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Blaise Compaoré - Ou l’art et la manière de gouverner le Burkina Faso

Publié le jeudi 27 novembre 2003 à 17h21min

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"Roi et reine, cavaliers et tours, le fou, bien sûr, et les pions. Tels sont les acteurs sur l’échiquier politique mondial. Enfin presque ! En Afrique, les pions sont souvent absents de la partie.

Les fous sont plus nombreux que les cavaliers. Et les tours sont fragiles. Reste que le roi y est tout-puissant. Si, bien souvent, la reine lui en laisse l’occasion.

"Vision caricaturale, certes. Vision limitée. Mais sûrement avec une parcelle de vérité quelque part. La certitude est que la société politique est sans prise directe sur la société civile. Ce sont deux univers qui s’ignorent. L’affrontement y est donc aussi difficile que le dialogue. Si les uns et les autres jouent la même partie, ce n’est pas sur le même échiquier. Quelques personnalités, bien sûr, émergent du lot. Par l’outrance de leur comportement. Ou un savoir-faire politique qui n’est pas la chose la mieux partagée en Afrique. L’Afrique aime le discours politique. Pas l’action politique. C’est pourquoi la mécanique semble tourner dans le vide.

"C’est pourquoi aussi la personnalité de Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, étonne et détonne. Qui est cet homme-là ? Cet officier venu de "loin" ne cesse de surprendre ses observateurs. Qui ne parviennent pas toujours à bien comprendre son mode de fonctionnement. Mais ne peuvent qu’apprécier à sa juste valeur une habileté politique qui n’est pas apparente et permet au pays, aujourd’hui, d’être passé de l’état d’exception à l’Etat de droit. Et d’avoir su intégrer à l’activité générale du pays une opposition pléthorique au savoir-faire inégal. Le meilleur y côtoie le pire.

"On attend d’un militaire qu’il dirige le pays avec une poigne un peu sèche. On attend d’un révolutionnaire qu’il révolutionne la vie sociale. On attend d’un marxiste-léniniste qu’il organise l’appropriation collective des moyens de production. Blaise Compaoré a sans doute rêvé tout cela. Dans sa tête de jeune officier opposant aux divers régimes qui se sont succédé à la tête du pays.

Et puis, aussi, dans les actes. De la Révolution à la Rectification, la voie choisie par la Haute-Volta pour devenir le Burkina Faso n’a pas manqué de drames, de sang et de larmes. Du pouvoir quasi collégial on était tombé dans le pouvoir quasi personnel. Avec tous les débordements que cela ne devait pas manquer d’impliquer. Et qui n’ont pas eu lieu. Bien au contraire. La révolution ayant dévoré les révolutionnaires, le pouvoir s’est acheté une conduite auprès des institutions de Washington (Banque mondiale et FMI).

Sans doute pas totalement convaincu du bien-fondé social des politiques dites d’ajustement structurel, mais convaincu qu’entre vivre et mourir, il vaut mieux encore vivre. Blaise Compaoré a donc choisi de faire vivre le Burkina Faso sur de nouvelles bases politiques, économiques et sociales. Décision courageuse quand on sait d’où il vient et où il se trouve aujourd’hui. Et comment il est arrivé là. Cheminement d’autant plus étonnant que cet officier a des allures de chef militaire façon "De Gaulle" et un comportement de chef d’Etat qui n’est pas celui d’un homme politique ordinaire.

"Rencontrer Blaise Compaoré au fil des années, c’est s’étonner, chaque fois, de son extrême gentillesse, de son absence de prétention, de cette étonnante capacité à prendre le juste recul par rapport à la fonction.
"Une fonction qu’il exerce sans forfanterie ni protocole inutile. En prise directe avec ses interlocuteurs. Comme quelqu’un qui ne prend pas cela plus au sérieux que ce ne doit être pris. Qui écoute plus qu’il ne parle. Qui sait apprendre encore et n’entend pas imposer son point de vue à n’importe quel prix. Discuter avec lui, c’est s’étonner de cette connaissance qu’il possède de la géographie intime de son pays, de cet intérêt qu’il porte au monde animal.
"Il est sans illusion sur les... illusions de la vie politique. Son détachement apparent est, bien sûr, parfois, un peu inquiétant.

Mais un homme politique se juge aux actes politiques. Sur la durée. Et dans un contexte qui ne manque pas d’être difficile, dans un pays qui pourrait, bien vite, sombrer, à nouveau, dans une dictature militaire, il est parvenu, au fils des mois puis au fil des années, sans que l’on comprenne toujours parfaitement son mode de fonctionnement, à juguler les pires démons de la politique africaine.

"Nous ne travaillons pas assez !". Tel est son leitmotiv. Il ne manque pas, d’ailleurs, de s’inquiéter de toutes les échéances politiques qui restent à venir et qui vont être le prétexte à plus de bavardage que d’action. Il comprend que c’est, aussi, un passage obligé. Une transition qu’il a pour tâche de faire accomplir au pays. En limitant les dégâts. Et quand on juge de l’évolution du Burkina Faso par rapport à la majorité des autres pays de la zone francophone, on ne peut que se dire que ce pays revient de loin. En ayant évité (touchons du bois !) le pire.

"Cet homme cordial et gentil est donc capable, aussi, d’être un homme de barre énergique qui sait imposer à son équipage un nouveau cap pour découvrir d’autres mers et d’autres rivages. Cet homme que l’on pense solitaire et quelque peu isolé sait être un rassembleur et un meneur d’hommes. Cet homme de terrain, qui est aussi manifestement, un homme de lecture, sait donc concilier l’action et la réflexion.
"Cet homme me laisse penser qu’il faut cesser de considérer le Burkina Faso comme un pays enclavé pour lui permettre de s’imposer, dans la sous-région, comme une plaque tournante".

J’ai écrit ce texte au printemps 1992. Il y a près de onze ans. A sa relecture, je ne vois pas une seule ligne à corriger. Ce qui ne veut pas dire que la société burkinabè soit figée. Bien au contraire. Son évolution politique, économique. sociale, culturelle, est notable. Malgré les aléas qui ont marqué la conjoncture : une "démilitarisation" de la classe politique délicate ; l’institutionnalisation de l’Etat de droit ; la dévaluation de 1994, conçue pour l’économie ivoirienne mais imposée à tous ; l’émergence dans la vie politique internationale (sommets Afrique-France et de l’OUA) ; l’affaire Norbert Zongo qui éclate le 13 décembre 1998, moins d’un mois après la réélection de Compaoré à la présidence ; la tension avec la Côte d’Ivoire, etc...

Au cours des quatre dernières années, Blaise Compaoré s’est replié quelque peu sur lui-même. Le contre-coup de l’affaire Zongo. J’ai déjà expliqué ce que j’en pensais. Dès 1999 dans Africa-Golfe Eco (J’écrivais alors : "Marginaliser Blaise Compaoré, c’est faire le jeu de tous ceux qui ont choisi, en Afrique, d’être du côté des tueurs en profitant des espaces non démocratiques qui sont encore nombreux sur le continent") et plus récemment dans La Dépêche Diplomatique. Ces quatre années n’ont pas été inutiles. Compaoré a pu faire le compte de ses amis et de ses... ex-amis. Il les a mises à profit pour poursuivre sa politique de développement des infrastructures et de réduction de la pauvreté.

Les acquis du pays ont été sauvegardés (le Burkina Faso est plus que jamais le pays du débat politique et de la confrontation des idées et aucun pays en Afrique n’a réussi à imposer, sur le long terme, deux manifestations internationales d’envergure à l’instar du SIAO et du Fespaco). II reste à capitaliser les efforts passés afin de rompre définitivement avec cette image d’un Burkina Faso pauvre et fier de l’être. Ce n’est plus vrai.

Alors que de Dakar à Lomé (en passant bien sûr par Abidjan) et de Yaoundé à Brazzaville, les acquis des premières décennies de l’indépendance ne sont plus que des vestiges, Ouaga s’impose comme une capitale qui entend s’ancrer définitivement dans la modernité. Même si beaucoup reste à faire. Mais à Ouaga on s’efforce. effectivement. de "faire" quand ailleurs. trop souvent, on s’occupe à "défaire".

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique (20/02/2003)

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