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Lettre ouverte à nous tous : anti-sénat, pro-sénat et personnes neutres

Publié le dimanche 15 septembre 2013 à 23h53min

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Lettre ouverte à nous tous : anti-sénat, pro-sénat et personnes neutres

Depuis la publication, en juillet 2013, de la lettre des évêques du Burkina Faso faisant une analyse de la situation nationale et surtout, donnant leur position sur un certain nombre de questions intéressant la vie de la nation, notamment sur le sénat, nous assistons à des querelles qui, si l’on n’y prend garde, risquent de conduire notre pays dans une dérive redoutable.

Il n’est pas superflu de rappeler que le message publié par les évêques de notre pays était le ixième du genre. Déjà en février 2010, ils avaient déconseillé, à travers un message similaire, la modification de l’article 37 de notre constitution, qui limite actuellement le nombre de mandats présidentiels.

Au titre des réactions consécutives à leur message de juillet 2013, quelques unes méritent que l’on s’y attarde :

1. Pour les uns, les musulmans et les protestants devraient également donner leur position.

Certains même ont cru devoir leur proposer une position à adopter et surtout, celle à éviter absolument, sous-peine d’être considérés comme des « ennemis du peuple ».

En ce qui me concerne, je pense que nous devrons veiller à ne pas nous tromper de combat. Et quand je dis NOUS, je veux parler des ANTI-SENAT (dont je suis un fervent partisan) et des PRO-SENAT. Evitons de surfer sur un sujet « hautement inflammable » comme celui de la religion, surtout que le débat ne se situe pas à ce niveau.

 D’abord, parce qu’il ne doit pas s’agir d’un tour de table obligatoire. Je ne pense pas que les évêques aient agi par opposition aux religions sœurs. Autrement dit, l’on ne doit pas s’attendre à des déclarations en réplique ou en réaction. Si cela devait être le cas, une déclaration spontanée conviendrait mieux, sans qu’il ne soit nécessaire de s’adonner à une quelconque comparaison. Pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas demander aux Bobos de réagir parce que les Peuls ont donné leur position, aux femmes de suivre l’exemple des hommes, ou encore aux personnes âgées de répliquer à une déclaration des plus jeunes ?

 Ensuite, il ne faut pas perdre de vue, le fait ces messages, il est vrai, valent leur pesant d’or, mais sans plus. La preuve en est que dans les deux camps, l’on retrouve des fidèles de toutes les religions. Je n’ai pas eu l’impression que tous les fidèles catholiques se soient érigés en ANTI-SENAT, juste parce que c’est la position de leur clergé. De-même, je ne pense pas que la position clairement affichée en faveur du sénat par les responsables de la communauté musulmane à l’issue de leur rencontre avec le chef de l’Etat ce 14 septembre 2013 puisse faire fléchir les fidèles musulmans qui grossissent les rangs des manifestations contre cette institution.

Au regard de ce qui précède, je prie les uns et les autres, de faire preuve de retenue, pour ne pas verser dans l’extrémisme et l’intolérance.

2. Pour les autres, les évêques, pas plus que les leaders des autres confessions religieuses, ne devraient pas « se mêler de la politique ».

Les défenseurs de cette thèse estiment que les autorités religieuses et coutumières devraient demeurer « neutres » et surtout ne pas « prendre de positions partisanes ».

Mais tenir un tel raisonnement, c’est manquer de se rendre à l’évidence :

 Primo, les religieux et les coutumiers sont des composantes de la société. Et en tant que tels, ils subissent l’environnement politique et ses variations. En ramenant la définition la politique à la gestion de la cité, il peut être admis que tous ceux qui y vivent puisse de temps en temps donner leur avis, ne serait-ce qu’en tant qu’administrés.

 Secundo, ce serait manquer de cohérence, que de faire appel à ces personnes ressources en cas de crise, tout en leur demandant de s’abstenir de donner leur avis en temps de paix, surtout lorsqu’il s’agit de tirer la sonnette d’alarme. A ce sujet, les évêques nous rappelaient dans leur message de février 2010 que « Nous ne devons pas fermer les yeux sur l’histoire récente de notre pays … Les graves soubresauts qui ont mis en danger la paix sociale et qui ont abouti à la mise en place du Collège des Sages … commandent à tous, plus de vigilance et de retenue ». C’est comme demander au médecin qui recommande de dormir sous une moustiquaire afin d’éviter le paludisme, de se contenter de soigner les paludéens. Il y a, dit-on, des silences qui sont plus coupables que certaines actions condamnables.

En conclusion, nous pouvons retenir que s’il est admis que les autorités religieuses sont dans leur droit quand ils interviennent dans la vie de la nation (sans vouloir se substituer aux pouvoirs exécutifs ou législatifs, encore moins au judiciaire), ils ne sont pas et ne devront pas être obligés de le faire.

Quand elles le font dans tel sans ou dans tel autre, ce n’est certainement pas pour être partisans, ou parce qu’elles auraient reçu tels avantages ou telle autre gratification en contrepartie.

Autant, il serait naïf de ne pas comprendre que certains défenseurs du sénat le sont pour des intérêts purement égoïstes ou politiques, il serait à contrario injuste de penser que tous le sont par opportunisme.

Quel aura été le sens de nos combats respectifs s’il doit déboucher sur un autre que nous n’aurons pas choisi pourtant de mener : un conflit interreligieux ? Il n’est pas rare d’observer dans les débats sur les différents forums, des partisans d’un même camp qui s’invectivent mutuellement en raison de dérapages consécutifs à des propos du genre « telle religion me déçois » ou « telle communauté prend telle position parce qu’elle est corrompue ».

Pour terminer, j’aimerais partager avec vous, une anecdote que j’ai vécue : au cours de la marche du 28 juillet 2013 contre le sénat (à laquelle j’ai pris part), j’ai vu une pancarte brandie par un jeune homme et sur laquelle on pouvait lire « BRAVO A LA RELIGION CATHOLIQUE ». Je me suis permis d’attirer l’attention du porteur de cette pancarte (qui tenait en plus un chapelet catholique) sur le fait que son message pouvait être interprété comme un blâme aux religions autres que catholiques, ce qu’il a admis, tout en proclamant sa bonne foi.

Dès le lendemain, un hebdomadaire de la place n’a pas manqué d’en faire la une de son journal, présentant cette image comme la « récompense » des évêques suite à leur message.

Que Dieu continue de bénir et protéger le Burkina Faso.

Ouagadougou, le 14 septembre 2013

Augustin BAMBARA
augustinbambara@gmail.com

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