à autre. Dire que la CPI ne poursuit que des Africains, c’est comme l’enfant qui dit à son père en regardant ses petits camarades : "Ce n’est pas moi seul". Sous-entendre, je suis certes fautif et je mérite punition, mais je ne suis pas seul coupable. En quoi le fait de dénoncer les massacreurs d’autres continents exonère-t-il nos massacreurs à nous ? Mettons que la CPI interpelle des présidents européens. Cela suffit-il à rendre nos dirigeants moins coupables ? Dire que les autres sont responsables de nos malheurs est une explication qui prend de moins en moins. Doit-on rappeler que ça fait maintenant 53 ans que nous avons crié à la face du monde notre ferme intention de prendre notre propre destinée en main ? Et que personne ne nous a obligés à inscrire nos Etats dans le cadre de la CPI ? Quand il s’agit de prendre l’argent des blancs, on est prêt à signer n’importe quoi. Et après, on refuse de payer le prix de cette signature ; ça va où, comme ça ?

D’un autre côté, l’actualité sait ménager des télescopages douloureux. Nous sommes un continent dont la jeunesse préfère périr en haute mer sur les chemins incertains de l’exil. Lampedusa souligne cruellement la faillite de la gouvernance en Afrique. Ces jeunes votent avec leurs pieds. Comme pour nous dire : "Vous êtes tellement mauvais que nous refusons de vivre avec vous". Interrogez les anciens qui ont connu la période coloniale ! Cela fait mal à l’âme, mais ils vous diront que "c’était mieux au temps du blanc". Le plus triste, c’est que nos bourreaux entendent poursuivre leur office. Et ils savent se montrer imaginatifs. C’est dans ce sens aussi qu’il faut lire la diatribe contre la CPI.

Sayouba Traoré ; Journaliste , Ecrivain

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