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Burkina Faso : Nouvelle destination d’immigrants africains

Publié le lundi 20 septembre 2004 à 08h22min

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Le ministre Somda (Coopération régionale)
lors des dernières Journées
des communautés

Difficile de distinguer l’étranger africain noir parmi les Burkinabè. Au pays des hommes intègres, les services d’immigration sont moribonds.

En leur lieu et place, existent des services d’Intégration qui s’attellent à diluer les "communautés- sœurs" dans la rivière de Burkinabè. Une façon d’ouvrir les bras à l’extérieur qui tend à faire du Burkina Faso la nouvelle destination des immigrants d’Afrique noire.

Combien d’étrangers vivent-ils au Burkina Faso ? Peut-être deux millions, peut-être trois. La question ne semble pas préoccuper pour l’instant l’administration burkinabè. Les services officiels du Burkina Faso n’ont pas une idée claire des étrangers vivant sur leur sol. Par contre, l’Etat affiche beaucoup de volonté lorsqu’il s’agit d’intégrer les communautés étrangères.

Créée dans cet objectif, la Commission nationale de l’intégration (CNI), une structure rattachée au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale œuvre depuis 1993 à l’interpénétration de toutes les communautés vivant au Burkina Faso. Chaque année, depuis 1998, cette commission organise la Journée des communautés. Véritable occasion de partage culturel entre les "communautés-sœurs" et les Burkinabè.

"On ne dit jamais étranger. On préfère dire communauté togolaise ou congolaise. C’est moins péjoratif", précise le secrétaire permanent de la CNI, Jamanou Lompo. "En réalité, plusieurs membres de ces communautés vivent ici comme des Burkinabè. Seuls ceux qui veulent participer à la vie politique dans leur pays se font enregistrer dans leurs ambassades", explique M. Lompo.

En effet, plusieurs originaires de la sous-région, implantés au Burkina Faso n’ont aucune gêne à se comporter en véritables nationaux. Gbadamanssi Moutiou Baba Tundé, secrétaire général adjoint de la communauté nigériane est née au pays des hommes intègres, il y a un peu plus de 40 ans. Parlant le mooré mieux que n’importe quel Burkinabè, il transpire toute la culture de son pays d’adoption. "Mon frère aîné était dans l’armée burkinabè. Il vient de prendre sa retraite", témoigne-t-il.

Le vieux El Hadj Ali Gaziré, chef des Haoussa au Burkina Faso, est lui aussi retraité de la Fonction publique burkinabè. Autant elle est intégrée, autant la communauté nigériane grossit. "Nous avoisinons 1 million et demi sur l’ensemble du territoire", affirme Baba Tundé qui ajoute que cette communauté qui se sent chez elle au Burkina Faso y est installée depuis des lustres. Mais elle connaît une forte croissance ces dernières années parce que selon lui, les artisans et les commerçants nigérians sont surtout attirés par la paix et la stabilité.

"Les Ghanéens ne sont pas étrangers au Burkina Faso", clame, à son tour, sans sourciller, le secrétaire aux affaires sociales de la communauté ghanéenne, Martin Kumah Fly. Selon lui, la communauté ghanéenne, l’une des plus anciennes au Burkina Faso, va grandissante parce que les Burkinabè savent ouvrir les bras aux autres. "Chaque jour, environ 500 Ghanéens vont et viennent entre le Ghana et le Burkina Faso".

N’empêche une communauté ghanéenne estimée à plusieurs centaines de milliers est établie au pays des hommes intègres, même si officiellement, environ vingt trois milles seulement, sont recensés par les services consulaires.

Peuple accueillant

Les Burkinabè, en effet, ont l’hospitalité dans leur culture. "Pig roog n’kon saana, bass yi gand yinga" (Nettoyer sa chambre pour l’étranger et aller dormir dehors), conseille l’adage mossi. "Nous n’avons jamais été inquiétés ici. Les Burkinabè savent qu’ils ne peuvent pas abuser d’un étranger, car l’Etat et la société burkinabè ne tolèrent pas cela", affirme Kumah Fly. "Depuis toujours lorsqu’un étranger est en conflit avec un Burkinabè, il est assuré d’avoir tort a priori.

L’étranger bénéficie systématiquement de la solidarité des autres Burkinabè", explique Dianta Hatté, jeune Burkinabè, promoteur du "Yif Menga" "Sois toi-même", un espace culturel d’intégration des communautés étrangères vivant au Burkina Faso. Le "Yif Menga" organise des activités culturelles où chaque communauté s’exprime à travers son art culinaire, vestimentaire, musical etc. C’est assurément l’un des cadres formels d’intégration des Européens.

Dans la vie de tous les jours, on peut voir les Burkinabè reconnaître un étranger, lui demander ce qu’il cherche et se rendre disponible pour le conduire. "Quand un de nos compatriotes se retrouve au commissariat ou à la gendarmerie, quelle que soit la raison, il n’est pas rare de voir le commissaire ou le commandant nous appeler pour venir régler le problème.

En général, quand il ne s’agit pas de crime, le problème se règle à l’amiable", explique Casimir Yoro Séhé, président de la communauté ivoirienne au Burkina Faso. Une approche humaniste des problèmes devant lequel Casimir Yoro reste admiratif. Malgré la tension en Côte d’Ivoire consécutive à la guerre, le président des Ivoiriens du Burkina Faso est formel : "Les relations de fraternité sont toujours aussi fortes". Il reconnaît que sur une communauté d’environ mille cinq cents personnes, dont huit cents officiellement recensés, plusieurs dizaines ont pris le chemin du retour craignant les conséquences de la guerre en Côte d’Ivoire.

Les autorités burkinabè, rapporte-t-on, ne jouent guère avec la préservation des bons rapports avec la Côte d’Ivoire. "A la suite d’une marche sur notre ambassade à Abidjan, un petit parti d’opposition avait projeté de marcher sur l’ambassade de Côte d’Ivoire à Ouagadougou. Les autorités municipales s’y sont opposées avec un arsenal impressionnant pour disperser les manifestants", raconte un Burkinabè qui dit attendre l’avènement de la paix pour retourner "en côte".

En attendant, les boîtes de nuit et les restaurants ivoiriens qui ont une grande notoriété à Ouagadougou comme le Jimmy’s, Aboussouan, Akwaba, Gazeta Plus, etc. continuent de rassembler Ivoiriens et Burkinabè.

De la même façon, les Camerounais de Ouagadougou se retrouvent au "Taxi Brousse" ou au "Mont Cameroun". Une communauté de fonctionnaires internationaux, mais surtout d’artistes qui a le contact facile et qui cohabite sans accroc avec les Burkinabè, selon le président de la communauté, Isaac Dumbé. Personne ne sait combien de Camerounais vivent au Burkina Faso. Une chose est sûre, leur nombre va croissant chaque jour.

Cependant, pas plus que les Centrafricains et les ressortissants des autres pays d’Afrique centrale. Les Congolais, les Rwandais, etc., sont des peuples relativement nouveaux au Burkina Faso. Même si certains font de ce pays, un lieu de transit, d’autres parmi eux s’y installent.

Officiellement, dix huit communautés africaines sont significativement présentes au Burkina Faso. D’autres sont nombreuses : les Nigérians, les Maliens, les Sénégalais, les Mauritaniens, les Tchadiens etc. Certains sont encore en pleine croissance : les Béninois, les Togolais, les ressortissants des pays d’Afrique centrale.

Lors de la dernière édition de la Journée des communautés, cent (100) parcelles leur ont été offertes par l’Etat burkinabè. "Notre souci est d’intégrer les communautés-sœurs afin qu’elles participent au tissu économique", explique le secrétaire permanent de la CNI, Jamano Lompo. Si en 2003, le thème de ladite édition était : "La contribution des communautés au développement du Burkina Faso", cette année, elle a porté sur la contribution de la culture des communautés à leur intégration. Les communautés elles-mêmes conscientes de leur image et de leur apport à leur pays hôte ne manquent pas d’initiatives.

Les Ghanéens par exemple, ont réussi à faire rapatrier leurs sœurs qui pratiquaient "le plus vieux métier du monde". Celles qui ont souhaité se reconvertir ont été réinsérées dans des centres de formation en couture et en coiffure. Une sensibilisation est constamment menée, selon Martin Kumah Fly, pour éviter que le nom des Ghanéens soient associées aux activités illégales.

Mieux, la communauté ghanéenne envisage une activité sociale pour contribuer à la salubrité de Ouagadougou cette année. Les Nigérians également ne veulent pas être associés aux activités d’escroquerie de certains de leurs compatriotes. Aussi, seules les personnes exerçant une activité régulière sont acceptées comme membres de leur communauté.

Parfait KOUASSI,
Avec la collaboration de l’Institut Panos
et de l’Union Européenne.
"Média pour la paix en Afrique"


L’esprit "Yif Menga" des Burkinabè

Ainsi que le défini, Paul Tinoaga Ouédraogo, connu pour être un érudit de la tradition burkinabè, avoir l’esprit "Yif Menga", c’est être "soi-même". Humbles mais fiers, les Burkinabè sont particulièrement jaloux de leur identité traditionnelle dont ils se départissent difficilement. C’est assurément la raison pour laquelle ils acceptent les autres dans leur différence.

Le "Yif Menga", a été transformé en concept, puis matérialisé en espace culturel par un jeune Burkinabè, Dianda Hatté. Ayant lui-même été étranger en Afrique et en Europe, Dianda Hatté a érigé une cabane dans un secteur de Ouagadougou (Gounghin), où les communautés étrangères et burkinabè apprennent à se connaître. Même débutée sous la forme d’une buvette, cette initiative ne rebute pas des personnalités quand elles y sont invitées.

"Yif Menga" a déjà réussi le tour de force de faire communier plusieurs communautés avec les Burkinabè. En août 2003, les Ghanéens parés d’or et vêtus de grands pagnes ont dansé avec les Burkinabè, en partageant leur alcool fort. En mars 2004, c’étaient les Camerounais qui jouaient la musique et dansaient avec les Burkinabè autour des mets traditionnels de chez eux. Et réédition avec les Maliens qui, en juin 2004, ont eu des soirées mandingues.

Hormis l’organisation de la soirée ivoirienne échouée en août 2004 à cause de la guerre en Côte d’Ivoire, toutes les fêtes de communautés sont, selon des participants, de réels succès. Les Antillais par exemple, en ont gardé un souvenir inoubliable des Burkinabè qui les ont découverts véritablement, le jour de leur fête. Une soirée Zouk love à l’occasion de laquelle l’art musical, culinaire et vestimentaire antillais a été dévoilé aux Burkinabè.

"Les trois jours dédiés aux communautés vivant au Burkina Faso ne sont pas suffisants pour la promotion de leur intégration", commente Dianda Hatté qui entend prendre le relais de l’Etat dans le rassemblement de toute la population du Burkina Faso sous les signes de la tolérance et du respect des différences.

Parfait KOUASSI

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