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Prorogation du mandat des députés : "Le Conseil constitutionnel a induit l’Assemblée en erreur" (Pr Augustin Loada)

Publié le vendredi 4 mai 2012 à 01h28min

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Après que le Conseil constitutionnel a rejeté le 26 avril dernier la loi du 22 mars 2012 portant prorogation du mandat des députés, pour non-conformité à la Constitution burkinabè, nous avons approché le Pr Augustin Loada du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD). En tant que constitutionnaliste, il donne sa vision de la situation dans cette interview qu’il nous a accordée hier jeudi 3 mai 2012. Selon lui, "le Conseil constitutionnel a induit le Parlement en erreur" en ce sens qu’il eût fallu, dans l’avis qu’il a rendu le 20 janvier 2012, préciser que la modification est soumise à la condition de disposer de manière générale et non spécifique comme l’ont fait les députés. Ce qu’il n’a pas fait.

Le Conseil constitutionnel a déclaré illégale la loi du 22 mars 2012 portant prorogation du mandat des députés. En tant que constitutionnaliste, quels commentaires en faites-vous ?

Je pense que la décision qui a été rendue par le Conseil constitutionnel peut être appréciée sur le plan juridique et sur le plan politique. Sur le plan juridique, il y a deux problèmes importants que soulève cette décision. Il s’agit d’abord de la question du respect de la procédure de révision : est-ce que le Conseil constitutionnel est compétent pour veiller au respect de la procédure de révision ? La réponse est affirmative parce que c’est la Constitution elle-même qui dit que l’institution est en quelque sorte le gardien du respect de la procédure de révision en matière d’adoption de loi constitutionnelle.

Deuxièmement, est-ce que le Conseil est compétent pour contrôler la constitutionnalité de lois constitutionnelles ?

En d’autres termes, est-ce qu’il est compétent pour se prononcer sur le bien-fondé d’une loi révisant la Constitution ? Sur ce plan, la réponse est malaisée parce que c’est la 1re fois que le Conseil constitutionnel se prononce de manière claire et nette. Si on regarde dans le droit comparé, en France par exemple, ce n’est pas du tout évident, parce que là-bas, le Conseil s’est toujours refusé à se prononcer sur la constitutionnalité de loi constitutionnelle. Autrement dit, en France, le Conseil reconnaît que le pouvoir constituant est souverain et donc, il ne peut pas contrôler les lois de révision constitutionnelle. Ce n’est pourtant pas le cas dans d’autres démocraties occidentales, par exemple en Suisse ou en Italie. Ce n’est pas non plus le cas de certaines démocraties africaines comme le Bénin.

En 2006, la Cour constitutionnelle du Bénin a invalidé une loi votée par le Parlement, à la quasi-unanimité, révisant la Constitution. Elle s’était fondée sur un principe à valeur constitutionnelle, à savoir le consensus pour invalider ladite loi. Pour revenir sur le cas du Burkina Faso, quand vous regardez la Constitution, et principalement la loi organique relative au Conseil constitutionnel qui a été adoptée en 2000, nulle part il n’est écrit que le Conseil est compétent pour contrôler les lois révisant la Constitution, mais il l’a fait, pour la première fois. Et on peut dire qu’il y a jurisprudence qui s’établit en la matière.

Avec cette décision donc, et je pense que c’est l’une des conséquences importantes sur le plan juridique, le Conseil constitutionnel se reconnaît compétent pour contrôler la constitutionnalité de lois constitutionnelles. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi parce que, de mon point de vue, c’est un bouclier, une garantie supplémentaire contre l’instrumentalisation du pouvoir de révision de la Constitution. Encore faudrait-il que cette compétence du Conseil constitutionnel soit sous-tendue par des arguments juridiques solides du point de vue des décisions qui sont rendues. Et par rapport à ce que je disais tout l’heure, on peut quand même faire des critiques de cette décision sur le plan juridique. D’abord, le Conseil a rendu un avis le 20 janvier 2012 fixant les conditions de report des élections législatives.

Pourquoi à ce moment-là, il n’a pas fixé de manière précise les conditions dans lesquelles la loi constitutionnelle pouvait être adoptée pour proroger le mandat des députés ? Il a dit dans cet avis que le mandat des députés élus lors du scrutin du 6 mai 2007 peut être prorogé par une loi constitutionnelle ou par voie référendaire, pour une durée déterminée. Je pense qu’il eût fallu, à ce moment-là, préciser que c’est possible à la condition de disposer de manière générale et non de manière spécifique. Et le Conseil constitutionnel ne l’a pas fait, je pense donc qu’ainsi il a induit le Parlement en erreur, car si les conditions de prorogation du mandat des députés étaient clairement établies, l’Assemblée l’aurait probablement suivi.

La deuxième critique que l’on peut faire, c’est que du point de vue du fond, l’argument du Conseil constitutionnel repose sur ce qu’il appelle des principes généraux de droit. Et apparemment, il ne donne pas la liste de ces principes. En plus, à la lecture, on constate qu’il considère comme principe général de droit le fait que la Constitution doit disposer de manière générale et non de manière spécifique. Pour moi, ça ne relève pas du fond même de la Constitution, mais rien d’autre que de la légistique, c’est-à-dire une manière de formuler la loi constitutionnelle qui est en cause ici ; car nulle part, on peut rattacher ce principe général de droit un texte constitutionnel ou a un texte à valeur constitutionnelle.

Ce principe, de mon point de vue, ne peut pas être considéré comme tel, de sorte que le Conseil soit fondé à écarter cette loi constitutionnelle adoptée par le Parlement. Je considère donc que le Conseil constitutionnel s’est substitué à tort au pouvoir constituant que détient le Parlement, parce qu’on ne peut pas me convaincre, d’un point de vue juridique, que disposer de manière générale dans une Constitution est un principe à valeur constitutionnelle. Et ce, du fait que sur le plan du droit comparé, il y a des exemples qui montrent exactement le contraire. En 1926 en France par exemple, on a constitutionnalisé la Caisse autonome d’amortissement qui est en quelque sorte une banque.

Aux Etats-Unis, le 18e amendement sur la prohibition de la vente d’alcool l’a été aussi ; au Niger, la Constitution de 1999 accordait l’amnistie à tous les auteurs de coups d’Etat qui l’ont précédée ; en Côte d’Ivoire également, les auteurs du putsch qui a renversé Henry Konan Bédié ont été amnistiés. Pour dire donc qu’il y a des dispositions transitoires spécifiques prévues parfois dans les constitutions et qui relèvent de dispositions qui n’ont rien à voir avec l’organisation et le fonctionnement du pouvoir d’Etat ; c’est ce qu’on appelle les cavaliers constitutionnels. De ce point de vue, je pense que le pouvoir constituant est souverain parce que, comme l’a dit Montané de la Roch, n’importe quoi peut faire partie d’une constitution si le pouvoir constituant le veut.

Ce n’est pas une mauvaise chose de contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles, mais encore faudrait-il le faire sur des arguments juridiques solides. Je le répète donc, le pouvoir constituant est souverain sur la question. Si le Conseil constitutionnel avait utilisé des arguments tirés de textes constitutionnels soit antérieurs à la 4e République, soit issus des textes de cette république, soit sur des déclarations universelles en matière de droits fondamentaux par exemple, je pense que son argumentation aurait été plus solide qu’en se fondant sur des principes légistiques ou d’élégance juridiques.

Est-ce qu’à travers ces critiques on peut dire qu’il y a eu incurie au niveau de l’Exécutif ou peut-être du Législatif ?

Non, je pense que le Parlement ne peut pas être mis en cause ici, encore moins l’Exécutif. Je pense plutôt que c’est le Conseil constitutionnel qui pose problème, en ce sens que son argumentation ne me paraît pas du tout convaincante. Dire qu’une Constitution doit être rédigée de manière générale et non de manière spécifique, à mon sens, ce n’est pas un principe à valeur constitutionnelle ; et s’il y a une institution à blâmer ici, c’est bien le Conseil constitutionnel. L’avis juridique qu’il a rendu le 20 janvier 2012 est clair : c’est possible de proroger le mandat des députés par une loi constitutionnelle ou par voie référendaire pour une durée déterminée. Ce que je reproche au Conseil, c’est de n’avoir pas ajouté par exemple qu’à condition que la disposition qui proroge soit générale et non spécifique. Il n’a pas donné cette condition supplémentaire et il reproche au Parlement de ne l’avoir pas respecté.

Concrètement, quelle est la conséquence d’une telle décision sur l’Assemblée nationale ? Sera-t-elle bientôt dans l’illégalité ou quelle solution urgente peut-on trouver ?

Je crois qu’il faut relativiser la portée de cette situation sur le plan politique, car les députés ont en gros un mois pour reformuler la loi. Et en un mois, s’il y a la volonté politique, c’est possible de reprendre le texte et de se conformer aux prescriptions du Conseil constitutionnel. Si les acteurs le veulent donc, on peut ne pas déboucher sur une situation où le Parlement n’existe plus et où le chef de l’Etat gouverne par ordonnance.

Vous le disiez tout de suite, le Conseil constitutionnel a argué du fait que la loi n’était pas de portée générale pour la rejeter. A votre avis, comment aurait-on pu la formuler pour qu’elle soit impersonnelle ?

Une piste possible parmi tant d’autres serait de dire que : Le mandat du Parlement est de 5 ans, mais en cas de circonstances graves ou de nature à empêcher l’organisation d’un scrutin transparent et équitable, le Conseil constitutionnel, saisi par le Parlement ou la CENI, fixe les conditions d’une prorogation comme suit… Mais pour moi, la position du Conseil relève d’une élégance juridique, car il n’y avait pas lieu d’annuler cette loi, pas en se fondant en tout cas uniquement sur cette argumentation qui a été la sienne.

C’est connu, le mandat des conseils municipaux a déjà été prorogé, mais on ne se souvient pas d’une telle opposition constitutionnelle. Les cas ne sont-ils pas similaires ?

Ce n’est pas la même chose parce que le statut des collectivités territoriales est défini par la loi qui est votée par le Parlement, alors que celui des députés est fixé par la Constitution. Je pense donc que ça ne pose pas le même problème ; le législateur est parfaitement compétent pour proroger ou raccourcir le mandat des conseillers municipaux sans problème. En revanche, pour les députés, il faut réviser la Constitution puisque c’est elle qui établit leur mandat.

Propos recueillis par M. Arnaud Ouédraogo

L’Observateur Paalga

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