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Pr. Albert Ouédraogo, président du "Tocsin" : "Nous espérons des réparations pour les victimes en Côte d’Ivoire"

Publié le vendredi 3 septembre 2004 à 07h36min

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Albert Ouédraogo

Tête de file de la société civile pour faciliter le travail de la commission d’enquête de l’ONU qui a séjourné dans notre pays du 22 au 25 août 2004 pour investiguer sur les conséquences de la violence politique en Côte d’Ivoire, le TOCSIN n’a ménagé aucun effort pour y apporter sa contribution.

Du reste, son président, le Pr Albert OUEDRAOGO, à travers cette interview nous donne assez d’éclairage sur cette mission onusienne à l’issue de laquelle il espère que seront mis en place les mécanismes de la justice et de la réparation. Par ailleurs, il nous a parlé avec beaucoup d’amertume de l’attitude de l’Etat burkinabè par rapport au dossier des rapatriés.

Que pensez-vous de la mission de l’ONU qui vient de séjourner dans notre pays ?

Albert OUEDRAOGO (OA) : Au niveau du TOCSIN nous pensons que c’était une mission qui était la bienvenue. Nous l’avons attendue depuis longtemps. Le seul regret, c’est la durée de la mission qui nous paraît un peu courte au regard de l’ampleur des exactions et des violences que les Burkinabè ont subies en Côte d’Ivoire. Parce qu’il faut le reconnaître, c’est la communauté burkinabè qui est la première à subir le plus de violence dans la crise ivoirienne.

Au regard de cette réalisation, nous pensons qu’il faut au minimum un à deux mois de séjour d’une commission onusienne. C’est en cela que nous voulons croire que cette commission d’enquête n’est qu’une première en attente d’autres. Ce d’autant plus que le mandat de cette commission ne couvre que depuis le 19 septembre 2002. Or, on sait que depuis 1999 il y a eu les évènements malheureux de Tabou qui ont fait aussi des morts, il y a eu le charnier de Yopougon. Ce sont autant de choses qui ne rentrent pas dans la présente feuille de route de la commission d’enquête.

Quelle a été la contribution du TOCSIN à cette mission onusienne ?

AO : La contribution du TOCSIN a été de plusieurs ordres. Elle a d’abord été logique dans la mesure où il fallait mobiliser des rapatriés pour que la commission d’enquête puisse les voir. Il faut souligner que cette commission d’enquête a ciblé le TOCSIN depuis Abidjan dans un de ses documents officiels et c’est ce qui nous a permis de prendre la tête de file de la société civile en vue d’organiser une rencontre avec des rapatriés. A travers un communiqué radiophonique, nous avons pu organiser cette rencontre à la Maison du peuple pour permettre de sélectionner les cas les plus pertinents, les plus graves.

Parce que, loin s’en faut, nous étions convaincus que cette commission en dépit de ses compétences ne pouvait pas recevoir tous les rapatriés. Il fallait donc procéder à un tri. Et, bien entendu, la commission nous a félicité pour cette démarche.

Nos démembrements ainsi que des membres de TOCSIN à partir de Ouagadougou ont été des éclaireurs sur le terrain à l’intérieur de la commission interministérielle. Nous avons été à Gaoua, Banfora, Yako, Koudougou, autant de lieux où nous avons préparé la venue de la commission d’enquête en faisant en sorte que les premiers concernés à savoir les rapatriés et les victimes puissent êtres mobilisés en vue de pouvoir témoigner. Nous leur avons même demandé de venir avec le maximum de preuves possibles afin de pouvoir fonder la véracité des exactions qu’ils ont subies.

A votre avis, les objectifs ont-ils été atteints ?

AO : Oui, nos objectifs ont été atteints ce d’autant plus que partout où la commission d’enquête est passée nous avons fait en sorte qu’elle puisse voir l’ampleur de la catastrophe. Par ailleurs, nous avons pu faire savoir aux uns et aux autres que cette commission vient d’une certaine manière pour se faire à l’idée de la grande échelle dans laquelle les Burkinabè se sont retrouvés face à la crise ivoirienne. L’échantillon mis à leur disposition visait simplement à leur montrer les différentes facettes des violences subies.

Ainsi nous avons des déportations, des enrôlements forcés, des vols, des viols, des rackets, des assassinats, des sévices, des disparitions de proches, en somme tout le panel de violences que l’on peut subir en temps de situation de guerre et de déferlement de la violence xénophobe.

Certains pensent que cette initiative de l’ONU est comme le médecin après la mort. Qu’en pensez-vous ?

AO : Vous savez, en la matière il est difficile de faire un constat avant l’accident. A savoir que même si l’on pouvait prévoir les violences consécutives à la crise ivoirienne, il n’était pas aisé de faire en sorte que la catastrophe n’arrivât pas. Dans la mesure où les différents acteurs de la scène politique ivoirienne étaient tous convaincus de la justesse de leurs points de vue et estimaient que l’Afrique de la sous-région n’avait pas de conseil ni de leçons à leur donner. C’est triste à dire.

Mais malheureusement c’est ce qui s’est passé. Et c’est ce qui explique qu’aux premières heures de cette violence et de cette crise, on a vu que toutes les initiatives de sortie de crise entreprises par l’Afrique ont été rejetées d’un revers de la main. Le véritable sommet de cette crise a été d’abord Marcoussis et ensuite Kléber. Ce qui pouvait apparaître comme une gifle pour la diplomatie africaine. Mais il n’y avait pas d’autres solutions parce que ceux-là qui devaient être à l’écoute de leurs frères de l’Afrique n’entendaient malheureusement que la voix de l’Occident. C’est seulement que, lorsque ces dirigeants ont trouvé que les solutions de Marcoussis ne les arrangeaient pas qu’il se sont retournés vers l’Afrique en espérant qu’elle aurait une lecture différente.

C’est triste à dire, mais je ne crois pas qu’on puisse jouer au médiateur quand les protagonistes ne vous considèrent pas comme une instance crédible. C’est en cela que face à la crise ivoirienne, les instances onusiennes me paraissent tout à fait appropriées. L’initiative de l’ONU n’est pas pour ma part le médecin après la mort car je suis de ceux qui pensent que nous sommes loin encore de la sortie de la crise ivoirienne.

Ce que la commission d’enquête est en train de faire peut être un des remèdes afin de prévenir une catastrophe humanitaire plus grave que ce que nous avons rencontrée parce que depuis le sommet d’Accra III, malheureusement, les observateurs de la scène politique ivoirienne ne voient pas encore le bout de tunnel. Et ce ne sont pas les dernières passes d’armes au niveau de l’Assemblée nationale qui sont de nature à rassurer l’opinion nationale et internationale. Je ne crois pas que ce soit une mission de médecin après la mort, ou une mission de trop. Il s’agit pour cette commission d’enquête de faire toute la lumière pour l’histoire en montrant la véracité des "allégations" que l’on impute à tous les acteurs politiques ivoiriens. Parce que les violences et les exactions ne se font pas que d’un seul côté.

Il y a des exactions commises par les rebelles, il y’en a aussi qui sont commises par les Forces de l’ordre ivoiriennes, les escadrons de la mort, les militaires et les milices.
Autant d’éléments qui sont de véritables violation des droits humains. A l’issue de la mission de cette commission d’enquête, nous pensons que les choses seront suffisamment claires pour que puissent se mettre en place les mécanismes de la justice et de la réparation.

A combien estimez-vous le nombre de victimes burkinabè ?

AO : Les derniers chiffres que nous avons oscillent autour de 500 000 Burkinabè revenus depuis les événements du 19 septembre 2002.
Et pour nous, doit être considéré victime tout Burkinabè ayant été obligé d’une manière ou d’une autre à rejoindre le Burkina Faso après les évènements du 19 septembre 2002 qu’il soit blessé ou non. Le fait même d’être obligé de revenir au Burkina constitue à nos yeux une violation et l’individu en pareil cas est une victime. Sans oublier bien entendu ceux qui ont vécu les atrocités dans leur chair, ceux qui ont été séquestrés, massacrés, violés, torturés, portés disparus et ceux qui ont été empoisonnés même par les populations.

Parce que malheureusement dans la débandade, il y a eu des populations ivoiriennes qui ont mis du poison dans les cours d’eau tout au long de la voie ferrée et des Burkinabè en sont morts en les buvant dans les conditions catastrophiques.
Pendant les témoignages nous avons vu une jeune dame qui venait témoigner mais dans l’heure qui suivait, elle devait aller à l’hôpital Yalgado pour se faire amputer de la main droite suite aux violences qu’elle a subies en Côte d’Ivoire. Ce sont autant de choses qui nous paraissent rentrer dans le cas des crimes contre l’humanité.

Ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire participe des crimes contre l’humanité et ces genres de violences sont imprescriptibles. C’est dire que quel que soit le temps que cela va prendre, la Côte d’Ivoire devrait un jour répondre devant la justice des hommes et payer le prix de ce qui s’est passé pour qu’un jour nous puissions ensemble fumer le calumet de la paix et regarder l’avenir avec sérénité. Mais ceci ne peut pas se faire sans que la justice ne passe par là.

Espérez-vous un jour des réparations et de quelle nature ?

AO : Absolument nous espérons des réparations. Nous croyons en des réparations et nous lutterons avec toute la société civile pour faire en sorte que ce qui s’est passé contre les populations étrangères et même contre les populations ivoiriennes ne demeure pas impuni. Cela prendra le temps qu’il faut, mais les autorités ivoiriennes responsables de ce qui s’est passé ainsi que les individus ivoiriens qui d’une manière ou d’un autre auront trempé dans ce genre de crimes auront à répondre. Et c’est en ce moment qu’il leur sera appliqué la sanction adéquate en la matière et les victimes pourront alors être réparées, être rentrées dans leur droit d’une manière ou d’une autre.

Tous ces Burkinabè qui étaient propriétaires de plantations et qui ont été chassés du jour au lendemain devront renter dans leur droit. Et si d’aventure on refuse qu’ils ne rentrent pas dans leur droit, alors on paie le prix des efforts faits, des violations et des préjudices subies depuis ces longues années.

Pour nous c’est un combat qui prendra le temps qu’il faut. Comparaison n’est pas raison, mais je tiens à souligner que jusqu’à nos jours l’Etat d’Israël continue à poursuivre les criminels nazis quel que soit l’endroit où ils se sont cachés et quels que soient le pseudonyme et l’étiquette sous les quels ils se retrouvent. Pourquoi le Burkina Faso ne pourrait pas le faire par rapport à ceux-là qui ont appliqué une politique d’extermination ethnique et nationaliste dans la mesure où la violence en Côte d’Ivoire était une violence tout à fait ciblée. Il s’agit de nettoyer certaines zones de la Côte d’Ivoire de la présence étrangère.
En la matière, ce n’est pas un accident qui est arrivé, c’est un acte qui a été pensé, mûri et exécuté.

Par ailleurs, pensez-vous que l’Etat a suffisamment joué sa partition dans la prise en charge des rapatriés ?

AO : Sincèrement nous pensons que passés les premiers moments de grandes émotions, les choses sont retombées, et tout se passe comme si nous n’avons pas vécu une catastrophe humanitaire. Nous pensons que le Burkina aurait pu montrer un autre visage vis-à-vis des rapatriés de Côte d’Ivoire. Parce que pour d’autres circonstances telles que des manifestations culturelles et sportives nous avons vu comment l’Etat réussit à mobiliser la nation en vue de faire en sorte que nos footballeurs puissent aller très loin.

Nous n’avons pas fait le millième de ce que nous avons fait pour nos Etalons par rapport à des compatriotes qui sont venus dans le dénuement, blessés, complètement humiliés. De ce côté, je ne suis pas vraiment fier et j’ose croire que demain l’Etat se ressaisira pour donner un peu plus de dignité à ces compatriotes. Parce que sans verser dans les Ecritures saintes mais il est dit dans la Bible que ce que vous faites au plus petit des miens c’est à moi que vous le faites. Ce que l’on a fait au plus petit des Burkinabé en Côte d’Ivoire, c’est au Burkina officiel que l’on l’a fait et il ne faut jamais l’oublier.

C’est au nom du Burkina officiel qu’on a fait ces violences aux Burkinabè anonymes en Côte d’Ivoire, d’où la responsabilité qui est la nôtre de porter assistance en toutes circonstances à ces victimes innocentes.

Le constat est qu’une bonne partie de ces rapatriés est retournée en Côte d’Ivoire. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?

AO : C’est simple. Entre deux enfers, on choisit toujours le moindre. Si des Burkinabè ont estimé que la Côte d’Ivoire était un enfer et ont été obligés de replier au Burkina et qu’ils se retrouvent contraints à repartir en Côte d’Ivoire c’est qu’ils sont en train de vivre au Burkina un véritable enfer beaucoup plus dangereux que l’enfer qu’ils ont quitté. Et ce n’est pas quelque chose qui nous honore. Il ne faut pas croire que les gens sont inconscients au point de vouloir aller délibérément vers la mort.

C’est qu’en réalité rien, presque rien n’a été fait de substantiel pour permettre à ceux qui sont revenus de rester. Dites-moi quel est le discours, quelle est l’attitude politique qui a été prise officiellement pour que ceux qui sont venus restent. J’ai attendu ce discours, je ne l’ai pas entendu. Je n’ai pas vu une autorité politique burkinabè au-delà de la simple compassion tenir un discours de la nature à dire "on vous a chassés, vous êtes revenus chez vous, restez, nous ferons tout pour que vous puissez ne plus avoir besoin de repartir". J’attends encore ce discours.

J’espère qu’il viendra. Et tant que ce discours ne viendra pas, il n’y a pas de raison que nous jetions la pierre à ceux-là qui sont obligés de repartir parce que, venus dans le dénuement, les parents qui les accueillent, ne sont pas à même de faire face. Et tant qu’il n’y a pas un fonds spécial crée à cet effet, face à cette catastrophe il n’y a pas de raison qu’ils puissent rester. Ce d’autant plus que c’est un combat quelquefois pour avoir la terre à cultiver tout comme un terrain loti.
En côtoyant les rapatriés au quotidien, on les voit vivre des drames. Aujourd’hui beaucoup de rapatriés sont en train de mourir malheureusement dans le silence et dans l’indifférence.

Sept ans après sa création quel sentiment avez-vous de l’existence de votre association ?

AO : C’est vrai qu’il est difficile de s’apprécier mais nous avons eu le sentiment durant les sept ans d’existence d’avoir apporté quelque chose.
Et la crise ivoirienne aura démontré la pertinence de notre mission. Parce que depuis le départ, nous avions senti que les Burkinabè de l’extérieur étaient en situation de danger et qu’à l’intérieur on n’avait pas suffisamment conscience. C’est pour cela que nous avons choisi de nous appeler le TOCSIN pour sonner l’alerte et l’alarme.

Malheureusement, à l’époque, nous n’avions pas été suffisamment entendus ou compris et aujourd’hui on est obligé de faire face à la catastrophe. Nous sommes toujours pour que l’on comprenne qu’il n’y a aucun développement durable possible au Burkina sans la contribution active des Burkinabè de l’extérieur. Je me plais à dire que le nombre de Burkinabè de l’extérieur vaut la population entière de certains Etats souverains d’Afrique. Il n’y a pas de raison que cette population soit laissée pour compte du développement national. Nous devrions ensemble faire en sorte que les Burkinabè de l’extérieur contribuent à construire leur pays parce qu’ils ont beaucoup à apporter.

Il faut une véritable politique qui les prend en compte.
Il faut d’abord que d’une manière ou d’une autre on fasse sentir aux Burkinabè de l’extérieur qu’ils sont partie intégrante de la nation en leur donnant la possibilité de participer au choix de leurs dirigeants car nous pensons que le premier droit d’un citoyen c’est le droit de voter. Or jusqu’à preuve du contraire le Burkinabè, de l’extérieur ne peut pas participer au vote à partir de son lieu d’accueil. Pour nous, ce n’est pas normal et nous nous battrons pour que dans un jour proche le Burkinabè quel que soit l’endroit où il réside, puisse participer au choix des dirigeants politiques de son pays.
C’est un cheval de bataille que nous avons déjà enfourché parce que nous avons déjà rencontré certaines autorités pour leur faire part de notre préoccupation par rapport à la citoyenneté des Burkinabè de l’extérieur.

Actuellement nous sommes en train de travailler à la mise en œuvre réelle de la citoyenneté ouest-africaine parce que les citoyennetés nationales nous paraissent en voie d’être dépassées d’autant plus qu’elles contiennent les germes des micro-nationalismes et de la xénophobie. Il faut de plus en plus aller vers une citoyenneté ouverte permettant aux uns et aux autres de se retrouver dans un espace beaucoup plus viable que dans des micro-Etats que nous avons hérités et que nous ne savons pas dépasser malheureusement.

Par Drissa TRAORE
L’Opinion

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