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Mutineries 2011 : "Certains facteurs explicatifs demeurent" (Thomas Dougherty, ambassadeur des USA)

Publié le mardi 26 juin 2012 à 22h41min

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Le mercredi 13 juin 2012, l’ambassadeur américain, Thomas Dougherty, nous a reçu dans son bureau pour un entretien exclusif. Avec le diplomate du premier bailleur de fonds (bilatéral) du Burkina Faso, le jeu de questions-réponses a tourné d’abord autour des relations entre les deux pays, de la situation du MCA BF, des deux ans avant la fin du contrat non révisable qui le lie au Faso, de la situation dans le Nord-Mali, d’AQMI, d’ANSAR DINE, de Boko Haram... et bien sûr du 236e anniversaire de l’Independance day. Observateur averti de la vie nationale, il a évoqué également les mutineries de 2011 et s’est prononcé sur l’article 37. Entretien avec un ambassadeur qui avoue aimer les Off the record plutôt que les ON.

Comment Monsieur l’Ambassadeur se sent-il au Burkina Faso depuis qu’il y est en fonction ?

T.D. : Je me sens très bien ici. C’est un pays intéressant qui a beaucoup de choses à offrir. J’ai déjà travaillé de par le passé dans d’autres pays africains et je puis vous assurer qu’il y a quelque chose de très particulier au Burkina Faso.

Le peuple burkinabè est travailleur et aspire à la démocratie. Pour un ambassadeur, c’est intéressant aussi de voir tout le progrès qu’accomplit ce peuple. Et pour moi, il s’agit de voir comment épauler le Burkina Faso en attirant des investisseurs américains ici, et de favoriser des échanges commerciaux fructueux avec le Burkina Faso.

Je pense aussi qu’il est important de citer le Millenium challenge corporation (MCC), qui est arrivé à sa vitesse de croisière au Burkina Faso, ainsi que l’Agence international de développement américain (USAID), qui a 50 ans d’existence ; sans oublier le Corps de la paix. Toutes les trois institutions sont très impliquées et sont très productives ici.

Pour toutes ces raisons, c’est un plaisir pour moi de travailler dans ce pays. Vous savez, que ce soit les ambassadeurs, y compris mes prédécesseurs, avec qui j’ai échangé ou tous les autres membres du personnel, tous ont eu une relation spéciale avec le Burkina Faso. Ils quittent toujours ce pays avec des souvenirs forts qui les accompagneront durant le reste de leur carrière.

L’Afrique n’est pas une terre inconnue pour vous, puisque avant de venir servir comme diplomate, vous y aviez effectué de temps en temps des déplacements, lorsque vous officiez à Washington dans la Section des affaires africaines. En quoi consistait exactement votre travail ?

T.D. : Effectivement, puisque déjà en 2008, vous m’avez interviewé à ce sujet. A l’époque, j’étais directeur pour les affaires de l’Afrique de l’Ouest au département d’Etat américain ; ensuite, j’ai assuré l’intérim comme sous- secrétaire d’Etat adjoint pour les affaires africaines en charge des dossiers de l’Afrique de l’Ouest, de la CEDEAO, et des relations économiques qui ont un impact sur le continent.

Toutes ces expériences antérieures m’ont été bénéfiques pour moi et m’ont aidé dans mon poste actuel. J’ai de ce fait eu la chance de voir l’évolution du Burkina Faso de 2008 à 2012. A l’époque déjà, mon prédécesseur, l’ambassadeur Jeanine Jackson, avait beaucoup œuvré pour que le Burkina Faso soit éligible pour le MCC. Vous aurez aussi remarqué qu’à l’époque, l’Ambassade américaine était plus petite, située dans le quartier Koulouba.

En 2008, on venait juste de débuter la construction du nouveau site de notre représentation diplomatique. Depuis ce temps, la taille du personnel de l’ambassade a presque doublé. C’est un signe fort qui montre la qualité des relations entre les deux pays et l’évolution très positive de ce partenariat.

Quel est justement, sans langue de bois, l’état des relations américano-burkinabè ?

T.D. : Les relations entre les USA et le Burkina Faso sont excellentes. Elles le sont parce que les deux pays partagent ensemble un certain nombre de valeurs, à savoir des institutions démocratiques et économiques fortes. Il y a aussi cette volonté d’inciter les citoyens à mieux s’impliquer dans la vie de la Nation, à être davantage acteurs de la vie de la Nation, de respecter les droits de l’homme, et d’œuvrer à sécuriser l’environnement régional, toutes choses qui font que les deux pays ont beaucoup de choses en commun.

Il n’y a donc aucun nuage dans les rapports entre les deux pays ?

T.D. : Honnêtement il n’y a pas de nuages dans nos relations. Il n’y a pas de clash. Maintenant, si vous entendez par nuages l’absence de divergences, ou si vous voulez dire que tout le temps, nous sommes à 100% d’accord avec le Burkina Faso dans tous les domaines, la réponse est évidemment non. Dans toute amitié ou dans toute relation qui implique l’amitié, il y a toujours de petits détails qui divisent dans l’application de certaines choses. Mais nous partageons ici les mêmes valeurs principales, et de ce fait, je puis vous dire qu’il n’y a pas de problèmes dans nos relations.

L’ancien président libérien Charles Taylor vient d’être condamné à 50 ans de réclusion. Dans le dossier libérien, les USA et le Burkina Faso n’ont pas toujours parlé d’une même voix, pour ne pas dire plus. Ce contentieux est-il apuré ?

T.D. : Le verdict du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) à la Haye a été très clair. Le jugement concernait Charles Taylor, pas un autre ; et avec ce procès, on peut aller de l’avant au Liberia. C’est l’opportunité pour le gouvernement et le peuple libériens de se tourner vers le futur, de regarder l’avenir avec sérénité.

Le Liberia aujourd’hui est très différent de ce qu’il était de par le passé, et c’est une occasion aussi pour les institutions sous-régionales, notamment la CEDEAO, de regarder vers le futur pour consolider de tels acquis. Je considère comme clos le jugement de Charles Taylor, et j’estime que le Liberia doit se concentrer sur son avenir.

Aujourd’hui, quel est le volume de l’aide bilatérale et multilatérale que les Etats-Unis d’Amérique apportent au Burkina Faso ?

T.D. : Je vais d’abord citer le MCC qui, sur 5 ans, apportera 481 millions de dollars (plus de 240 milliards de FCFA) au Burkina Faso. Il y a l’USAID qui, en moyenne, apporte plus de 40 millions de dollars (20 milliards de FCFA environ) par an en aide bilatérale. En 2012, d’ailleurs, cette aide a augmenté face à la crise alimentaire et à l’afflux de réfugiés ; on estime ainsi à 65 millions de dollars (environ 32 milliards de FCFA) l’aide de l’USAID injectée au Burkina Faso cette année. En outre, il faut noter l’aide américaine aux organisations bilatérales et multilatérales pour consolider certains domaines et appuyer des dossiers régionaux. Nous considérons que le Burkina Faso est un bon partenaire, et en aidant ce pays dans ses programmes de qualité, nous l’aidons à être plus fort, plus libre et plus prospère.

Le MCA-BF prend fin dans deux ans. Est-ce qu’il y aura une rallonge au cas où des chantiers seraient toujours en rade ?

T.D. : Une des spécificités du Compact, le MCC, est qu’il est limité dans le temps. Il a une durée de vie ! En fait, c’est un contrat non révisable signé entre les USA et le Burkina Faso. Il n’y a aucune possibilité d’extension dans le temps pour accomplir le travail.

Le gouvernement et le peuple burkinabè travaillent d’arrache-pied pour s’assurer que tous les travaux seront réalisés dans le temps qui reste. Il y a un engagement total et complet dans ce sens, c’est-à-dire pour qu’au bout, il y ait la réussite et je l’ai constaté personnellement.

Il y a aussi les différentes réformes décidées par le Burkina Faso pour pouvoir mettre en œuvre certains aspects du Compact. Certaines de ces réformes ont été très difficiles à faire passer. Je demeure optimiste pour l’accomplissement à temps et avec succès du Compact par le Burkina Faso. Il est vrai qu’il n’y a de place ni pour l’erreur ni pour un quelconque retard. Et le gouvernement en est conscient et s’active à la réussite totale du MCC.

Et si d’aventure, il y avait des chantiers inachevés, que deviendraient-ils ? On les laisserait au milieu du gué ?

T.D. : Vous savez, je le répète, je suis optimiste pour le Compact au Burkina Faso. Je pense que ce que vous redoutez ne sera pas un cas de figure au Burkina Faso. Tout pourra être terminé. Cependant, vous avez raison, dans d’autres pays, il y a eu des projets qui n’ont pu être achevés, et le Compact s’est arrêté. Mais au Burkina Faso, j’en suis convaincu, le Compact sera terminé dans les délais.

En 2008, le président du Faso est allé personnellement à Washington signer le Compact. En même temps, ce voyage a tenu lieu de visite officielle à la Maison-Blanche. A quand une autre visite d’Etat chez Barack Obama, compte tenu de l’excellence de nos relations ?

T.D. : J’étais à Washington à l’époque en 2008 lors de la visite du président Blaise Compaoré. Cette visite demeure un point fort du partenariat entre les deux pays.

Sur la crise militaro-institutionnelle au Mali, les USA n’ont pas toujours été sur la même longueur d’onde que la CEDEAO. Pourquoi ?

T.D. : Moi, je dirais plutôt que les Etats-Unis d’Amérique sont sur la même longueur d’onde que la CEDEAO, et ce, depuis le début de la crise. Ce que nous voulons pour le Mali, c’est ce que la CEDEAO œuvre à obtenir pour ce pays, à savoir, en premier lieu, la restauration de la démocratie et un retour à l’ordre constitutionnel. En deuxième point, des élections aussi vite que faisables. Et en troisième lieu, la restauration de l’intégrité territoriale du pays. Je dirais donc qu’il n’y a aucune divergence entre la position des USA et celles de la CEDEAO et de la médiation.

Le 12 juin 2012, à l’ONU, l’Union africaine (UA) et la CEDEAO ont demandé le quitus du Conseil de Sécurité pour intervenir militairement au Nord-Mali. Les USA approuvent-ils cette démarche ?

T.D. : Je crois qu’il y a des concertations qui auront lieu le vendredi 15 (NDLR : soit deux jours après l’interview). Jean Ping, président de la Commission de l’UA, a présenté ses propositions. Sur le spectre assez large des éventualités, je crois que les USA, la CEDEAO et l’UA sont alignés sur la même position.

A l’instar de la France, qui a affirmé qu’elle pourrait fournir la logistique, les USA sont-ils prêts, eux également, à fournir un appui du même genre pour une intervention au Nord-Mali ?

T.D. : Nous sommes d’abord sur des solutions hypothétiques. Nous ne sommes pas encore à ce niveau. Mais les USA ont signifié aux différents interlocuteurs, dont la CEDEAO, qu’ils étaient à l’écoute des différentes propositions et qu’après, ils verront ce qu’ils peuvent faire.

Avec cette situation au Mali et de façon générale, pensez-vous que l’avènement d’un "Africanisthan" est à redouter en Afrique ?

T.D. : Je ne sais pas exactement ce que recouvre ce néologisme "d’Africanisthan". Cependant, nous sommes tous d’accord pour reconnaître la présence de groupes extrémistes en Afrique et dans d’autres coins du monde. Ce sont autant de menaces qu’il faut prendre au sérieux.

AQMI, Boko Haram, Ansar Dine, Shebab... apparemment l’Axe du terrorisme vit sous différentes formes, et l’intégrisme gagne du terrain en Afrique. Les USA, première puissance militaire du monde, peuvent-ils rester sans réagir ?

T.D. : Ce sujet effectivement préoccupe notre esprit. La Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, lors d’une récente conférence tenue à Istanbul (Turquie), a évoqué les différentes menaces que vous avez énumérées et en citant l’Afrique. Nous sommes conscients de ces menaces et nous travaillons en permanence avec nos partenaires à essayer de les contrer à travers le monde.

Spécifiquement en ce qui concerne l’Afrique, nous œuvrons à aider à accroître la capacité des différents pays dans la lutte contre ces menaces. Pour contrer ce terrorisme, nous avons contribué à former des agents de police, de gendarmerie et des militaires dans certains pays, dont le Burkina Faso. Nous essayons de connaître les causes de cette montée de l’intégrisme afin d’y faire face. Il y a par exemple le programme de TS-TAP (Programme transsaharien pour la lutte contre le terrorisme) dont le Burkina Faso fait partie.

Parlons maintenant politique intérieure américaine : en novembre prochain, il y aura une présidentielle. Compte tenu des péripéties qui ont émaillé l’émergence du candidat républicain, Mitt Romney, l’affaire n’est-elle pas déjà pliée pour Barack Obama ?

T.D. : Au regard des médias et des informations diffusées, et même des sondages, on sent que ce scrutin sera très intéressant. Mais il faut rappeler que la campagne n’est pas officiellement lancée, même si certains sont déjà en campagne. Ce qui est intéressant surtout, c’est de savoir que la volonté du peuple américain sera respectée. Il reste encore beaucoup de temps avant ce vote, et il est encore trop tôt pour pronostiquer sur une quelconque victoire. Il est important surtout de savoir que c’est une opportunité offerte au peuple américain de s’exprimer.

La France, elle, vient d’élire un nouveau président, en la personne de François Hollande. Pensez-vous que l’arrivée d’un socialiste en Hexagone va changer la politique du G8 ?

T.D. : Lorsque le G8 se retrouve pour discuter, il discute de sujets sur lesquels tous les pays membres ont une approche commune. Je pense que la dernière réunion du G8, qui s’est tenue à Cap Devil, a montré cet esprit, et la continuité de cette vision commune.

En ce qui concerne le Burkina Faso, ce qui est intéressant, c’est que le G8 a mis l’accent sur deux sujets majeurs : la crise alimentaire et l’agriculture. Le Burkina Faso fait partie d’un certain nombre de pays dits "cibles" dans ce domaine. Je pense que ce partenariat apporte une plus-value au Burkina Faso.

Comment, en tant qu’ambassadeur et observateur de la vie nationale, analysez-vous la crise qui a secoué le Burkina en 2011 ?

T.D. : Quand on considère les événements de l’année dernière, nous devons reconnaître que les Burkinabè et leur gouvernement ont tiré d’importantes leçons de cette crise sérieuse. Certains des facteurs qui l’ont provoquée demeurent. Il faut souligner que les leçons tirées de la crise offrent une opportunité pour les Burkinabè d’aller de l’avant et de s’atteler à résoudre les problèmes à leurs racines. Je pense que le peuple et le gouvernement burkinabè le font déjà.

Excellence, pouvez-vous répondre par oui ou par non en ce qui concerne votre pays à la question suivante : concernant les mutineries de 2011, les USA (et la France) ont-ils incité le gouvernement à mater les mutins, notamment à Bobo comme l’affirme une certaine opinion ?

T.D. : Non. C’était une affaire interne au Burkina Faso, et elle a été gérée par le gouvernement burkinabè sans ingérence des Etats-Unis d’Amérique.

Des élections couplées auront lieu en principe le 2 décembre 2012. Votre commentaire sur ce scrutin.

T.D. : Notre vision des élections couplées de décembre prochain est la même que sur celle qui se déroulera aux USA en novembre 2012 pour le choix de notre président. Nous voulons voir ce que vous, Burkinabè, voulez voir, à savoir l’opportunité pour les citoyens de s’exprimer, de prendre part à un processus démocratique. Et que ce scrutin soit juste, paisible équitable et transparent.

Quelle est la position des USA sur l’article 37 de la Constitution burkinabè, relatif au mandat présidentiel ?

T.D. : Si vous me demandez ma position sur l’article en lui-même, je dirai que nous avons dans notre Constitution un article similaire (NDLR : le 22e amendement) et ça marche très bien pour nous. Si vous me demandez maintenant notre position sur sa modification, je pense qu’il est intéressant de noter qu’il y a eu des discussions sur ce sujet l’année dernière (NDLR : CCRP et Assises nationales).

Finalement, après ces discussions, cet article reste en l’état, car il n’y a pas eu de consensus. Donc, le toilettage de l’article 37 n’est plus sur la table. Si ce débat sur la modification de l’article 37 devait de nouveau resurgir, tout changement devrait de manière précise refléter le désir et l’expression du peuple burkinabè pour le futur de son pays.

Le 4 juillet prochain, dans quelques jours, aura lieu la 236e commémoration de l’Independance day. Sous quel signe sera-t-elle placée cette année ?

T.D. : Ici, au Burkina Faso, nous allons le fêter cette année à Ouagadougou. L’année dernière, nous avons tenté une expérience nouvelle, différente, à savoir la délocaliser à Fada N’Gourma (est du pays) et la faire suivre d’une visite dans les 13 régions du Burkina Faso. Ces tournées nous ont permis de discuter avec des milliers de personnes, de mieux appréhender les sujets qui préoccupent les populations. Nous avons pu aussi mesurer l’efficacité de nos différents programmes sur le terrain. Nous allons d’ailleurs poursuivre ces déplacements à l’intérieur du Burkina Faso. Pour 2012, la fête aura lieu dans la capitale burkinabè.

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana


Encadré : Ce que dit le 22e amendement

Adopté par le Congrès en 1947 et ratifié par les Etats le 27 février 1951, le 22e amendement stipule que : "Nul ne pourra être élu à la présidence plus de 2 fois, et quiconque aura rempli la fonction de président, ou agi en tant que président, pendant plus de 2 ans d’un mandat pour lequel quelque autre personne était nommée président, ne pourra être élu à la fonction de président plus d’une fois...".

En clair, depuis que George Washington, le premier président, a refusé de se présenter pour une troisième levée, estimant que 2 mandats consécutifs étaient suffisants, tous ses successeurs lui emboîtèrent le pas, sauf Franklin Roosevelt qui resta plus de 3 mandats, à cause de la Grande crise de 1929 et de la seconde guerre mondiale. Chaque mandat est de 4 ans renouvelable 1 fois. En cas de vacance du pouvoir, si le vice-président ou celui qui remplace le président fait moins de 2 ans, il peut exercer deux mandats de suite. Ce son les Républicains qui à l’époque firent campagne pour sont adoption.

Z.D.Z.

L’Observateur Paalga

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