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Que vient faire Barack Obama en Afrique noire ?

Publié le jeudi 27 juin 2013 à 21h32min

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Que vient faire Barack Obama en Afrique noire ?

C’est un déplacement qui suscite des interrogations. Barack Obama, premier président afro-américain (authentique puisque son père était Kenyan et que sa mère, originaire du Kansas, est blanche) de l’histoire des Etats unis d’Amérique, se rend en Afrique du Sud, au Sénégal et en Tanzanie. Premier voyage sur le continent depuis le début de son second et dernier mandat (il a été réélu le 6 novembre 2012).

C’est au tout début du premier (2009-2012) qu’il avait tenu à rendre hommage à l’alternance démocratique au Ghana et au pays de son père au Kenya. Depuis, l’Afrique n’a pas été une préoccupation majeure de l’administration US. Pas même au temps des « printemps arabes » qui ont bouleversé l’Afrique du Nord. Alors pourquoi cette semaine africaine dans l’agenda présidentiel US ?

Bien des commentateurs veulent y voir une préoccupation de Washington face à l’influence grandissante de la République populaire de Chine sur le continent. On évoque désormais une « Afrique en concurrence » où Chinois, Indiens, Brésiliens… se « tirent la bourre » au détriment des positions acquises autrefois par les Européens et les Américains. C’est oublier que les BRICS, dans une conjoncture internationale détériorée, ont montré leurs limites en Afrique une fois passé le fol enthousiasme des premières années de découverte. C’est oublier que l’Afrique est essentielle à des pays « émergents », parmi les plus peuplés du monde et dévoreurs de ressources minérales, tandis qu’elle ne l’est pas à l’Amérique qui, par ailleurs, s’y impose depuis toujours par ses multinationales, ses produits, ses marques, son mode de vie, ses institutions et organismes de coopération…

On évoque d’ailleurs souvent le fait que les « émergents » n’ont pas, en Afrique noire, les états d’âme « démocratiques » (avec son volet « droits de l’homme ») des « Occidentaux », ce qui faciliterait leur implantation entrepreneuriale. C’est oublier que les pétroliers US sont partout présents dans les pays du golfe de Guinée, y compris les plus « pourris » en matière de démocratie et de droits de l’homme.

On peut y voir un voyage symbolique. Sauf qu’une semaine hors de l’Amérique pour des symboles, c’est un peu longuet quand on est le président de la première puissance mondiale. Bien sûr, il y a le déplacement au Sénégal et, du même coup, à Gorée, pôle d’embarquement pour les esclaves à destination des Amériques. Bien sûr, il y a l’Afrique du Sud, le pays de Nelson Mandela. Quant à la Tanzanie, c’est une destination par défaut : la situation judiciaire de Uhuru Kenyatta à Nairobi interdisant, cette fois, l’escale kenyane. Car au niveau du symbolique, il y a, aussi, l’alternance démocratique érigée en condition nécessaire (mais pas suffisante) pour que le président US mette le pied en Afrique, ce qui limite singulièrement ses déplacements : l’Afrique centrale et australe lui est globalement « interdite », même chose en Afrique de l’Est et en Afrique de l’Ouest il n’y avait le choix qu’entre Dakar et Niamey, Accra ayant déjà été encensé par Obama.

Bien sûr, l’économique et le symbolique ne sont pas absents de ce périple africain, mais il ne faut pas y chercher sa motivation. Qui est, selon moi, d’abord strictement diplomatique. Washington est préoccupé par la situation qui prévaut au Proche et au Moyen-Orient et ses effets collatéraux en Europe et en Afrique. Or, c’est en Afrique que l’on peut mener, sans contrainte et avec le soutien des alliés européens, le combat contre les dérives terroristes.

L’Amérique a été absente du devant de la scène lors des « printemps arabes » de 2011 en Afrique du Nord. Absence remarquée dans la guerre contre Kadhafi. Elle a cependant assuré la logistique et la fourniture d’armes et de munitions aux Européens qui ont assuré l’essentiel des frappes aériennes et des opérations commando sur le terrain. Même chose lors de la guerre au Nord-Mali. Sur la question syrienne, la retenue de Washington est tout autant remarquable. Après les années Bush, père et fils, où les boys pouvaient exhiber leurs muscles, le repli US est significatif. Certes, Obama s’est vu décerner le prix Nobel de la paix, mais ce n’est pas ce qui motive son action. En n’intervenant pas ouvertement dans les conflits du monde arabo-musulman, il garde intacte sa capacité de négociation, même si ces circonvolutions ne sont pas bien perçues par ses alliés (c’est le cas en ce qui concerne l’Afghanistan où Washington négocie avec les Talibans à Doha, capitale du Qatar, ce qui ne manque pas d’offusquer Kaboul).

En débarquant à Dakar, Obama rend hommage à l’alternance qui a permis à Macky Sall de prendre la suite d’Abdoulaye Wade. Mais il se trouve surtout au contact avec un pays qui, sans être sur la ligne de front de la guerre du Nord-Mali, joue un rôle clé dans le conflit : par son port la France achemine ses équipements militaires et dans sa capitale l’armée française a installé son QG. Ne pas être « dedans » tout en y étant, c’est la stratégie d’Obama. Même chose en Tanzanie. Certes, le pays est moins impliqué que le Kenya dans le soutien à la Somalie et dans la lutte contre la piraterie maritime. Mais il ne faut pas oublier que Dar es-Salaam a été, à l’instar de Nairobi, rudement touché par les attaques d’Al Qaida. Là encore, ce n’est pas un pays de la ligne de front, mais c’est un pays fréquentable tout comme le Sénégal, malgré la corruption qui y sévit. L’équation que veut résoudre Washington, c’est lutter contre le terrorisme et la piraterie, deux fléaux majeurs de la « mondialisation », sans s’impliquer militairement dans des conflits régionaux.

Pour Obama, les tensions sur le terrain proche et moyen-oriental sont telles qu’il suffirait d’une étincelle pour provoquer une confrontation généralisée. Pour endiguer ce tsunami, ce n’est pas au Moyen-Orient qu’il faut construire des défenses. Trop visible. C’est en Afrique où aucune zone n’est épargnée : « printemps arabes », « terrorisme islamique », « piraterie maritime »… En choisissant deux pôles éloignés : Dakar et Dar es-Salaam, l’un francophone, l’autre anglophone, pour sa tournée africaine Obama entend rappeler qu’il est l’allié de l’Europe et que c’est par son intermédiaire qu’il veut sauvegarder la paix dans le monde. Une diplomatie « hard » (elle ne s’interdit plus de discuter avec tout le monde) alliée à une défense « soft » (qui privilégie l’espionnage électronique d’où « l’affaire Edward Snowden »).

Obama, dans le même temps, veut rappeler que le meilleur rempart contre le terrorisme et la piraterie reste la bonne gouvernance, la justice, les droits de l’homme, la lutte contre la corruption, valeurs « occidentales ». Il ne pouvait le rappeler que dans des pays qui, en la matière, ont plus de tenue que d’autres ; dans des pays (un Sénégal musulman et une Tanzanie chrétienne) où les idéologies religieuses ne recouvrent pas nécessairement des idéologies politiques (ce qui n’est pas le cas au Proche et au Moyen-Orient). L’Afrique du Sud est enfin l’illustration, dans un moment critique mais particulièrement symbolique, que la négociation peut parfois résoudre, plus que l’affrontement, une situation à priori inextricable : c’est un homme emprisonné pendant des décennies qui a fait tomber l’apartheid.

Obama sera en Afrique du Sud quand la mort du vieux militant sera officiellement annoncée et il pourra s’incliner devant sa dépouille avant les autres chefs d’Etat de la planète. C’est diplomatiquement une belle opportunité. Le premier président afro-américain US, avec sa famille « black », devant le cercueil de celui qui a été opprimé par l’apartheid et l’a pourtant terrassé.

Dans le rapport du National Intelligence Council, officine dépendant de la DNI, la Direction nationale du renseignement US - « Global Trends 2030 : Alternative Worlds », publié le lundi 10 décembre 2012 - le Dr Matthew Burrows expliquait que le leadership mondial n’ira pas au plus fort mais au plus habile, c’est-à-dire celui qui saura mobiliser autour de son action un soutien international. Le nouveau monde sera un monde de réseaux et de coalition dans un espace multipolaire. Nous en sommes là.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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