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“Puisque Blaise Compaoré n’est pas éternel”

Publié le jeudi 24 novembre 2011 à 01h09min

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“...Puisque Blaise Compaoré n’est ni éternel, ni indispensable, qu’entendons-nous honnêtement et véritablement faire de l’avenir et du devenir politique de notre pays, le jour où il ne sera plus là... ?”
C’est la question à laquelle Itèrre Somé appelle à répondre dans cette adresse. Lisez-plutôt.
“Paraphrasons les Britanniques, pour conjurer tout mauvais sort que pourrait attirer ce titre. Disons d’entrée long life Mister President ! Comme tout mortel, Blaise Compaoré n’est pas éternel. Souhaitons-lui néanmoins longue vie. Une vie, dont 24 bonnes années (à l’échelle humaine c’est long, n’est-ce pas ?) ont d’ores et déjà été consacrées à la présidence du Faso. Beaucoup trop, selon les uns. Pas assez, car peut encore servir, d’après les autres.

Sur fond d’arguments multiples et d’arguties constitutionnelles diverses, voilà le sujet de polémique principale qui, depuis déjà belle lurette, anime la classe et la vie politiques au Pays des hommes intègres. Que va faire Blaise Compaoré et que se passera-t-il à la tête de l’Etat au terme, en 2015, du mandat actuel du Président du Faso ?

Partira, partira pas ? Bien malin qui, aujourd’hui, prétend pouvoir répondre à cette obstinante question qui pollue, c’est le moins que l’on puisse dire, l’atmosphère politique nationale. Incertitudes, spéculations, enchères et ébullitions en tous genres et tous azimuts à l’échelle du pays tout entier en ont et continuent d’en découler.

Avant même qu’il ne fut réélu, en novembre 2010, pour son second et dernier mandat en cours sous l’actuelle Constitution, la vie politique au Burkina s’était suspendue au sort et aux velléités de Blaise Compaoré vis-à-vis de la magistrature suprême après 2015. La bataille, depuis, fait rage. « Touches pas à mon article 37 », celui qui limite le mandat présidentiel à 5 ans renouvelable une seule fois, hurlent les uns. En démocratie, le dernier mot revient au peuple souverain, rétorquent avec légitimité et une bonne dose de cynisme les autres.

Tirant profit et courage du climat d’invectives généralisé qui s’est emparé de la scène nationale sur cette épineuse question, on en est venu, chose naguère impensable dans le Faso politique de l’enfant terrible de Ziniaré, jusqu’à voir des « rats » quitter bruyamment le navire présidentiel battant pavillon CDP ; d’autres, moins candides et téméraires, bien qu’en apparence loyaux et restés à l’intérieur du parti, s’évertuant perfidement à pisser dans la marmite familiale chaque fois qu’ils en ont l’occasion.

Sentant venir son heure, à la faveur du vent d’alternance voulue et/ou imposée qui souffle sur la planète politique mondiale, l’opposition quant à elle piaffe littéralement d’impatience. Pour elle, rien à faire, les fruits du jardin du palais de Kosyam sont mûrs pour 2015. Reste à savoir qui aura l’excitant privilège de les cueillir et de s’en gaver. Joli tableau que celui qui se dessine sous ces traits et perspectives de l’avenir politique du pays n’est-ce pas, braves gens et chers concitoyens ?

Au-delà des lustres et oripeaux du pouvoir, qui a dit que la politique est un métier ingrat ? Dans l’atmosphère politique détestable qui règne sous les cieux du Faso autour de l’alternance au pouvoir et au sujet de la succession (le moment viendra bien naturellement un jour) à Blaise Compaoré, les clichés de certaines fins de règne ne peuvent que hanter et terrifier tout esprit épris de paix et de stabilité politique pour notre cher pays.

Les époux Ceausescu s’écroulant sous les rafales expéditives d’un peloton d’exécution en Roumanie. La mort violente, pittoresque et pitoyable du colonel Kadhafi entre les mains vengeresses de combattants insurgés libyens surexcités. En Irak, avec la morgue dont il aura fait montre jusqu’au bout, Saddam Hussein, lui au moins, aura eu la chance et la verve de dire, à la face du monde, tout le mépris et le dédain qu’il avait pour ses bourreaux, avant d’être pendu, tel un vulgaire mouton que l’on égorge sans état d’âme, un jour de Tabaski. Vint, tout à côté de nous, un certain printemps, dont Moubarak, tout nationaliste arabe et puissant Raïs Egyptien qu’il fut, n’a pas fini de payer le prix, humilié et trimbalé en civière qu’il est devant les cours et tribunaux du Caire.

Bref, les exemples sont légion et font froid dans le dos. Est-ce cela la rançon du pouvoir ? Si oui, en contrepartie de quels délices, réels ou imaginaires ? Depuis la nuit des temps, il faut certes toujours quelqu’un pour gouverner la cité. J’ai toujours pensé cependant, naïvement sans doute, que ce doit être une bien harassante tâche. J’observe souvent l’agenda public des dirigeants du monde et je me pose en effet la question de savoir s’ils ne sont pas un petit peu « masos » sur les bords. Les dirigeants africains bien plus encore sûrement que leurs homologues des nations mieux nanties.

Dites-moi, bonnes gens, comment trouve-t-on le sommeil, quand on est à la tête d’un pays dépourvu, peuplé de millions d’hères à nourrir, à éduquer, à soigner et à loger ? Des millions de « pauvres types » qui, de surcroît, n’ont généralement de sport favori et de conviction mieux ancrée dans leurs ventres affamés, dans leurs crânes illettrés, dans leurs chairs meurtries et aigries que d’injurier à longueur de journées et d’instruire, du fin fond de leurs masures, des procès en responsabilité de leurs heurts et malheurs contre ceux qui président à leur « maudite » destinée.

Je le dis comme je le pense. Nos dirigeants africains me font bien souvent davantage pitié qu’envie.

Pour peu que l’on ait l’indulgence de leur prêter la plus petite conscience soit-elle des charges de leurs fonctions à la tête d’Etats aussi démunis et de peuples aux citoyennetés encore en devenir la plupart des cas, les errements dont on se plaît et complaît tant à leur faire grief quant à une stricte observance de certaines règles et modes de gouvernance (démocratiques notamment) tiennent tout à la fois du machiavélisme dictatorial des puissances économiques et politiques dominatrices mondiales et de la sidérante naïveté de cerveaux locaux mal décolonisés et chroniquement complexés.

Là-dessus, le président américain Barack Obama a oublié de rajouter quelque chose à son sermon lors du discours prononcé à Accra. Certes, peut-on lui concéder que l’Afrique a plus besoin d’institutions fortes que d’hommes (entendez dirigeants) forts ou providentiels. Que valent cependant des institutions fortes, sans citoyens consciencieux et sans leadership éclairé pour l’animation du jeu politique ? Sans faire injure aux prétentions ni aux rêves de destinées nationales de qui que ce soit, il suffit de regarder et d’ausculter le nombre et la nature des partis politiques dans nos pays ; d’auditer la valeur intrinsèque et les capacités individuelles réelles aux fonctions des nuées de candidats aux élections présidentielles sur le continent.

Là où, par la prégnance, la corrélation sociologique des systèmes et la qualité des hommes, certains peuples du monde ont été guidés avec lucidité et pu forger avec patience leurs destinées, d’où vient que l’on exige, hic et nunc, à des peuples africains, à peine sortis de siècles et de siècles d’asservissement, de domination et d’exploitation, de se borner à un mode de gouvernance (la démocratie) dont aucune étude sérieuse et valable n’a encore établi l’occurrence absolue et universelle à l’échelle humaine et planétaire ?

Mais là-dessus, trêve de spéculation intellectualiste. Passons, puisque la démocratie passe pour le mode de gouvernance le mieux accompli. Dont acte. Et dans ce système « lumineux », nul n’est d’autant moins indispensable que c’est la lucidité et l’engagement du peuple qui sont censés faire voguer le navire et avancer les choses, plutôt que la clairvoyance supposée ou moins encore la volonté d’un quelconque prince, béni fût-il des dieux ou des mânes.
Puisque donc, par les principes intangibles conjugués du système démocratique et de la mère Nature qui gouverne nos vies, Blaise Compaoré n’est ni indispensable, ni éternel.

Puisque l’homme, au terme de son mandat en cours, aura donné presque 30 ans de sa vie, soit plus de la moitié du temps que peut espérer passer le Burkinabè moyen sur cette terre, à essayer (avec plus ou moins de fortune n’est pas la question) de donner un sens à la marche du Burkina Faso en tant que pays et aux Burkinabè en tant que peuple. Puisque nul n’est inlassable à la tâche, qui sera donc comptable, coupable ou victime de toute cacophonie, préjudiciable à la stabilité et à la paix sociale dans ce pays si, le moment venu, le passage de témoin au sommet de l’Etat ne se faisait de façon intelligente et apaisée ?

Question à deux sous. Que je pose aux combattants teigneux et fratricides, tapis dans les tranchées claniques du CDP. Que je pose aux assoiffés de l’opposition, qui soufflent à toutes bronches sur la moindre étincelle sociale, impatients et fébriles que sont certains de ses ténors de devenir chacun « khalife à la place du khalife ». Question que je pose à la société civile, dont la cagoule chaque jour se fissure un peu plus, laissant apparaître la traîtresse duplicité de certains leaders, intrépides gardiens pourtant supposés du temple démocratique national. Question que je pose à l’ensemble des forces et composantes sociales, dont certaines ont bien failli s’illustrer, il n’y a pas si longtemps de cela, en véritables fossoyeurs d’un ordre établi, qu’ils ont pour rôle et mission régalienne de défendre.

Question que, enfin, je pose avec torpeur et inquiétude, individuellement et collectivement à l’ensemble de mes compatriotes : puisque Blaise Compaoré n’est ni éternel ni indispensable, qu’entendons-nous honnêtement et véritablement faire de l’avenir et du devenir politiques de notre pays, le jour où il ne sera plus là, droit et froid comme un sphinx, exutoire résigné de nos haines et de nos querelles politiques suicidairement « patriecides » ?
De toute évidence, la question transcende le sort individuel d’un homme, derrière l’aura indiscutable de qui (même si tu n’aimes pas Jean Paul, reconnais que sa bière est glacée) politiciens et « politicards » de tous âges, de tous bords et de tous poils distraient le peuple burkinabè et cachent mal des desseins personnels, dont il y a fort à douter que le pays sorte ni plus reluisant ni, a minima, préservé de certains acquis.

Dans un environnement économique où toute probable (et plausible) implosion de la zone Euro laisserait sans aucun doute les pays membres de la zone CFA, dont le nôtre, aux abois et leurs populations à manger plus que jamais du chien enragé (souvenons-nous de la dévaluation) ; dans un monde en plein remodelage, où les rapports d’interdépendance planétaire entre les nations de demain se dessinent à coups de canons et d’armes conventionnelles ou non (menaces d’attaque proférées contre l’Iran) ; quelle que soit la taille et la légitimité de leurs ambitions, les successeurs putatifs, aujourd’hui, demain, en 2015 ou dans cent ans du Président du Faso devraient faire montre d’un peu plus d’humilité, de bonne compréhension de la marche du monde et des choses et surtout, surtout de sens du combat et de la relativité.

Puisque Blaise Compaoré n’est pas éternel, il me semble, dans le contexte mondial sus décrit, que le combat pour l’avenir politique, voire existentiel tout court, du Burkina Faso en tant qu’Etat souverain, fiable et viable (revisitez les livres d’Histoire, messieurs !) mérite meilleure analyse, plus grande lucidité, engagement mieux réfléchi et synergétique des forces vives et des énergies nationales, politiques, économiques, intellectuelles et sociales, que cette ridicule danse gravitationnelle autour du fauteuil présidentiel à laquelle nous assistons depuis tant d’années, sur l’air endiablé et entêté d’un navrant et simpliste « ôtes-toi de là, vite, que je m’y mette ! ». Dieu sauve le Burkina Faso et le préserve de certains appétits post Blaise Compaoré.

Itèrre Somé

L’Observateur Paalga

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