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Electrification : Batié dans l’obscurité de la surenchère

Publié le jeudi 19 avril 2012 à 02h15min

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Bien que la marche de protestation du 27 février 2012 à Batié soit essentiellement axée sur la revendication du bitumage du tronçon reliant le chef-lieu du Noumbiel à Gaoua, elle a bien pris en otage la Coopérative d’électricité (Coopel). Réclamant à cors et à cris, une fourniture 24h/24 du courant électrique ou un raccordement au réseau de la Sonabel, un dialogue de sourd a plongé la ville dans l’obscurité.

Batié, chef-lieu de la province du Noumbiel, désigne dans la langue du terroir, « la cité de Damar » ou « la terre blanche ». Paradoxalement, une violente manifestation semble l’avoir noircie depuis le lundi 27 février dernier. Le mouvement qui visait à remettre sur la table la vieille doléance de la modernisation de la soixantaine de kilomètres qui sépare cette localité de Gaoua a tourné au vinaigre. Elle a stoppé net l’électrification de cette bourgade de dix mille (10 000) âmes. Sonnant l’arrêt des activités de la Coopérative de l’électricité (Coopel). Les manifestants ont tenu mordicus à obtenir soit du courant électrique en continu 24h sur 24, soit un raccordement au réseau de la Société nationale burkinabè d’électricité (Sonabel). Le bras de fer a engendré la fermerture forcée de l’unité locale de production et de distribution d’électricité. Toute une population se trouve actuellement dans l’expectative.

Malgré les médiations des diverses autorités locales et régionales, les missions de bons offices de l’Union nationale des coopératives d’électricité du Burkina (Uncoopel/B) et du Fonds de développement de l’électrification (FDE), ils ont campé sur leur position. « Quand le problème de Batié s’est posé, l’Union y a dépêché une mission de concert avec le FDE. Nos émissaires ont pris part à l’assemblée générale à l’issue de laquelle des voies et des moyens étaient recherchées pour la mise en œuvre des recommandations. Que les membres de la Coopel locale écrivent à la dernière minute pour signifier que dorénavant, Sonabel ou rien, parce que Batié est un chef-lieu de province, c’est vraiment difficile de comprendre désormais les vrais dessous de leurs revendications », explique Koudougou Gabriel Ilboudo, président de l’Uncoopel. Et depuis le 27 février 2012, l’obscurité s’est douloureusement emparée d’une localité qui a noué avec la lumière depuis 2007.

Un retour en arrière. Car le cas de Batié constitue vraisemblablement un déni de progrès qui vient entraver considérablement les efforts de développement enclenchés avec l’avènement du courant électrique.

Une impatience localement désastreuse

L’envolée de la colère dans le chef-lieu du Noumbiel illustre les difficultés auxquelles sont actuellement confrontées les soixante-sept (67) Coopels sur l’ensemble du territoire national. Les installations opérées sur la base des études de faisabilité initiales ne sont plus en adéquation avec la forte demande. L’adaptation des équipements avec les exigences de l’engouement subit s’avère un vrai casse-tête burkinabè. Cette difficile équation à forte dose d’investissements supplémentaires paraît plus acerbe dans les chefs-lieux de province bénéficiant du programme « Electricité pour tous ». Dans leur hargne d’imposer une augmentation de l’offre, les habitants de Batié se sont violement distingués par deux mouvements (octobre 2011 et février 2012) dont la dernière a entraîné le saccage du domicile du maire, Jean Bosco Somda.

Ils accusent la Coopel locale de mauvaise gestion et en veulent aussi à l’Etat pour ne rien entreprendre pour assurer en permanence de la lumière à une localité qui porte les lambeaux de sa prospérité coloniale : première promotion du Lycée Ouezzin-Coulibaly, la case de Félix Houphouët-Boigny dans le cadre de sa campagne législative, le cimetière français, etc.

Porte-flambeau de cette grogne, la jeunesse refuse toute solution intermédiaire sur cette question précise d’électrification de Batié. Elle donne du fil à retordre au Comité de sages qui tente de trouver un palliatif face à l’urgence et ramener un brin de lumière dans la cité blanche. Les exigences des jeunes sont sans ambages : l’installation d’un groupe électrogène capable d’assurer un approvisionnement régulier et continu en énergie ou le respect strict des tranches d’horaires de fourniture journalière, 8h-14h et 18 h-1 h, fortement bouleversées avec l’introduction des « fâcheux » délestages pour pouvoir faire face à la hausse du nombre des abonnés au nombre de quatre cents (400) environs.

C’est la formule qui a fait déborder le vase et monter le courroux d’un cran. « L’option du tout ou rien qui a été privilégiée au détriment des autres voies alternatives a conduit au pire, Batié se trouve aujourd’hui dans le noir total comme avant. C’est un véritable recul quand on se rappelle le combat qui a été mené pour que cette localité entre dans l’ère du courant électrique », s’offusque un professeur des lycées et collèges. Multidimensionnelles, les revendications se sont focalisées sur la question du courant électrique. De sources bien introduites au ministère de l’Energie, l’on rappelle que tout nouveau projet de raccordement au réseau de la Sonabel nécessiterait un investissement supplémentaire de sept cents (700) millions F CFA dont la mobilisation ne peut se faire dans un bref délai. Les conciliabules avec des responsables d’une mine des environs de Batié pour connecter une partie des abonnés à leur circuit électrique se sont révélés infructueux. Les responsables de ladite mine ont craint de subir un jour la furie de la population en cas de rupture d’approvisionnement.

Batié ne constitue pourtant pas un cas isolé. Le balbutiement apparent de son opération d’éclairage requiert de la patience voire de la sagesse pour permettre à l’Etat et au FDE de mobiliser les ressources financières nécessaires à l’accroissement de l’offre. « La situation de Batié n’est pas une particularité. D’autres chefs-lieux de province tels Ouargaye, Sapouy, Solenzo sont encore sous la coupe des Coopel dont les activités ressemblent à celles des centrales de la Sonabel à leur début. C’est-à-dire moins de 24 heures de fourniture d’électricité par jour. Nous avons à cœur l’établissement de l’équilibre entre l’offre et la demande. Il faut arriver à adapter les équipements dont l’acquisition initiale repose sur des études de faisabilité qui ne sont plus d’actualité. Cela demande des investissements supplémentaires.

La promotion d’une énergie électrique abondante et permanente dans les zones rurales est une ambition de notre Union. Mais hélas ! A l’impossible, nul n’est tenu », se résout Koudougou Gabriel Ilboudo.
Le raccordement au réseau de la Sonabel semble loin d’être une panacée. Suite aux difficultés d’exploitation similaires, Gayéri, chef-lieu de la province de la Komondjari, a été abandonnée par le FDE au profit de la Sonabel. Cela n’a pas permis de changer son régime de fourniture d’électricité. Le recours à la Nationale de l’électricité ne garantit donc pas forcément une disponibilité sans limite du courant électrique. Le chef-lieu de la Komondjari est toujours soumis aux deux tranches de service : 8 h -13 h et 15 h-23 h. A l’inverse, bien qu’évoluant toujours sous la bannière d’une Coopel, Sabou qui a longtemps connu cette formule bénéficie maintenant d’une offre continue dès que le FDE a obtenu des facilités avec l’interconnexion Bobo-Dioulasso-Ouagadougou.

Quelles que soient les alternatives qui seront trouvées pour sortir Batié de l’ornière de l’obscurité, il sied d’œuvrer à cultiver chez ses habitants un esprit citoyen et responsable dans le souci de consolider le processus d’électrification dans cette localité. Parce qu’une grande partie de ses quatre cents (400) abonnés actuels s’est caractérisée comme de très mauvais payeurs en même temps que les services déconcentrés de l’Etat cumulent d’importants arriérés. Cela a creusé un gouffre pour les activités de la Coopel. Elle a étouffé devant l’impossibilité de ses engagements et de tout nouvel investissement. « Nous avons été expressément poussés à bout pour ensuite nous voir demander l’impossible. Face aux impayés, aucune perspective de renforcement des capacités installées et d’expansion du réseau n’étaient envisageables. Même si l’Etat prend le relai, la Sonabel n’acceptera pas d’opérer dans un tel climat incivique », dénonce l’un des douze membres de la Coopérative d’électricité de Batié.

Le souffre d’une revendication mal maîtrisée

Tout en espérant l’aboutissement heureux dans douze (12) semaines de la décision du Conseil des ministres du 21 mars 2012 de doter la Coopel d’un groupe électrogène d’une grande capacité, Batié broie actuellement du noir et sa population regarde impuissante, ses espoirs de développement socio-économique s’évanouir. Tout tourne au ralenti. Les deux bornes fontaines ne fonctionnent plus, augmentant du coup le calvaire des femmes et des possibilités de bonnes études nocturnes ne se présentent plus aux élèves. « Le château d’eau dépendant de la Coopel ne peut plus être exploité. Il est aussi impossible de mener une révision approprié avec les lampes. Nous avons été pris dans notre propre piège.

Nous aurions dû négocier, trouver le juste milieu et veiller à ce que les promesses formulées soient tenues », reconnaît avec amertume un lycéen en classe de terminale, un seau à la main, à la recherche d’un hypothétique point d’eau. A bout de souffle, le Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) multiplie les évacuations, parfois désespérées, vers Gaoua.

A dire vrai, la manifestation du lundi 27 février 2012 a brisé l’élan de développement insufflé à Batié depuis l’installation de la Coopel et l’éclairage de la ville en 2007. A des degrés divers, il n’y a pas un seul habitant qui ne paie pas aujourd’hui un lourd tribut de cette déconvenue. « Nous souffrons beaucoup depuis la fermeture de la Coopel », s’écœure un abonné. Le cauchemar s’est invité dans des revendications jusqu’au-boutistes. Elles ont un impact négatif sur le produit local brut (PLB) et sur les recettes municipales. Les différents aveux donnent le tournis. « Nous avons constaté une baisse de nos recettes du fait que la plupart des activités où nous prélevions habituellement nos taxes étaient liées à l’électricité », indique Yacouba Ouattara, comptable à la mairie.

Largement tributaire du courant électrique, les secrétariats publics ont simplement tous mis la clé sous le paillasson. Les services liés aux petits commerces, la vulcanisation, à la soudure, …, subissent aussi les effets néfastes de l’interruption des interventions de la Coopel. Cela a inhibé toute activité génératrice de revenus se nourrissant de l’énergie électrique. Des aubaines d’employabilité de la jeunesse se sont estompées et ont accru le chômage au sein de cette frange de la population. Batié s’est innocemment administré une amère pilule qui la place dans une posture de développement à reculons. La cité de Damar présente pitoyablement l’image d’une ville sinistrée par la noirceur actuelle des ambitions d’épanouissement de ses habitants.

PB

L’Indépendant

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Vos commentaires

  • Le 19 avril 2012 à 14:48, par b. albert dah En réponse à : Electrification : Batié dans l’obscurité de la surenchère

    enfin ! un journal s’est intéressé à un de ces multiples cris de cœur de l’orteil du pays des hommes intègres. en tant que fils de cette localité que j’aime tant nonobstant les carences sous lesquelles elle croupit "impuissamment", je ne puis m’empêcher de dire ma reconnaissance à l’indépendant qui a su toujours être la voix des "sans-souteneurs-de nuque", dont batié et le peuple qui y vit. j’ai suivi avec intérêt les développements de l’affaire, et de mon exil où je suis, j’ai dû appeler les uns et les autres pour que la situation de justice historique et "développementale" que réclament les jeunes ne dégénère pas en affrontement entre frères, d’autant plus que des dommages injustes et injustifiés ont été causés au maire "jean-bosco somé" et non "somda" comme l’a écrit le journaliste (car batié est habité par des birifor, et la langue locale mentionnée par le journaliste est le birifor au cas où lui et bien des burkinabè ne le sauraient pas ; batié ne signifie pas "cité de da mar", mais a été fondée par da mar et signifierait vraisemblablement "ils n’ont pas honoré les frais" du service rendu ; "ils n’ont pas payé" le service rendu, en birifor "baa ce è" -le "ce" se lit phonétiquement-). après cette parenthèse qui m’a permis d’informer l’une ou l’autre personne ignorante, je me permets de revenir sur le sujet de batié qui mérite un regard bienveillant et intègre de la part des plus hautes autorités du burkina. mais bien avant permettez-moi, avec l’auteur de l’article, de condamner sans détour la manière dont les jeunes ont voulu résoudre la question ; c’est dommage que cette manière de détruire pour se faire entendre soit devenue la norme au pays des hommes intègres. à quoi sert de détruire surtout quand on sait qu’on est dans une zone que j’appelle "orteil" du burkina où le sang arrive difficilement. à quoi sert de détruire, quand on sait que ce bruit de la jeunesse de batié n’est même pas arrivé à gaoua là bas à côté, ni à la rtb qui est la voix la plus écoutée. à quoi sert même de détruire quand on sait que le mal qu’on produit ne retombera que sur soi-même. toutefois, n’est-ce pas là aussi le cri de désespoir et d’impuissance d’une région qui languit après le développement mais ne rencontre que humiliation et illusion tout simplement parce qu’elle n’a pas des hommes politiques qui portent sa voix au concert des discussions nationales sur le développement ? (d’ailleurs, lors d’une année électorale, les grands du cdp dont un dabiré était le président régional en son temps, avaient déclaré aux pauvres batiélais qui réclamaient du bitume pour les désenclaver : "si vous ne votez pas blaise à plus de 80%, vous ne verrez jamais un grain de bitume sur votre voie" ; je vous jure que jusqu’à ma mort, je garderai cela dans mon cœur. car si cela venait de la bouche d’un étranger, nous pourrions l’endurer ; mais de la bouche d’un de la région, qui pouvait être la grand-mère dont batié a besoin pour gagner aussi un peu à manger, cela laisse bouche bée). batié est donc un enfant sans grand-mère ; et chez les birifor, un tel enfant mange difficilement le repas des dernières funérailles. batié ! tu n’as pas de grand-mère, ou du moins tu n’as plus de grand-mère si tu croyais en avoir eu dans ton passé historique. si tu l’avais eue cette grand-mère, elle est décédée ; et après son décès, le lycée ouezzin coulibaly par exemple t’a été retiré pour bobo et certainement bien d’autres choses encore, que moi jeune, je ne saurai connaître. peut-être que si la france et les autorités du faso avaient la possibilité de transporter ailleurs le cimetière colonial dont a parlé le journaliste, ils le feraient ; seulement, ont-ils besoin d’ossements ? non ! ce qui les intéressait, ils te l’ont retiré, batié. alors, batié, es-tu condamnée à te contenter des ossements qu’ils t’ont laissés ? question désespérante mais qui mérite d’être posée pour susciter et le réveil patriotique des batiélais eux-mêmes pour ne pas détruire ce qu’il est difficile d’acquérir, et la bienveillante attention des autorités pour avoir aussi pitié, même des orphelins politiques comme batié (je sais que certaines localités sont dans le même cas). pour finir, je remercie encore l’indépendant ainsi que le fasonet pour l’information qu’ils nous donnent régulièrement. et aussi merci à fasonet de me permettre de partager ce cri de cœur.

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